À quoi nous sert la vérité sans notre responsabilité ?

Je pense que sans ce sentiment de responsabilité, nous ne parviendrons pas à regarder la vérité en face pour en faire quelque chose. En faire quoi ? C’est ce que nous découvrons ici.

Hier, je concluais mon article en parlant de cette « vérité » officiellement révélée par les monsanto papers. Une vérité qui est une donnée précieuse, dont la pureté peut être appréhendée bien différemment selon l’opinion qu’on s’en fait. C’est là que la difficulté réside, ne nous le cachons pas. J’aimerais aujourd’hui explorer ce qu’on peut tirer et comprendre de ce type de vérité.

Maintenant que nous disposons de la vérité, qu’allons-nous en faire ?

connaissance de soi
S'inclure dans l'équation du vivant. Photo de Gerd Altmann : "Connaissance de soi"

Cette vérité est une force qui doit nous mener à une analyse plus objective : comment fonctionnent les décisions politiques et économiques aujourd’hui ? Comprendre la mécanique des lobbys, sans cet habituel revers de main quand on les « évoque », c’est apprendre à se regarder en face. Car, le problème que nous n’arrivons décidément pas à surmonter, c’est de nous inclure dans l’analyse. Identifier l’ennemi n’est qu’une première étape. Maintenant que nous disposons de données tangibles pour analyser un système de gestion auquel nous participons, nous passons à la deuxième étape : comprendre les mécanismes que nous avons mis en place. Ce « nous » permet de la franchir. Par la recherche de notre intégrité intellectuelle. Pour cela, notre sentiment de responsabilité doit faire partie de l’équation. Ainsi, nous accepterons de regarder la réalité en face sans la peur de se sentir coupable. Le système en place s’appuie sur cette peur.

La vérité sans responsabilité ne passe pas l’étape de la compréhension

Une fois notre responsabilité engagée, pourrons-nous vraiment reconnaître, connaître et analyser le problème ? « La vérité est dans la nuance, dans la précision », rappelle Idriss Aberkane dans sa dernière vidéo (désolée si le lien ne marche pas. Il l’a mise en ligne au moment où je boucle cet article. Elle sera peut-être censurée quand vous lirez ces lignes). Je pense que sans ce sentiment de responsabilité, nous ne parviendrons pas à regarder la vérité en face pour en faire quelque chose. En faire quoi ? Un monde plus juste ? Encore un ? Imaginez qu’on puisse suffisamment être connectés pour construire ensemble une analyse objective, nuancée et précise — intègre, en clair — de la situation, quelle serait donc la troisième étape ? Encore une révolution ? Aucune idée, c’est dans l’ordre des possibles. Sincèrement, je pense que la troisième étape appelle une connexion réseau.

Paradoxalement, la fiction aide à comprendre une vérité à multiples facettes

Séralini conclut son livre en précisant qu’il bosse maintenant en réseau, se déplaçant pour ses recherches aux quatre coins du monde, là où sont les collègues indépendants et les infrastructures de pointe. La France ? Il y garde ses amis, sa famille, mais semble bien éloigné du système qui l’habite. Pour reprendre le dessus et récupérer ce qui nous échappe, il n’y a qu’un moyen d’agir : se compter, s’organiser, et construire un réseau de travail. Comme vous le savez, le travail, c’est la santé, encore faut-il lui donner un sens profond. Pour moi, la fiction a ceci d’exceptionnel qu’elle nous plonge dans l’intimité du système aussi sûrement que si nous y étions infiltrés. Les cadres dirigeants de Monsanto ont une vie, eux aussi. Des peurs, des addictions, des croyances et des rêves. Ce ne sont pas des extraterrestres. Et, ceux qui roulent pour eux (médecins, scientifiques, chercheurs) ne sont pas forcément des traitres à la patrie.

La fiction est un outil aussi fascinant que dangereux

Vous savez parfaitement que le confort est un piège dont on ne sort pas en rêvant d’acheter la dernière Peugeot Sport. Je joue la provocation mais, la fiction peut user de ce genre de caricature. C’est louable. Ça anime l’histoire. Par contre, là où l’auteur doit faire attention, c’est quand il en oublie la complexité humaine qui est masquée par les effets de la caricature. Ça arrive à tout le monde tout le temps. Seulement, c’est aussi de cette façon que la caricature sert de fabrique d’opinion. La fiction n’est pas exempte d’une nature à double tranchant. C’est aussi un fabuleux outil de falsification, de manipulation très prisé pour assurer l’adhésion des foules. Allez, pas de panique, on s’en sort à tout âge, suffit de partir à la recherche de sa responsabilité. Ça fait du bien et ça remet les choses à plat pour accéder à la réalité, pour la voir, l’accepter, la comprendre, et savoir enfin comment s’y engager.

La fiction peut-elle éclairer les eaux troubles de notre système ?

La fiction donne l’opportunité de comprendre le système qui régit notre société d’aujourd’hui. Elle peut en établir un calque plus digeste

Dès que j’entre dans le processus d’écriture fictionnelle, j’ouvre paradoxalement mon champ de vision. Je me transporte d’un individu à l’autre, d’une conviction à l’autre, d’un allié à un ennemi. La fiction est le monde des possibles. Là, je ne parle pas du fantastique, mais de l’opportunité qu’elle donne aux auteurs et à leurs lecteurs. Disons même que la fiction offre la capacité de naviguer aisément sur toutes les eaux, des plus claires aux plus troubles. Comment ça marche, au juste ?

Nous avons la capacité de naviguer sur les eaux noires de Monsanto

exploitation chimique
La fabrique du mensonge. Photo de Gordon Johnson

D’abord, nous avons assez de preuves pour décortiquer le fonctionnement de la fabrique du mensonge de l’internationale firme Monsanto. En effet, les fameux monsanto papers (dont je parle dans les épisodes précédents) montrent noir sur blanc que les dirigeants et cadres de Monsanto soudoient un nombre important de scientifiques renommés pour qu’ils rédigent de faux rapports d’expertise pour confirmer l’innocuité de leurs produits. Que Monsanto ait été condamnée pour fraude criminelle, malveillance, publicité mensongère, conforte notre enquête. Le plus fort, dans cette « Affaire Roundup », c’est que nous avons maintenant les échanges internes (mails, courriers, sms) de la firme. Nous savons comment fonctionne l’ennemi. C’est un déferlement de stratégies mafieuses. Une première dans l’histoire de l’industrie chimique (à part les quelques condamnations de Nuremberg) ! Par contre, nombre de ces documents sont encore classifiés au nom de la propriété intellectuelle. On n’a donc pas accès au pire.

Avec Séralini, nous pouvons barboter dans les eaux libres de la réalité

les eaux libres de la science internationale
La liberté naît souterraine. Ici, les eaux libres de la science internationale

Ensuite, nous avons notre héros : Séralini, qui nous livre son « histoire vécue ». Dans le reportage d’envoyé spécial de 2019, que Séralini nous invite à voir (ou à revoir), nous voyons la mascarade du vote pour l’interdiction du glyphosate (le gentil nom donné aux pesticides de Monsanto, qui cache la réalité de sa composition : 4000 substances toxiques dont pétrole et arsenic, à l’effet cocktail assuré). Cette interdiction, promesse de campagne du candidat Macron, est proprement sabotée par le président lui-même, au nom de sa cohérence politique. On n’est pas dans un film. D’ailleurs, c’est à se demander si le rôle de la fiction aujourd’hui n’est pas d’établir un calque parfait avec la réalité. Toujours est-il que pressions et arrangements semblent être un système organique au sein du gouvernement actuel. En tout cas, je pense que, les preuves de l’affaire Monsanto doivent être religieusement examinées.

La fiction génère l’émotion et humanise le système politique

l'adn humain
Regardons avec émotion les personnages d’un système politico-scientifique qui se joue de nous aujourd’hui. Photo de Schäferle Elias

Enfin, la magie de la fiction peut opérer. Nous pouvons essayer de plonger dans le monde onirique de la réalité. Grace à la fiction, nous pouvons naviguer dans ce que Séralini appelle « la science de pacotille d’une écœurante malhonnêteté ». Et, regarder avec émotion les personnages d’un système politico-scientifique qui se joue de nous aujourd’hui. En vrai. Car, il y a fort à parier que le système d’emprise et de domination mafieuse mis à nu par les « monsanto papers » en 2018, soit le même système au sein des commissions d’experts chargés de communiquer les données, rédiger les conformités et orienter les directions en 2021. À un détail prêt : le président Macron fait partie de la bande. Avant, en République, le chef d’État devait composer avec le reste de la classe politique. Aujourd’hui, notre classe dirigeante est clairement plus réduite, avec les coudées franches. Mais nous restons des hommes, et nous pouvons les comprendre.

.

De « Hold Up » à « L’Affaire Roundup », prenons la voie de la fiction

la fiction étend le temps

Bref, la fiction joue le rôle de système digestif. Quand j’ai vu le documentaire « Hold Up », cet hiver, j’ai compris ce que le journaliste (oui, Pierre Barnérias est un journaliste) cherchait à comprendre. Face aux réactions, j’ai bugué et je me suis dit : Barnérias a raison, il est temps de se mettre au boulot et fissa ! Suite à ce reportage, j’étais enthousiasmée. Puis, j’ai déchanté face au pujilat médiatique et aux réactions démesurées. J’ai alors réfléchi, un peu en mode déprime, à la manière de me mettre au boulot. Et c’est là que j’ai lu Séralini : « L’Affaire Roundup à la lumière des monsanto papers ». Les révélations de l’affaire Monsanto méritent que la fiction s’en empare. Notre cœur est de fait moins blessé en approchant la vérité à travers la fiction.