À quoi nous sert la vérité sans notre responsabilité ?

Je pense que sans ce sentiment de responsabilité, nous ne parviendrons pas à regarder la vérité en face pour en faire quelque chose. En faire quoi ? C’est ce que nous découvrons ici.

Hier, je concluais mon article en parlant de cette « vérité » officiellement révélée par les monsanto papers. Une vérité qui est une donnée précieuse, dont la pureté peut être appréhendée bien différemment selon l’opinion qu’on s’en fait. C’est là que la difficulté réside, ne nous le cachons pas. J’aimerais aujourd’hui explorer ce qu’on peut tirer et comprendre de ce type de vérité.

Maintenant que nous disposons de la vérité, qu’allons-nous en faire ?

connaissance de soi
S'inclure dans l'équation du vivant. Photo de Gerd Altmann : "Connaissance de soi"

Cette vérité est une force qui doit nous mener à une analyse plus objective : comment fonctionnent les décisions politiques et économiques aujourd’hui ? Comprendre la mécanique des lobbys, sans cet habituel revers de main quand on les « évoque », c’est apprendre à se regarder en face. Car, le problème que nous n’arrivons décidément pas à surmonter, c’est de nous inclure dans l’analyse. Identifier l’ennemi n’est qu’une première étape. Maintenant que nous disposons de données tangibles pour analyser un système de gestion auquel nous participons, nous passons à la deuxième étape : comprendre les mécanismes que nous avons mis en place. Ce « nous » permet de la franchir. Par la recherche de notre intégrité intellectuelle. Pour cela, notre sentiment de responsabilité doit faire partie de l’équation. Ainsi, nous accepterons de regarder la réalité en face sans la peur de se sentir coupable. Le système en place s’appuie sur cette peur.

La vérité sans responsabilité ne passe pas l’étape de la compréhension

Une fois notre responsabilité engagée, pourrons-nous vraiment reconnaître, connaître et analyser le problème ? « La vérité est dans la nuance, dans la précision », rappelle Idriss Aberkane dans sa dernière vidéo (désolée si le lien ne marche pas. Il l’a mise en ligne au moment où je boucle cet article. Elle sera peut-être censurée quand vous lirez ces lignes). Je pense que sans ce sentiment de responsabilité, nous ne parviendrons pas à regarder la vérité en face pour en faire quelque chose. En faire quoi ? Un monde plus juste ? Encore un ? Imaginez qu’on puisse suffisamment être connectés pour construire ensemble une analyse objective, nuancée et précise — intègre, en clair — de la situation, quelle serait donc la troisième étape ? Encore une révolution ? Aucune idée, c’est dans l’ordre des possibles. Sincèrement, je pense que la troisième étape appelle une connexion réseau.

Paradoxalement, la fiction aide à comprendre une vérité à multiples facettes

Séralini conclut son livre en précisant qu’il bosse maintenant en réseau, se déplaçant pour ses recherches aux quatre coins du monde, là où sont les collègues indépendants et les infrastructures de pointe. La France ? Il y garde ses amis, sa famille, mais semble bien éloigné du système qui l’habite. Pour reprendre le dessus et récupérer ce qui nous échappe, il n’y a qu’un moyen d’agir : se compter, s’organiser, et construire un réseau de travail. Comme vous le savez, le travail, c’est la santé, encore faut-il lui donner un sens profond. Pour moi, la fiction a ceci d’exceptionnel qu’elle nous plonge dans l’intimité du système aussi sûrement que si nous y étions infiltrés. Les cadres dirigeants de Monsanto ont une vie, eux aussi. Des peurs, des addictions, des croyances et des rêves. Ce ne sont pas des extraterrestres. Et, ceux qui roulent pour eux (médecins, scientifiques, chercheurs) ne sont pas forcément des traitres à la patrie.

La fiction est un outil aussi fascinant que dangereux

Vous savez parfaitement que le confort est un piège dont on ne sort pas en rêvant d’acheter la dernière Peugeot Sport. Je joue la provocation mais, la fiction peut user de ce genre de caricature. C’est louable. Ça anime l’histoire. Par contre, là où l’auteur doit faire attention, c’est quand il en oublie la complexité humaine qui est masquée par les effets de la caricature. Ça arrive à tout le monde tout le temps. Seulement, c’est aussi de cette façon que la caricature sert de fabrique d’opinion. La fiction n’est pas exempte d’une nature à double tranchant. C’est aussi un fabuleux outil de falsification, de manipulation très prisé pour assurer l’adhésion des foules. Allez, pas de panique, on s’en sort à tout âge, suffit de partir à la recherche de sa responsabilité. Ça fait du bien et ça remet les choses à plat pour accéder à la réalité, pour la voir, l’accepter, la comprendre, et savoir enfin comment s’y engager.

Écrire une nouvelle noire en 21 jours #3

3ème jour. Reste 19 jours pour publier ma nouvelle pour le concours « Quais du Polar ». Alors, comment se passe l’écriture de cette nouvelle noire ? Cliquez ici pour le découvrir

Alors, comment se passe l’écriture de cette nouvelle policière ? Suivez l’écriture d’une nouvelle noire pour le Concours « Quais du Polar » – 3ème jour. Reste 19 jours. Frémir, c’est ce qu’on recherche dans une nouvelle noire. Mon objectif est d’écrire ce que j’aimerais lire. Pas facile lorsqu’on sait qu’on le saura une fois lu, et donc une fois écrit. 

J’imagine la personnalité de mon héroïne en inventant de « faux » dialogues

Comme une bribe de dialogue

C’est comme si mon personnage s’invente de fausses histoires sur sa vie. Pour rigoler, se libérer, se décharger des tensions. J’ai déjà observé ma fille, réinventant des dialogues vécus pendant sa journée d’école. Je fais pareil. Soledad fait pareil… Soledad. Son nom est donc apparu au cours d’une fausse scène — comme un fragment de dialogue entendu dans la rue. Soledad est donc mon héroïne. Elle ne dira rien. « On » ne sait pas de quoi elle est capable. Effacée, elle ne prend pas parti. Soledad cherche tout de même à prévenir son patron qu’il risque de se faire buter. Ce n’est pas rien, mais ça assoit une nouvelle policière, évidemment. En plus, ça barde à la maison. Forcément, puisque Soledad bosse désormais avec l’ennemi déclaré : Rinaldi Serrar.

Librement inspiré d’une « histoire vraie »

Quand je vois cet avertissement dans les premières secondes d’une projection, « tiré d’une histoire vraie », un frisson me parcourt, pas vous ? Dans la vraie vie, Rinaldi Serra vient de sortir un bouquin. Dans la vraie vie, Rinaldi Serra s’appelle Séralini. Pendant ces 19 prochains jours, je vais expérimenter avec vous le pouvoir de la fiction. Sa fonction et, peut-être même, sa puissance. Ce chercheur est visé à la lunette. Taxé d’excentrique, accusé d’activisme et, finalement, de fraude passible d’une mise à pied immédiate, Rinaldi Serra ira-t-il jusqu’à « foutre sa carrière en l’air » ? Si oui, en sortira-t-il vivant ? Soledad, elle, sait ce qu’« ils » lui réservent s’il ne plie pas sous les pressions.

Caricature provocatrice pour ouvrir le dialogue et apprivoiser la bête

Soledad, raboule ta fraise, morveuse ! C’est toi qu’a fermé l’entrepôt, hier ?

— Non, j’étais au labo. C’est Conrad qui devait s’en charger, je crois.

— Putain de conard, celui-là ! Il a dit à Abdel que c’était toi, l’enfoiré ! Il nous fout tous dans la merde. Les cuves ont disparu.

J’écris ainsi des bouts de dialogues, risibles, bribes décalées de la réalité. La vérité de ce personnage naissant qu’est Soledad. Ça me défoule, ça brise la glace entre Soledad et moi. Je la caricature, et j’en ris avec elle. Elle, qui sait tout, et qui cherche à rester neutre. Forcément, ça la rend nerveuse, c’est le but du jeu. Soledad appartient à une famille de chimistes. De grands passionnés qui, comme nous tous, pensent à la sécurité de la Famille et de l’Entreprise.

J’explore l’environnement de mon personnage et ses mécanismes de croyance

Je m’identifie à une famille de criminels

Ils ont deux familles. Les découvertes et brevets d’un côté, la commercialisation et les débouchés de l’autre, deux familles indivisibles. C’est comme dans la mafia, j’imagine, l’un ne va pas sans l’autre. Pour conquérir le monde, il faut être Dieu et Juge. Personne ne coupe le lien entre business et famille. Soledad y parvient pourtant. Ce n’est qu’une question de temps avant d’y être mêlée. Ce jour était arrivé. Au sein de « l’entreprise », même si les chimistes jouissent d’un prestige immense, ils sont là pour trouver des solutions qui se vendent. Comment la criminalité s’organise-t-elle en système ? D’abord, qu’est-ce que la criminalité ? Le crime en est un atout, la loyauté aussi. Le réseau, l’imbrication des rôles et l’appartenance filiale forment le socle d’une organisation criminelle. Comme toute organisation, finalement.

J’établis un barème des responsabilités

Alors, c’est quoi la différence entre la bonne et la mauvaise organisation ? La différence, me dis-je en mettant du linge sale à la machine, c’est les conséquences de mes actes. Elles semblent dérisoires, comparées à celles qui menacent directement la biosphère terrestre. Quand même ! J’avoue que mon besoin de faire vite, pour économiser du temps et de l’énergie à moindre coût, surgit relativement souvent. Aucune spirituelle responsabilité ne m’habite à ces moments-là, je le confesse. Pas plus tard qu’hier, je balançais dans la machine à laver des fringues inadaptés à 40°, sous prétexte d’aller plus vite à moindre effort. J’ai éprouvé le besoin de bâcler la tâche. Nul désir de nuire, et pourtant ! Voilà peut-être ce qui arrive aux équipes de Tomason (anagramme de Monsanto) !

J’étudie différents angles de vue, différents mythes

Contrairement aux conséquences de mon lavage à 40°, l’usage intensif et mondial d’un pesticide mortel, menace directement la biosphère. Le plus étrange, c’est qu’un chimiste est méticuleux, car extrêmement conscient des conséquences de ses actes. C’est l’angle de vue qui change. La psychologie du « responsable » est difficile à comprendre si on ne change pas d’angle. Tous autant qu’on est, pour aller plus vite, pour entrer dans un budget, on fait des entorses à la prudence et au bien commun. L’édification du système à entorses s’opère chez tous, je pense. D’accord, alors comment s’érige-t-il en bande organisée ? Beaucoup apportent des réponses. Pour moi, Séralini apporte celle qui se déroule, comme un fil rouge, pour comprendre la situation dans laquelle nous errons actuellement. Les monstres naissent quand on rebat les cartes, à des moments historiques. Ils naissent tous pareils, en sauveurs.

Un personnage est fait de vérités

Lorsqu’elle était enfant, Soledad avait une vision plus glamour de ses frères. Aujourd’hui, ils ont peu de scrupules à lui balancer leurs résultats recherches. Avec eux, les conséquences. Qu’importe, puisque leur responsabilité est ailleurs ! « La vérité » se noie dans une propagande permanente. « L’avantage d’appartenir à la matrice, c’est qu’elle roule pour toi ! » lance le frangin.  C’est du travail d’équipe. On se sert les coudes de très prêt. De tellement prêt qu’on ne les desserre jamais. Au final, nous sommes tous logés à la même enseigne face à nos responsabilités. Quand il s’agit de réfléchir aux conséquences indirectes de nos actes, nous verrons cela plus tard… « Ces mecs-là [l’entreprise] brassent des milliards, me dit un jour mon père. Crois-tu qu’ils s’embarrassent de tes objections ? Leur job, c’est de les écraser.»

Demain, on continue d’avancer

 Une nouvelle noire en 21 jours

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À SUIVRE...

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Super-héros et contre pouvoirs : la face cachée de l’écriture de fictions

L’auteur de fictions doit prendre le taureau par les cornes et se plonger sérieusement dans un travail de recherche. L’invention d’un super-héros nécessite autant de précautions que n’importe quelle innovation sérieuse.

Bonjour à tous ! J’aimerais aujourd’hui vous faire un point sur ma méthode d’écriture, puisque deux mois se sont écoulés depuis le démarrage de notre roman. D’abord, les séances du matin ont bien l’immense avantage d’imposer un rythme d’écriture et d’apporter une motivation constante. Car, jour après jour, on voit l’histoire avancer et les personnages vivre, même timidement. Pourquoi « timidement » ? En fait ce ne sont pas les personnages qui vivent timidement. C’est plutôt l’auteur qui, au commencement, partage timidement le vécu de ses personnages. Oui, il se peut qu’il tâtonne dans un univers qui ne lui est pas familier.

L’écriture de notre récit entre dans une phase d’exploration de la réalité de nos superpouvoirs

exploration de nos superpouvoirs - magie
"On trouve un nombre grandissant de scientifiques prêts à témoigner de la réalité des phénomènes paranormaux" - Magie de Yabadene Belkacem

L’invention des personnages pousse à chercher des témoignages

Depuis le début de ce défi (voir « Le Projet Line » : tous les épisodes), je vous ai partagé le résultat brut de mes séances d’écriture. Dans cet épisode 7, notre héroïne rencontre un nouveau personnage : le docteur Thomas Jay. Psychiatre un peu spécial, le docteur Jay mesure déjà les dimensions invisibles auxquelles Line est capable de se connecter. Pour écrire la scène qui va suivre, je me suis inspirée d’un livre de William Buhlman. Dans « Voyage au-delà du corps : l’exploration de nos univers intérieurs », William Buhlman décrit ses expériences de sorties de corps. Comment, de sceptique, il est venu à s’intéresser aux voyages astraux et à expérimenter le passage de sa conscience hors du monde physique.

L’écriture lance des pistes vers le vrai travail de recherche

Après deux mois d’écriture, il est temps pour moi d’aller plus loin et plus méthodiquement dans mes investigations. À un moment donné, l’auteur de fictions doit prendre le taureau par les cornes et se plonger sérieusement dans un travail de recherche. L’invention d’un super-héros nécessite autant de précautions que n’importe quelle innovation sérieuse. Cette semaine, j’ai listé un certain nombre de bouquins à lire pour me plonger dans la littérature scientifique qui associe le paranormal et le quantique. Aujourd’hui, on trouve un nombre grandissant de scientifiques prêts à témoigner de la réalité des phénomènes paranormaux, pourquoi m’en priverai-je ? J’ai terminé le premier : « Les Preuves scientifiques d’une vie après la vie – Communiquer avec l’invisible » du Docteur Jean-Jacques Charbonier.

Le témoin scientifique se transforme en personnage inspirant

Heureusement, mon rôle n’est pas de tenter de confirmer ou d’infirmer ses propos mais d’entrer dans la tête d’un personnage inspirant, et les anecdotes qu’il raconte dans son livre, comme ses démonstrations et ses idées, apportent de l’eau à mon moulin. Il y aura dans le roman des scientifiques de tous bords, et il est essentiel pour nous de pouvoir nous appuyer sur du concret et sur le vécu de personnes réelles. Nous sommes tous plus ou moins conscients de vivre cette « dissonance cognitive » dont parle Charbonier. Il nous arrive de vivre des phénomènes inexplicables, aussi insignifiants soient-ils, qui s’opposent à nos connaissances, à notre raisonnement ou à nos croyances, et provoquent inconsciemment un repli défensif. Ce qui revient à minimiser, voire à nier, le phénomène au niveau cognitif (de la pensée).

Inventer une super-héroïne qui rivalise avec les géants américains...

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Rendre l'aventure fantastique...

Tu me suis, là ?
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La création d’un super-héros est une invention sérieuse

super-héros- ninja lune
"L’invention d’un super-héros nécessite autant de précautions que n’importe quelle innovation sérieuse."

Les blocages propres à la culture française briment la création des super-héros

La création d’une super-héroïne est une démarche ludique, mais elle n’a rien d’anodin. Le super-héros incarne un personnage spirituel fortement symbolique. Sa création implique forcément des intentions cachées. Je pense sincèrement que les français méritent qu’on ouvre enfin les vannes et qu’on détruise les barrages. Jean-Jacques Charbonier rapporte une anecdote intéressante après Les Premières rencontres internationales consacrées à l’expérience de mort imminente à Martigues en 2006. Une équipe de France 2 vient l’interviewer pour le journal de 20 heures mais, au lieu de diffuser son entretien, la chaîne fait passer un « expert » qui n’y connait rien au sujet. « Eh oui, souligne-t-il, les scientifiques ne sont pas les seules personnes atteintes de dissonance cognitive, les journalistes sont aussi grandement touchés par cette pathologie du raisonnement ! » Habitué à la censure, le Dr Charbonier évoque aussi l’enseignement fermé des écoles françaises de médecine, qui s’explique notamment par l’influence honteuse des lobbies pharmaceutiques. C’est un problème dont je suis tout à fait consciente, et qui me scandalise depuis bien trop longtemps.

Le super-héros est un trait d’union entre les mondes

« La plupart de nos contemporains, explique-t-il encore, pensent que tous ceux qui s’intéressent au paranormal sont des allumés ou des farfelus, et ils rangent volontiers dans le même tiroir, avec un incroyable mépris, médiumnité, spiritisme, télépathie et autres phénomènes inexplicables comme les NDE (Near Death Experience : expérience de mort imminente ou EMI) » Pourquoi est-ce que je vous relate les propos de Charbonnier ? Parce qu’un auteur doit décortiquer l’intention qui se cache derrière l’écriture de son roman. Et notre super-héroïne, au-delà de sa vocation à nous faire vivre des émotions fortes, a le rôle d’incarner une ouverture vers les questions fondamentales autour du lien existant entre la science et le divin, entre la raison et l’irrationnel, entre la pensée matérialiste et notre spiritualité.

La recherche et la connaissance alimentent, façonnent et dirigent notre récit de fiction

Là, les séances d’écriture révèlent enfin leurs limites. Voilà qu’à présent de nouvelles idées vont s’ajouter et imposent d’emblée un changement notable dans la forme du récit. Si j’ai commencé l’histoire de Line à trois ans, lui faisant vivre prématurément l’élément déclencheur (voir la scène clé du bac à sable de l’épisode 6) et la rencontre avec son psychiatre (relatée ici dans cet épisode), il s’avère inutile de persister à considérer Line comme une enfant de 3 ans, même surdouée. D’ailleurs, mon fils Anton me l’a plusieurs fois fait remarquer. Maintenant, à la lumière de ma dernière lecture, j’ai déjà en tête que Line va d’abord se voir imposer une batterie de tests auprès de scientifiques raisonnables qui ne prennent pas en compte l’aspect paranormal de ses capacités. Le docteur Jay sera une bouée de sauvetage pour elle. Line sera d’abord traitée comme une enfant à problèmes, avec des symptômes à traiter. Le conflit avec sa mère sera d’autant plus fort que cette dernière se sentira coupable de ne pas oser s’y opposer.

La réalité dépasse souvent la fiction. Mettez le doigt dessus et vous ne manquerez pas d’idées

superman

Les éléments de recherche alimentent la structuration du récit

Les idées avancées par certains d’entre vous, chers co-écriteurs, auront bel et bien leur place dans ce premier roman qui relate les origines de Line d’Haranguier. Point de vue méthode d’écriture, les nouveaux éléments de recherche obligeront à des ajustements : les scènes déjà écrites seront intégrées à un nouveau contexte. Line aura environ six ans lorsqu’elle rencontre le docteur Jay, et non pas trois. Ça me donnera le temps de positionner les ennemis dont j’ai esquissé les traits. Certes, je n’ai pas encore publié les séances qui les mettent en scène, mais je peux néanmoins vous dire que l’idée d’une île isolée, habitée par une tribu n’ayant aucun contact avec l’extérieur, a fait son chemin (voir l’épisode 1). Repérée il y a 30 ans par la fondation Prôteús, dirigée par un magna de la finance, les enfants de ce peuple primitif furent enlevés et étudiés en secret pour en faire des « sujets psi ». J’ai découvert ce terme sur le site de Jean-Pierre Girard.

Les révélations des uns alimentent la fiction des autres 

Jean-Pierre Girard raconte son parcours hors norme en tant que « sujet psi » auprès de la CIA et ce qu’il sait de l’utilisation de la pensée sur la matière dans le monde de l’espionnage. Et j’ai bien l’intention, à l’issue de ces trois mois de recherche et d’écriture, d’aller l’interviewer. En attendant, nos ennemis se précisent et l’origine des pouvoirs de Line également. La scène du bac à sable va faire réagir toute la famille, mais pas seulement. La mère de Line, originaire des Philippines, a été adoptée dès ses premiers mois. Personne ne sait qu’elle vient de l’île, sauf nos fameux ennemis qui l’ont perdue par un malheureux concours de circonstances. Après avoir tenté de la récupérer, ils décidèrent de la surveiller de loin et d’infiltrer l’un de leurs agents dans son entourage. En conséquence, ils repérèrent aussitôt la grande démonstration de pouvoir opérée par Line dans le bac à sable. C’est là qu’ils vont entrer en action et entrer avec fracas dans la vie des d’Haranguier.

C'est quoi son nom, déjà ?

LINE D'HARANGUIER
unique !


Line n'est pas seule...

Suis-nous !
unique !

Malgré les apparences, un auteur n’écrit jamais seul

réseau de relations
"Aller aussi loin que notre inconscient nous le permettra..." - Photo de Gred Altmann

Son intention s’ajuste et se précise par le dialogue

J’aimerais vous faire remarquer que, ces dernières semaines, je n’ai pas beaucoup sollicité Anton, mon jeune co-auteur. Mais, l’aventure n’en est qu’à ses débuts. J’ai beaucoup à lire et à écrire. Les 3 mois impartis sont surtout là pour nous booster et pour m’obliger à faire le maximum jusqu’à la fin janvier. À cette date, nous devrons parvenir à une vue d’ensemble structurée : établir l’enfance de Line, une super-héroïne qui pourra démarrer son adolescence sur de bonnes bases ! Ainsi pourra-t-elle devenir le fer de lance d’une aventure où elle deviendra adulte et indépendante, détentrice de valeurs qu’elle pourra revendiquer haut et fort, s’appuyant sur une intention claire et un message explicite.

Ses préoccupations seront partagées avec le plus grand nombre

Vous l’aurez compris, derrière un roman de science fiction ou d’anticipation, nombre de questions existentielles peuvent être soulevées. D’ailleurs, « Les 7 lois spirituelles des super-héros » de Deepak Chopra en atteste. Chaque personnage nous interrogera sur les questions qui préoccupent l’auteur. Par exemple, Élise, la nourrice, prend pour moi une importance de plus en plus évidente. Je l’interroge, et elle m’interroge en retour. C’est un dialogue jusqu’à ce qu’on parvienne à comprendre de quoi on parle. À la lecture de « Secrets de l’art perdu de la prière » de Gregg Braden, je me dis qu’Élise va évoluer. Son rapport à Dieu, à la prière, et son regard empli de craintes face à Line, vont se transformer au cours de notre aventure, même si je ne suis pas encore certaine de la voie qu’elle va suivre.

Son implication sera totale et entière

L’avantage de faire des recherches pour approfondir l’intention réelle de l’auteur (moi, en l’occurrence) n’est pas à prendre à la légère. C’est même, à mon sens, l’essentiel du travail d’écriture d’un livre de fiction. Là est le support d’une réflexion qui ira aussi loin que l’inconscient nous le permettra. Tiens, en parlant de ça, je viens justement de m’inscrire sur une plateforme de formation en autohypnose appelée « Psychonaute » pour explorer cette dimension en expérimentant — si j’y parviens — certains états modifiés de conscience. En attendant, voici l’épisode 7 de notre aventure.. 

Épisode 7 – Après le choc, Line rencontre son plus grand atout : le docteur Jay

La vision de Line sur ce qui lui arrive

La voiture s’engagea sur la route de Ciboure vers le fort de Socoa et bifurqua à droite, rue du Phare. Elles arrivèrent dans une propriété située en bord de mer, une de ces demeures immenses et cossues possédant une vue imprenable sur les falaises de la corniche basque. Line était affreusement secouée par les événements. À trois ans, elle était capable de déceler les intentions des adultes et comprenait déjà qu’ils n’agissaient pas toujours comme ils le désiraient au fond d’eux. La plupart du temps, ce qu’ils pensaient au moment « T » changeait continuellement pour accueillir des idées nouvelles qui les empêchaient de voir clairement. Elle se trouvait alors à plusieurs endroits en même temps. De petites vagues d’air, comme des couches de brouillard, lui permettaient d’être à la fois elle-même, dans son corps, à entendre et à voir, et tout autour, dans la brume, pouf ! Elle était partout à la fois, captant toutes les subtiles raisons qu’avaient les autres d’agir et de parler. C’était fatigant. Souvent, elle décrochait, et refusait d’entendre le sens qu’ils donnaient à leur pensée. Progressivement, elle avait su coder les sonorités à sa façon, et les transformait en une voluptueuse musique qui la berçait calmement.

Line arrivait ainsi à s’extraire de la réalité. Peut-être en partie seulement. Il lui était même arrivé de traverser une ou deux couches supplémentaires pour se retrouver loin d’elle-même. À ces moments-là, elle perdait le contact avec ce qu’elle était l’instant d’avant, et atterrissait dans un lieu différent. Un jour, Line avait atterri dans l’enfance de sa propre mère, comme avec le chat. Winston lui avait expliqué qu’à ces moments-là, elle devait fermer tout doucement les yeux, amener lentement les mains vers son visage ou sa poitrine et mesurer où elle se trouvait réellement. Toucher de ses mains sa vie à elle, ce qu’elle voulait, ce qu’elle aimait vraiment. Il lui répétait que rien d’autre ne comptait. Oui, lui répondait Line, mais quand je suis avec maman, je pense si fort à elle que j’arrive pas à le faire. En fait, lorsqu’elle se sentait si loin, mettre ses mains sur ses joues la rappelait à elle-même, toujours. Grâce à ça, Line avait appris à voyager sans avoir peur de se perdre. Elle était seule au monde à pouvoir faire ça, lui avait dit Winston. Et il avait ajouté : « Je suis le seul à connaître ton secret ». Mais, Line savait qu’il en parlait à Camille. Winston faisait semblant que c’était leur secret à tous les deux, alors Line faisait semblant aussi. Le monde de Line était comme celui d’Alice : un pays des merveilles qui n’existait que dans le livre ; pas dans sa famille. Maintenant, Line n’en était plus si sûre. Est-ce que sa mère savait ? C’était bien la première fois qu’elle l’entendait y penser, comme si elle y était allée, et n’y était jamais retournée. A-t-elle pu se cacher dans la brume, devenir toute petite ou très grande ? Line se sentait complètement perdue.  Winston s’était bien trompé. Line fixait l’étrange maison aussi grande qu’un château. Elle était habitée par un homme qui connaissait son secret. De cela au moins, elle en était certaine.

Line reçoit une écoute inattendue

Lorsque Cécile ouvrit la portière, la mère et la fille se regardèrent intensément. Cécile avait une expression inhabituelle et Line l’interrogea du regard. Cécile en fut bouleversée. Il lui semblait que, pour la première fois, elle acceptait le lien qui les unissait, plus fort que tout ce qu’elle avait pu imaginer. Le moment était peut-être venu de faire semblant. De quoi exactement, Cécile n’aurait pu le dire en cet instant. Line tourna la tête vers la demeure tandis que Cécile détachait la ceinture de son siège. Le docteur Jay se tenait sur le perron.

— C’est qui ?

— C’est un médecin. Il ne t’examinera pas comme le docteur Deuvinet. Non, avec ce docteur-là, on parle.

— On parle, c’est tout ?

— Oui, c’est tout.

Cécile prit Line dans ses bras et parcourut la distance les séparant du docteur Jay qui n’avait pas bougé un cil. Elle le salua d’un « docteur » très solennel, ce qui impressionna Line, habituée aux grandes salutations affables de sa mère. Cécile était trop tendue pour jouer les débonnaires.

— Bonjour Line, j’avais hâte de te rencontrer. Cécile m’a beaucoup parlé de toi, tu sais. Elle m’a raconté tout ce que tu sais faire et je suis fasciné par ton intelligence.

Line n’était pas certaine de savoir ce que « fasciné » signifiait, mais elle était captivée. L’homme avait un visage avenant, des yeux vifs et rieurs, un corps plein de force, calme et, surtout, il n’avait pas un cheveu sur la tête. Pourtant, il n’avait rien d’un grand-père. Non, il était aussi vieux que papa.

— Bienvenue chez moi, Line. Mais entrez donc !

La maison était vaste et lumineuse. Rien de comparable à la sienne, bariolée de partout et encombrée d’objets accrochés dans tous les recoins. Ici, les espaces vides étaient rois et les peintures n’étaient que formes brouillonnes qui ne voulaient rien dire. C’était un mélange de formes et de couleurs qui accrochaient le regard pour le perdre dans des questions sans fin. Quelques motifs peints à même les murs servaient peut-être de réponse, ou de code secret. Ils étaient peints en gros traits noirs et formaient pour la plupart des personnages naïfs. Line en avait découvert dans les livres sur l’art primitif africain. Elle adorait les livres sur l’Afrique que Winston lui ramenait de la bibliothèque.

Ils s’installèrent enfin dans le salon. Il était inondé de lumière avec ses canapés de cuir blanc et sa grande table basse en verre épais. Cécile commença à raconter les événements de l’après-midi : l’histoire du tourbillon de sable. Alors, Line revit sa colère se répandre sur l’aire de jeux et lui revenir en plein visage, envahissant de flopées de sable sa bouche et son nez. Elle eut l’impression de suffoquer. Sa respiration devint saccadée, elle toussa comme pour recracher les derniers grains de sable restés coincés dans sa gorge. Cécile s’interrompit et caressa le dos de Line tandis que l’homme s’était levé et revenait déjà avec un verre d’eau. Il repartit aussitôt. Line but avidement, toussant encore et recrachant sur le sol ce qu’elle venait d’avaler. Le docteur revint avec une petite serviette blanche et lui caressa le visage avec, puis la bouche. Le linge était chaud et humide, il avait une odeur d’orange et Line se sentit mieux, instantanément. Il se servit de cette même serviette pour essuyer le sol et posa le linge souillé sur le bord de la table. Ce dernier geste étonna Line. Il avait agit avec calme et simplicité, et semblait avoir anticipé ce qui allait arriver. Line le regarda plus attentivement. Elle décela chez lui une envie véritable de lui venir en aide, de lui offrir une attention précise et spéciale dont elle avait immensément besoin. Ce besoin d’être comprise qu’elle n’avait jamais ressenti jusque-là. Bien sûr, Winston avait toujours été là, Line pouvait compter sur lui mais, cet homme-là ! Line avait l’impression qu’il parlait une langue invisible dont elle entendait l’appel derrière sa façon insistante de la regarder. Il disait : « je t’écoute, Line ». C’était tout, comme le murmure de la rivière, aussi réconfortant que ça. Un immense soulagement l’envahit. Quelque chose l’inondait de l’intérieur. C’était de la confiance.

Cécile cesse de se mentir à elle-même

Cécile vit sa fille se détendre. Depuis sa première rencontre avec Thomas, il y a quelques mois, elle appréhendait le moment où elle devrait lui présenter Line. Même si, au fil de leurs séances, Cécile s’était convaincu que s’il existait une personne capable de les aider, ce serait lui. Chaudement recommandé par Camille, la fille de Winston, Cécile était d’abord allée le voir pour parler de sa fille. Au départ, elle ne pensait pas en venir à parler d’elle-même, de ses troubles de l’enfance, de traumatismes dont elle n’avait jamais pris conscience. Mais, peu à peu, l’évidence s’était imposée : les types de symptômes concordaient. Et, le seul moyen de comprendre ce qui arrivait à sa fille était de livrer ses plus anciens secrets. Cécile s’était tellement battue pour cacher ses horribles obsessions, ses stigmates aussi, aux yeux de tous, qu’il fut très difficile de s’ouvrir à lui. Mais plus ils avançaient, plus ils se rendaient compte qu’elle avait vécu ces engourdissements à la frontière des rêves, ces flottements qui annonçaient la transformation de la réalité. Il était maintenant si simple d’en tirer les conclusions qui s’imposaient : Line lui parlait de ce qu’elle-même avait vécu à son âge. Certes, avec ses mots d’enfant, mais Cécile ne pouvait plus fermer les yeux et avait même une soif de comprendre qu’elle avait toujours refoulée.

« Le besoin de se protéger de notre puissance vous a aidé à survivre. C’était nécessaire. Vous n’avez rien à vous reprocher, Cécile. » Voilà comment Thomas la rassurait. Enfant, elle était persuadée de la réalité de ses songes. Cécile sentait la matière se fondre avec son corps. Elle voyait le dédoublement s’opérer : son petit corps parfaitement immobile, endormi dans son lit, tandis qu’elle-même se déplaçait sans effort en traversant les murs. Très vite, elle rencontra d’autres personnes sous cette forme évanescente. Des personnes qui lui parlaient et la guidaient dans un monde aussi réel que le sien, si sensible aux pensées qu’il se transformait selon sa volonté. Elle se souvenait avoir appris à parler aux choses, aux espaces, à la matière, au point qu’ils pouvaient se modifier selon son bon vouloir. Elle avait aussi visité d’autres pays, appris tant de choses… Avait-elle su faire ça en vrai ? La question était restée en suspens dans sa tête, sans chercher à y répondre vraiment, jusqu’à aujourd’hui. C’est que la peur était restée intacte, depuis le jour où, à son réveil, la réalité l’avait rattrapée. Elle n’avait alors que cinq ans.

Cécile se réveilla dans un lit d’hôpital, une aiguille plantée dans le bras, reliée à des machines, un masque sur le visage. Sa mère, à ses côtés, était en pleur. Elle comprit que ses voyages avaient des conséquences sur sa vie, et que ce n’était pas normal. Depuis ce jour, elle combattit de tout son être le monde des sons et des vibrations qui l’entraînait de l’autre côté du miroir. Quand Line commença à lui parler d’Alice au pays des merveilles, une peur viscérale l’avait envahie. Petite, Cécile s’était, elle aussi, identifiée au personnage de Lewis Carol. Depuis, elle savait que ce récit relatait en partie les hallucinations vécues par l’auteur lors de ses crises. Lewis Carol souffrait d’épilepsie du lobe temporal. Ce ne pouvait pas être un hasard si Line manifestait une véritable obsession pour l’héroïne de ce conte. Elle s’était alors confiée à Camille, la fille de Winston, qui était neurologue. Ensemble, elles avaient débattu de longues heures sur des questions de psychologie et de neurosciences.

La toute première séance à l’air libre

Cécile s’aperçut soudain que Line et Thomas avaient quitté la pièce. Elle les entendait discuter sur la terrasse par la porte vitrée laissée ouverte. Elle se leva. Prise d’étourdissements, elle dû s’appuyer contre le mur avant de les rejoindre. Assis côte à côte sur une des marches du perron, ils étaient face à la mer, lui tournant le dos. La propriété avait un jardin arrière qui s’arrêtait au bord de la falaise et ne possédait nulle barrière. Mais Thomas n’avait pas entraîné Line plus loin que la terrasse. L’étendue d’herbe rase et quelques arbustes épars, permettaient d’admirer l’horizon à perte de vue. C’était d’une beauté à couper le souffle, si calme, si reposant. Au cours de ses visites, jamais elle n’avait soupçonné l’existence de ce havre de paix. Elle se sentait tellement déconnectée, soudain. Décidément, sa fille était au bon endroit.

— Et, tu vois les gens de plusieurs côtés à la fois ?

— Oui, confirma Line, mais je peux aussi les voir à plusieurs endroits en même temps. Quand ils étaient petits, par exemple.

— Ça te fait peur ?

— Non, mais eux ça leur fait peur quand je leur dis. Élise est très fâchée si je lui raconte ce que je vois. Alors, moi aussi je me fâche.

— Toi aussi tu es très fâchée ?

— Bah oui, parce que je vois la colère chez tout le monde. Je déteste ça. La colère, elle rend tout noir et ça j’aime pas du tout. Je veux m’en aller si vite que tout bouge très fort autour de moi. Tout le monde a peur.

— Comme tout à l’heure ?

— D’habitude, ça bouge, mais personne ne voit. Au parc, c’est le sable qui s’est fâché. Il bougeait dans tous les sens, il a attaqué de partout, ça faisait très mal. Je n’ai pas bougé le sable, moi.

— Il t’a attaqué aussi ? Tu as des marques rouge sur le visage, ça fait encore mal ?

— Oh oui, dit-elle en effleurant son visage encore marqué, comme s’il avait reçu de minuscules coups de fouet. C’est pour ça que je n’aime pas le noir, j’avais peur qu’il m’attaque. Aujourd’hui, c’est ce qu’il a fait.

— Tu aimerais apprendre à te protéger, ou à empêcher que ça bouge ?

— Oh oui, j’aimerais beaucoup beaucoup !

J’arrête là cet épisode, bien que j’aurais aimé vous raconter comment le Docteur Jay propose à Line un exercice qui lui permettra de s’ancrer dans la réalité en jouant avec son inconscient. Elle devra s’entraîner chaque soir à se déplacer consciemment en manipulant ses souvenirs à l’aide de son imaginaire. Ensuite, une réunion de famille s’impose. Le groupe se constitue autour du père, Antoine, qui fera office de cerveau, en référence au « groupe », véritable organisme vivant, magistralement orchestré par Álex Pina, le réalisateur de « La Casa de papel ». La suite au prochain numéro…

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Le Rencard de la bête

Haria s’enfonçait plus profondément dans les ruelles sombres du quartier de Mélopol. Espace labyrinthique du vieux centre, il formait une poche bien délimitée. Au sud par ses passages malfamés et à l’est par les quais ensemencés de caisses, où il s’y jetait littéralement comme pour échapper au reste de la cité.

Pause lecture

Bonjour tout le monde ! J’espère que vous prendrez autant de plaisir à lire cette petite nouvelle que j’ai eu à l’écrire. Vous y trouverez du suspense, de l’amour et un soupçon de violence. À déguster sur le pouce en moins de 20 minutes chrono !

INSTINCT

Vers qui se dirigeait-elle ainsi ?
"J'ai voulu représenter l'oppression de la ville et du quartier de Mélopol, pour qu'Haria y soit comme engloutie." Julien Leroux

Haria s’enfonçait plus profondément dans les ruelles sombres du quartier de Mélopol. Espace labyrinthique du vieux centre, il formait une poche bien délimitée. Au sud par ses passages malfamés et à l’est par les quais ensemencés de caisses, où il s’y jetait littéralement comme pour échapper au reste de la cité.

Mélopol était l’âme fiévreuse de la ville de Léopoldo. Haria savait qu’il n’était pas sage d’y pénétrer. Depuis son plus jeune âge, Mélopol était l’objet de sombres mises en garde et d’oracles sibyllins.

Elle s’était pourtant promis de ne pas aller jusque-là, de ne pas même aller où que ce soit avec lui. Au mieux, s’amuser, au pire, s’en laver les mains ! Ça lui aurait fait du bien de suivre cet adage.Mais son côté fouineuse de cervelle avait encore eu le dessus. Il lui semblait qu’elle réglait ici un problème à elle. Un de ceux qui mijotent au fond du cerveau, et dont on voudrait terminer la cuisson. Pour le manger et grandir.

Haria atteignait la rue des Dames lorsqu’elle cessa d’y réfléchir. Les sens en éveil, elle misait sur son instinct pour déceler les prédateurs ‒ un intrus, lointain ou proche, susceptible de la détecter. Cette aptitude naturelle et sûre s’était développée à la campagne, lors des promenades qu’elle s’obligeait, enfant, à accomplir au crépuscule. Elle apprenait de l’invisible à se détourner des dangers.

Alors pourquoi éprouvait-elle le besoin de batifoler avec cet homme dont la situation délicate l’écœurait ? Mais qu’avait-il besoin, aussi, d’insister ? Ne retournait-il pas la situation en sous-entendus trompeurs sur ses envies inassouvies ‒ de prétendus appétits qu’elle ne s’avouerait pas ? L’indélicatesse du personnage ! Haria était justement très à cheval sur ses positions et n’éprouvait nul besoin de répondre aux tentations sournoises orchestrées par une société consumériste ! Quelle société faisait croire à un troupeau de bêtes qu’il avait besoin d’assouvir ses appétences sexuelles ? Le caractère inévitable de l’envie inassouvie, bien-sûr !

Malgré tous ses efforts, Haria se retrouvait encore une fois confrontée à ce discours sournois, anachronique mais permanent, comme forgé dans le roc. Et ceux qui rampent en font leur bave. Ah ! De besoins, on en avale à tous les repas ! Du simple tas de coupons publicitaires aux plus complexes évidences amoureuses ! L’embrouillamini le plus complet invite les sociétés de marketing à exploiter toute la gamme du désir. Soif d’amour, de reconnaissance, l’essentiel qui rend fou ! Elle en était là de son agitation fiévreuse, lorsqu’elle sentit une présence sur sa gauche ; elle abordait le tournant de la ruelle.

Le piège sans surprise d’une tragédie romantique

Ralentissant, Haria adopta une attitude détendue et concentrée, le temps d’anticiper de possibles points d’impact. Vers qui se dirigeait-elle ainsi ? Elle distingua quelques voix étouffées, plutôt guillerettes, un rire fluet. Rien de menaçant, en somme. Elle assura son pas et osa un regard détaché à hauteur du croisement mal éclairé. De jeunes garçons se donnaient l’accolade en échangeant quelque substance illicite. Mais des silhouettes imposantes s’approchaient du groupe. Elles forçaient l’allure et les jeunes détalèrent aussi sec dans sa direction. Haria eut juste le temps de bifurquer sur sa droite.

Cachée dans un renfoncement de porte, elle se fondait, discrète, dans la pénombre de l’impasse. La voilà la bête coincée dans un cul de sac. Mais son cœur n’était pas affolé. Tandis que le bruit des galops s’échappait de leur course feutrée, Haria se demandait plus que jamais, pourquoi ce rencard dans un bar animé du vieux quartier ? Pour se fourrer dans les problèmes ? En réalité, Haria savait très bien pourquoi. Ici, personne ne pouvait le reconnaître et le trahir. Elle avait donc accepté. Pour éprouver le frisson du rendez-vous romantique.

Haria n’avait pas refusé toutes ses avances et il avait trouvé son point faible. Elle se sentait si faible ! En fait, comme la plupart des humains qui l’entouraient, Haria manquait d’assurance et se bourrait d’incertitudes. Elle faisait partie de la minorité d’inadaptés qui trouve dans l’art un exutoire à la folie. Certes, elle n’associait plus la drogue à sa tactique de survie, ayant suffisamment pâti de tout cela pour s’en vouloir sortir. Oh, elle avait très peu goûté aux substances dangereuses ! Un tronçon de sa vie avait traversé le shit et exploré les univers déformés du champignon ; elle avait même circulé dans l’invraisemblable monde noir de la consommation de synthèse ! Il est vrai qu’elle avait eut la curiosité d’expérimenter les pilules du bonheur ‒ une autre façon d’avilir la nature de ses gènes.

Rahan avait vite compris qu’au-delà de ses anciennes dépendances, en deçà de sa vie de femme affranchie de toute âpreté, lui restait, de temps en temps, l’envie furieuse de se laisser glisser hors de sa nouvelle liberté qui, au fond,  bafouait son amour fou, sa passion insolente, sa fureur d’être. Rahan l’avait appâtée par un petit matin d’été avec son bout de suc marron. Surprise, ravie, minaudant, elle avait cédé gentiment. Aujourd’hui, elle appréciait ces moments d’intimité que seuls fumées et contes savent combler d’une amitié simple.

Puis, la complexité des sentiments s’insinua et ils consentirent à ce qu’elle convenait parfois avec des garçons. Comme toujours, dans ces cas-là, Haria n’en tira aucun plaisir. Un arrière-goût de regret même, se mêlait au dédain que lui inspirait une parade sexuelle déliée d’amour fou, passionnel, éternel ! C’est qu’elle n’y pouvait pas grand-chose, elle manquait de légèreté. Accrochée au voile déchiré de l’enfance, Haria s’efforçait de le recoudre.

Maintenant, à chacune de leur rencontre, elle partait dans des tirades interminables sur l’inutilité de leurs tête-à-tête. Dans ce jeu d’égos, Haria et Rahan trouvaient tout de même leur équilibre. L’amitié leur faisait du bien. Un bonheur court se forme, une bulle sécurisante au cœur du tumulte quotidien. Alors, pourquoi bousculer ces habitudes tranquilles, ces parenthèses secrètes de modestie et prendre soudain rendez-vous dans un monde chargé de drames ?

COLÈRE

Les prédateurs noctunes frappent les âmes blessées

Haria reconnut la bande des poursuivants, par leur façon de se déplacer et les intonations lourdes qui sortaient de leur gouaille. Elle retenait son souffle, la mâchoire crispée et les muscles tendus. À l’affût de la plus petite proie ‒ et elle était bien placée pour en être ‒ Haria les sentait capables de la détecter. Sa détermination évinça toute tergiversation pour concentrer son esprit sur sa position. Le piège était grossier. Elle rentra son bras gauche en arrière, tâtant du bout des doigts le bouton de porte sur laquelle elle s’adossait. Elle l’enclencha doucement sans parvenir à entrer.

Elle entendit toutefois un bruit, quelqu’un à l’intérieur peut-être. Attentive, elle réitéra son mouvement de clenche avec plus de douceur encore, comme si elle envoyait un message en morse pour qui l’écouterait derrière. « Ouvrez-moi », souffla-t-elle, insistant à mesure que quatre hommes s’infiltraient dans le noir qui la couvrait.

‒ Mais oui ! lança l’un d’eux en tendant le cou. C’est une poule égarée qu’on a dégauchée !

‒ On la sent à des kilomètres !

‒ On s’refait, au final ! On gagne à s’la mettre au bout, celle-là.

‒ Salut ma jolie, tu t’es cassée ?

‒ Ah ! Ah ! Ah ! Ah !

Leurs aboiements hilares l’enrageaient. Mais son attention restait fixée sur la clenche. Elle la tournait sans s’exciter sur le mécanisme, persuadée qu’il y avait quelqu’un derrière. Ne pas se retourner vers cette satanée porte était le seul moyen de s’en sortir. Ne pas succomber à l’envie frénétique de la défoncer à coup de pieds. Si elle leur tournait le dos, elle était foutue.

‒ Allez, viens ma cocotte ! On va t’ reconduire.

‒ T’as d’la choune qu’on t’dégotte là !

Ils s’étaient rapprochés. Si prêts qu’Haria se retrouvait asphyxiée par leur haleine chargée. L’un d’eux finit par lui accrocher le bras et l’attira violemment dans le cercle étroit qu’ils formaient à eux quatre.

Haria se débrouillait toujours pour ne pas attirer les charognards autour d’elle, d’une chaloupée ou d’un regard en biais, elle les défiait de loin, même de très loin parfois, pour qu’ils se désintéressent et dévient. Préoccupée par ses incertitudes, assurée qu’elle était de se faire mener en belle, cette fois-ci, elle s’était fait piéger. Bousculée, pressée, tentant de ne pas trop mouliner des bras et exciter les ravageurs, Haria avait deux choix : la porte ou la rue. Ils étaient serrés en bloc, à se bousculer torse contre torse autour d’elle, lui écrasant jusqu’à la plus petite partie de son corps pour en tirer le plus gros morceau.

Haria s’aidait de toutes ses forces pour ne pas tomber, s’aveuglant dans la nuit afin de percer la brèche par où détaler. Elle perdait du terrain sous les coups. Les intrusions de la meute se faisaient plus blessantes ; leur acharnement finirait par payer. Elle sentait qu’ils allaient gagner quand une lueur infime la fit se tordre les cervicales. C’était une fente colorée, un bâton de braise, la porte entrebâillée ! De ce côté-ci du piège la pierre était fendue. Elle se contorsionna pour l’ouvrir un peu plus, jouant des épaules tout en attirant ses bras plus au-devant d’elle.

Quand Haria sentit le mouvement de leur masse se recaler sur l’arrière, elle sut que c’était maintenant ou jamais. Elle baissa férocement la tête vers les genoux, dégagea son bassin pour pivoter et fuir à reculons comme un boulet en direction de la porte, qu’elle défonça de son dos courbé. À peine atterrissait-elle lourdement sur les fesses, qu’elle vit s’engouffrer les visages hideux de ces sales bêtes. Un corps noir et puissant lui barra cette vision d’horreur ; des cris, des râles, des bruits de lutte emplirent l’espace confiné d’un corridor, juste au dessus de sa tête la guerre faisait rage.

Derrière le trou de la souris l’obscurité persiste

Immédiatement, Haria glissa vers le fond en s’aidant de ses pieds, de ses mains, en s’esquintant le dos, telle une limace blessée propulsée dans une course éperdue. La porte claqua. Les assaillants en tapaient rageusement le battant, vociférant leurs menaces immondes. Les verrous se déplièrent d’un coup sec, et la clameur mourut. Mais le sauveur, dans l’ombre, attendait que le tonnerre cesse. Immobile, l’oreille collée au bois, son crâne, garni d’une chevelure hirsute restait caché derrière de larges épaules rondes. La bande d’aliénés finit par se perdre en invectives gazeuses. Il lui semblait qu’elle bavait sur la perte lamentable de leur prise.

Haria se recroquevilla contre le mur du fond, scrutant l’obscurité saturée de la respiration rauque de l’homme.

‒ J’les connais ces salauds, y reviendront me faire chier. Mais c’est des lâches. Reviendront pas ce soir.

Il grommelait en pénétrant dans la seule pièce éclairée d’une télévision. Une lumière clignotante s’en échappait jusqu’au couloir où Haria se terrait. Elle n’avait pas bougé. Groggy, déracinée, elle n’osait penser à ce qui venait d’arriver, et encore moins à ce qui pouvait advenir désormais.

Il revint tout aussitôt, un verre à la main, grommelant toujours. Haria perçut une masse informe et ténébreuse qu’un éclat dansant s’amusait à parcourir sans en révéler les contours. Changeante et chaotique, elle semblait s’être échappée d’un centre qui absorbait toute l’énergie des lieux. Le liquide que contenait le verre scintillait comme un point de mire qui se reflétait sur l’ombre charbonneuse de cet homme, comme s’il était la cible d’un tireur embusqué. Cette hypotypose lui arracha un sourire cynique et lui permit de respirer plus facilement.

‒ Tiens, bois ça, j’l’ai tirée du robinet. Et attend un peu avant de te défiler, y guettent peut-être.

Haria prit machinalement le verre d’eau, sans rien voir, sans penser à se lever, à rentrer. Sa main trembla. Ses doigts glissaient sur le verre qu’elle refusait de porter à ses lèvres, elle n’en avait pas envie. Elle était secouée. En fait, elle tremblait de l’intérieur. Surprise, elle se focalisa sur son état.

‒ Rien de cassé, au moins ?

Pas de réponse. Il lui reprit le verre et proposa de l’aider à bouger. Haria secoua nerveusement la tête.

‒ Bon, fit-il simplement, la plantant là pour retourner à sa télé qui retrouva la parole. Au bout d’un long moment, Haria capta que c’était un western. Le bruit des galops et des coups de feu ne l’avaient pas frappée jusqu’à ce qu’elle s’en rende compte. 

Un cowboy égaré clapit au fond du corridor

Elle sentit son petit sac toujours accroché sur le dos. Alors, avec une lenteur infinie, elle en dégagea les bretelles et sortit son portable. Rahan répondit à la première sonnerie.

‒ Bah t’es où ? Tu te dégonfles ?

‒ Écoute, je suis piégée dans ton foutu quartier. Viens me chercher. Monsieur ! Donnez-moi l’adresse d’ici s’il vous plaît !

Haria l’entendit se soulever du sofa, comme pris dans un duel, à grand renfort de grincements. Il s’encastra finalement dans la lumière et projeta son ombre sur elle. L’homme mâchouillait quelque chose de craquant. Il émit un bruit sourd qui semblait dire « qu’est-ce t’as ? ».

‒ L’adresse d’ici, répéta-t-elle prosaïquement.

‒ Mu hum…

Déglutissant, il semblait hésiter, intrigué peut-être. Il l’observait, livré à la question. Haria, coupée de toute réalité dans l’obscurité, l’imaginait seulement. Elle attendit sa réponse, comme absente, son portable plaqué sur l’oreille.

‒ Deux, impasse Licorne, près de la rue aux oubliettes. Il y eut un blanc au bout du fil, Rahan retenait certainement les mots qui lui mouillaient le palais.

Haria attendit dans l’ombre. Retourné à son film, l’homme ne l’avait pressée d’aucune question. Elle supposa qu’il attendait aussi la suite. Mais il lançait des soupirs excédés sans qu’elle pu deviner pourquoi.

Rahan arriva dare-dare. Il n’avait pas encore cogné à la porte que le sauveur bondît de son canapé comme s’il était simplement posé sur le rebord d’un des bras. Il se posta avec une rapidité de militaire contre le judas de l’entrée. Lorsque Rahan frappa, l’homme dit à voix basse : « Blond, les cheveux en bataille, blouson en cuir clair. » Haria était une grande fille noire au crâne rasé. Elle répondit « oui ». Alors, d’un geste mécanique et rapide, il actionna les verrous en faisant le plus de bruit possible.

Mais son élan s’arrêta là. Il dit simplement « elle est au fond du couloir », et s’en revint au salon, laissant la porte ouverte et Rahan sur le seuil. La télévision se tut et une lumière jaune barra le couloir. Rahan pu découvrir Haria qui faisait un effort pour se lever. Sonné, il hésitait sur la marche à suivre.

‒ Ça va ? murmura-t-il à l’adresse d’Haria. Elle, se levant avec difficulté, s’accrochait aux murs. Lui, n’osant la rejoindre avant qu’elle ne lui parle, s’approchait tout de même, circonspect, quand un cliquetis sonore retentit. Ils se figèrent tous deux, agrippés l’un à l’autre au blanc de leurs yeux. Caché dans la pièce éclairée, l’homme exprima d’une voix haute et puissante cette singulière pensée : « Ces branleurs ! Savent pas qu’ça résonne à en crever l’tympan, hein ? Cette pétarade c’est du pipo ! Quand on tire ça explose ! Ça bruite comme la mort, mes couillons ! »

PURGE

L’amour naît aux abords du précipice

Son ombre revint à contre-jour avaler Haria et Rahan. Ils s’étaient rapprochés l’un de l’autre et pensaient partir à l’instant par l’ouverture béante de ce corridor. C’était sans compter sur notre locataire, dont la silhouette se découpait sur les lueurs dansantes : il brandissait une arme en une posture triomphante.

‒ S’ils reviennent, ils comprendront ce que c’est qu’un coup de revolver. C’est pas dans les westerns ! Pas vrai ma fille ? Et toi, le blondinet, t’as déjà goûté aux délices d’une bonne détonation ? Haria s’était ressaisie. Se redressant sur son séant, elle était bien décidée à moucher son farouche défenseur.

‒ C’est heureux que vous n’ayez pas sorti votre pétoire ! Les voisins n’auraient pas bougé le petit doigt, même si j’avais grouiné comme une truie qu’on égorge. Alors que vous, sans un bruit, vous avez fait preuve d’une efficacité redoutable, digne d’un escadron. Je dois vous remercier pour ça.

Gonflée d’orgueil, la silhouette imposante s’avança encore d’un pas. Rabaissant son bras vengeur, il paraissait plus menaçant encore.

‒ C’est bon fillette, casse-toi d’ici et revient plus traîner dans l’coin, t’en perdrais les oreilles ! T’es pas d’Mélopol ! T’as rien à foutre aux oubliettes !

Un silence de mort suivit sa tirade, dégommée avec une telle rage qu’elle s’acheva par des intonations nasillardes et tremblotantes. Tout son corps palpitait de fureur. Un mutisme angoissé s’empara d’Haria. Au bord de l’hystérie, elle se cramponna aux doigts de Rahan. Jamais, depuis leur rencontre, ils n’avaient eu l’envie de se tenir la main. Elle s’étonna presque que cette pensée l’effleure alors que la colère et la peur lui paralysaient le cerveau. Mais rien n’existait plus que ce lien distant ‒ contrenature ‒ qui se tissait entre eux et se synchronisait, coordonnait une action sans concertation : échapper au pire, dévier le danger qui les empêchait de fuir, ne pas mourir. Cette nécessité les obligeait à ne faire qu’un.

Rahan sentait la main crispée d’Haria trembler. Du bout de ses doigts engourdis, il répondit à ses muettes imprécations, lui certifiant de réagir en conséquence. Il avait déjà son idée quand l’homme, figé jusque-là, dévisageant Haria de ses yeux fous, radoucit sa face par un rictus complaisant, une sorte de sourire linéaire, une grimace édifiante de bonhomie en croisant le regard de Rahan.

‒ T’es pas du quartier, toi non plus, pas vrai !? J’te vois pas crécher dans l’coin, ajouta-t-il mielleux.

Il était nonchalamment accoudé contre le chambranle de la porte, dans la posture du voisin amical qui s’appuie sur sa bêche au coin de son portail. Faire un brin de causette. Mais l’air incisif de ses pupilles assurait du contraire.

L’homme appuyait un poing sur sa cuisse, et marquait de l’autre sa plus belle possession. Le canon abdiquant provisoirement vers le sol.

‒ J’ai idée qu’t’es là pour éviter d’cloquer des connaissances, articula-t-il sournoisement, délayant le filet de sa bouche en une courbe lunaire.

L’homme bougeait les extrémités de ses lèvres en attendant la riposte. Une réplique en guise de prolongation. Rahan se devait de retourner le jeu en sa faveur. La partie était entamée, entre Haria et son mastodonte hideux, dégoulinant de satisfaction, prêt à mordre sous ses airs de repos.

‒ Je suis en territoire vierge, balança-t-il avant de s’en mordre la langue. Je m’appelle Rahan, reprit-il en guise de rattrapage, j’ai mes raisons, c’est vrai.

‒ Et j’la connais, j’la renifle ton histoire. Y a pas mieux qu’ici pour élaguer la concurrence. C’est la purge ! Et toi tu viens là en t’disant : « ici y a personne à dégager, pas de parasites en vue ! » C’est sûr. Chez nous on coupe, on taille en pièces.

Et voilà qu’il repartait à se marrer grassement.

 ‒ Vous êtes élagueur ?

‒ Qu’est-ce ça te fait de savoir ?

‒ Vous savez pourquoi on élague les arbres ?

‒ Chuis du métier depuis mes 14 ans, mon couillon. Y a un temps que c’était pas aussi brutal. Y a bien une époque on soignait. Maintenant, on charcute, on fait des ablations. Aujourd’hui, si tu veux savoir, on veut pas les voir grandir les vieux arbres, on les abat comme des chiens ou on leur coupe les couilles ! répondit-il d’une traite, se redressant d’une légère secousse d’enthousiasme.

‒ Exact ! l’engagea Rahan en imitant son subtil mouvement d’épaule qui lui conférait un air dégagé. Imaginez des arbres gigantesques, dont la majesté écraserait notre orgueil. C’est de la rage. On a toujours peur qu’ils nous dépassent !

‒ C’est bien possible. Y a pas un seul arbre à Mélopol qu’a pas une tronche de champignon.

L’homme médita un instant. Puis, sans un mot de trop, il s’effilocha. D’abord, ses clavicules s’affaissèrent obstinément. Ensuite, ses yeux dilatés plongèrent dans le vide comme des ballons crevés, et de microscopiques bulles salivaires perlèrent sur ses lèvres.

Rahan serrait toujours la main d’Haria lorsqu’ils quittèrent l’endroit. Le moment était venu de prendre congé.

Ils louvoyaient dans les rues malfamées de Mélopol, jusqu’aux quais où s’enfonçaient des couloirs de conteneurs. Haria s’adossa à l’un d’eux et demanda pourquoi il lui avait donné rendez-vous là. Rahan la souleva à quelques pas du sol et ne songea pas à répondre. Elle s’accrocha aux poignées de la boîte. Il lui offrait ce qu’elle avait dénigré jusqu’alors, s’insinuant avec une certaine douceur au plus profond de ses doutes. Mais le besoin de savoir ne se contenta pas du plaisir reçu. S’étant acquittée du plaisir partagé, Haria s’échappa de l’étreinte et reprit la question.

‒ Tu peux bien me l’avouer, tu avais quelqu’un à y voir, en passant ?

Rahan finit par réagir en articulant nettement. « C’est justement le contraire ! Pour se voir quelque part, je ne pouvais pas prendre le risque nous faire repérer. » Par qui ? Par une personne qui me reconnaîtrait. C’est le lot d’un homme marié, quand même ! Haria sourit. Quelle ironie ! Quelle leçon ! Haria devait bien goûter aux conséquences de ses choix. En prendrait-elle la mesure ?

Parfois, elle revit Rahan. Ils discutaient quelques minutes de ce qu’ils faisaient de leur vie. Mais, nul besoin de parler de cette liberté gagnée, par une nuit volée dans les affres de la réalité suspendue.