L’intrigue se profile

Une secrétaire sous influence

Sophia était l’égérie des trois garçons, une représentation spontanée de leurs envolées créatrices.

Elle chuchotait vite, la mine grave. Soudain, elle leur jeta un coup d’œil énigmatique avant de s’éloigner d’un pas vif pour revenir sur ses pas, le téléphone toujours collé à l’oreille. Elle attrapa son sac échoué au pied d’Issam. « Désolée, les gars. Je dois vous laisser. On se voit ce soir. Bye. »

‒ C’est pas croyable ! J’en ai marre de ce trou du cul. Sérieusement, je peux plus le sentir, s’emporta Kevin, l’air mauvais. Elle nous laisse en plan. Pourquoi elle ne lâcherait pas le morceau avec ce bouffon ? Elle en fait exprès, ma parole !

‒ C’est vrai que ça devient inquiétant. On devrait cuisiner Émilie.

‒ La secrétaire ? T’as un tiqué avec elle ou quoi ?

‒ Non, pas moi, mais Marc, si. Elle l’a à la bonne. Tu te rappelles, l’année dernière quand il lui manquait un point ? C’est elle qui a plaidé en sa faveur.

‒ Sans déconner ? Comment une secrétaire peut te faire passer en deuxième année ? Si tu veux mon avis, c’est du vent.

‒ Non, mon vieux, Émilie a fait l’école d’art de Lille. Elle s’y connaît. Et, elle a de l’influence sur Milo.

‒ Tu m’en diras tant. Ça vaut le coup d’essayer.

‒ Oui, on va se mettre dans la partie.

Sophia était furax. Milo ne la lâchait pas et il commençait à tirer sur la corde, ce salopard. C’était du chantage pur et simple. Il allait s’en mordre les doigts, ce gros con.

Nourrissez-vous de suspense

Okay, là, je peux continuer comme ça. En général, c’est ce que je fais : j’écris, j’écris, j’invente… Pourtant, désormais, la méthode sera différente puisque vous êtes là. Je vais opter pour la réflexion en amont. J’ai peur de m’éloigner du système d’immersion dont je parle dans mon bonus. L’immersion consiste à se plonger dans le monde de la fiction, on se glisse au plus près de ses personnages. On est en direct, sans prendre de hauteur. Jour après jour, on fait la Une ! On alimente le suspense. On se cache le moins possible derrière sa propre vie. On tient le rôle.

Elle a des super-pouvoirs. Dans ma tête, c’est obligatoire. J’adore les histoires de super-héros. En tout état de cause, nous devons suivre le changement, travailler la situation de départ. Je vais poser les jalons, reprendre le début. J’ai pensé qu’on serait mieux à commencer l’histoire au moment où elle passe le concours d’entrée, mais l’important est de savoir comment Sophia vivait avant son arrivée à l’école et comment s’est passé la première année. On doit avoir le plus d’indices possibles.

Le « Big Problem » à poser

Alimentons le hors-champ

Sophia sait ce qu’elle veut. Rien qu’à son attitude, elle change la donne autour d’elle. Disons qu’aux Beaux Arts, c’est ce qui s’est passé. Insoumise, ne se laissant jamais influencer par l’autorité… À part avec son psychanalyste, peut-être. Parce qu’il y a un rapport affectif ? Je ne le sais pas encore, mais elle se laisse forcément influencer… elle serait dépendante de lui, alors, parce qu’il l’aide vraiment ? C’est à déterminer. Quoi qu’il en soit, Sophia a un problème, un BIG PROBLEM : elle a des pouvoirs. Mais, ils ne se manifestent pas avec clarté. Mon héroïne transforme la matière. C’est une sorte d’alchimie. La pluie tombe, ce matin. Et, quand j’écris le mot « alchimie », je m’arrête net. C’est le thème du bouquin d’Eschbach que je lis en ce moment : « L’Or du diable ». Qu’est-ce qui s’est passé à l’École d’Art ? 

Une révolution, une rébellion, un imperceptible vent de contestation ? Au contact de Sophia, les étudiants ont envie d’adhérer à sa perception des choses. Pas consciemment mais, rapidement, leur état d’esprit change. J’aimerais aussi lui inventer une relation privilégiée avec un prof de dessin passionné qui est en porte-à-faux avec la pédagogie du directeur. Il s’appellera Landru (si j’y trouve un sens). Tout va très vite chez Sophia. Tout ce qu’elle initie s’enchaîne à toute vitesse. Elle n’y peut rien et n’y pense pas vraiment. Du moins, tel qu’on saurait l’envisager nous-mêmes. Sophia a des problèmes qui la positionnent à un niveau de réflexion différent des autres. Avec Landru, le contact s’est enclenché immédiatement. Une critique, une répartie, qui en entraîne une autre, et les deux compères se lancent dans des expérimentations loufoques pour étayer leurs théories.

Qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez elle ?

Sophia n’est pas un superordinateur. Si, malgré tout, elle devait en être, elle serait un ordinateur quantique. Elle est « connectée ». Ses calculs s’opèrent à un niveau énergétique, faisant contribuer la matière et les êtres vivants qui l’entourent à la bonne marche de ses affaires. Elle n’hésiterait pas à renverser l’organisation du système entier pour garder sa connexion au Tout. Parfois, le chaos s’ensuivrait après son passage, comme si sa présence pouvait faire exploser les tensions contenues au sein d’un groupe.

Je vous parle de mes idées sur le personnage mais, je risque de vous paraître obscure. C’est que je n’ai encore que des idées éparpillées, des touches de pinceau sur une esquisse vaguement crayonnée.

Je dois être influencée par « Maître de la matière », que j’ai lu l’hiver dernier : la matière, les vibrations, les ondes porteuses, les nanobots. Quelles directions prendront mes recherches ? Je n’en sais pas grand-chose. Je suppose qu’elles prolongeront celles que j’ai amorcées depuis mes premiers écrits. À savoir : les mondes invisibles et le mystère du vivant par l’approche du fantastique. Rien de bien révolutionnaire. Et ce n’est pas l’effet recherché. Je me pose les mêmes questions que la plupart d’entre-nous sur notre origine, notre rapport à la Création, à la beauté, à l’art, à la nature et à nous-mêmes. Sophia incarnera nos doutes et nos contradictions sur ces questions. Elle n’hésitera pas. Un héros, c’est bien fait pour ça, non ?

Au commencement le point Zéro

Le Point Zéro n’existe pas

Mon premier article de cette rubrique hors normes (mais pas hors limites, au contraire !). Je n’ai pas dormi de la nuit. Depuis le début de ce projet, j’étais certaine d’avoir mon point zéro, l’idée de départ dont je parle dans mon bonus. Cependant, hier soir, j’ai décidé de commencer de zéro, pour appliquer à la lettre les conseils donnés dans mon guide de démarrage. C’est dommage. Lina, mon héroïne, je l’aimais bien. Après réflexion, je me suis dit que ce serait plus facile de démarrer mon roman sans me parasiter avec du déjà écrit. 

Vous me verrez trimer. Je vais me mettre à nue. Avec mes fausses pistes et mes questionnements. Partant de rien. Pour ça, je change de bar. J’en ai trouvé un avec du bon café (et de la mousse, je kiffe la mousse dans mon crème) à 1,50 euro. C’est dans le quartier Saint François, en face des quais. Maintenant que le décor est planté, je me lance à l’aveuglette, sans rien vous cacher. C’est parti pour la séance d’écriture number one ! Dernière chose : avant, j’ai regardé la trilogie des films « Le Labyrinthe ».

Sophia « La Favorite »

Sophia s’entretenait au téléphone avec le directeur de l’école. Kevin et Issam, assis à la terrasse de « La Favorite », la regardaient s’éloigner avec inquiétude. Ses problèmes avec la direction ne dataient pas d’hier. Sophia avait dû en essuyer, des plâtres, depuis leur entrée. Elle avait même été suspendue en deuxième année, mais elle avait réussi , Dieu sait comment,  à être réintégrée quelques jours après. Depuis, Sophia semblait nourrir une relation très spéciale avec André Milo, le directeur de l’École d’Art du Havre. Kevin et Issam sentaient qu’il y avait de l’eau dans le gaz. Certains se vantaient de savoir ce qui se passait entre eux. Pourtant, même ses deux meilleurs potes ne savaient pas ce qui se tramait vraiment. Pour eux, Sophia était une grande artiste qui pourrait assurer des expos personnelles et lucratives si elle le voulait. Elle rétorquait que ça ne l’intéressait pas. Ils habitaient à quatre, Kevin, Issam, Sophia et Elliot, dans un vaste atelier où ils avaient aménagé une mezzanine XXL. C’était un lieu fréquenté et recherché où Sophia jouait un rôle étrange. Sorte d’égérie du groupe, elle attirait les étudiants en mal de sensationnel.

Sympa le décor C’est jalonné !

STOP ! C’est bien, Alice. Tu as posé une partie du décor, c’est déjà pas mal. Vous voyez le principe ? J’ai une petite scène et quelques jalons. Là-dessus, je m’aperçois que je m’inspire d’éléments de ma vie, que j’ai une jeune héroïne et un premier mystère. J’allais dire quelque chose d’important, alors je reprends. Où en étais-je ? Ah, oui, je m’égarais un peu dans la narration. En effet, si je continue comme ça, c’est moi qui raconte et c’est moins dynamique. Je voulais dire que Kevin et Issam se doutent qu’elle bosse ailleurs qu’à l’atelier. Elle a des périodes d’absence dont elle ne souffle pas un mot. Secret défense. Malgré tout, les quatre mousquetaires sont toujours

fourrés ensemble à faire les 400 coups. Mais, une idée doit être » racontée ». Par exemple, Elliott débarque et c’est eux qui prennent le relais de la narration. Une conversation animée s’engage et repasse le fil des derniers événements. Ils se disent tout mais Sophia a ses secrets. « Où est Sophia ? Elle revient dans quinze jours. Elle avait l’air comment ? Préoccupée. Merde ! Un jour, j’ai peur qu’elle ne revienne pas. Qu’est-ce qu’elle peut bien fabriquer, encore ? Tu sais que j’ai déjà pensé à la suivre ? Pfff… Elle te repérerait illico. Et, elle serait bien capable de te tuer pour garder ses secrets. Ouais, t’as pas tord. »

Ça ouvre des perspectives…

Au fur et à mesure, j’aimerais que le lecteur comprenne que Sophia n’est pas comme les autres. L’exemple de ce dialogue sans contexte, écrit juste pour vous, montre que si cette fille peut les « repérer illico », c’est qu’elle a un sixième sens, une capacité hors normes.