Choisir l’enjeu de son héros

Dans un roman, la toute première question, dont découleront les questions de situation, de placement de décor, est bel et bien l’enjeu. Pour rappel, l’enjeu est ce que le héros risque de perdre et, qui plus est, risque d’appartenir au gagnant. La lutte, le combat et le jeu (le « je ») sous-tend n’importe quel récit.

Quel est le plus gros enjeu pour Mia ?

Je sais, les questions de départ seraient : de quoi va parler le roman de Mia, qui est-elle, sous-entendu, d’où vient-elle et avec qui vit-elle ? C’est ça qui forge une identité : où et avec qui on grandit, non ? Peut-être, en apparence, peut-être… Le « où » veut dire sur quel territoire socio-économique, sous-entendu aussi sous quel régime politique.

Là, on pense avoir une petite idée de la personne, en sachant avec quoi elle se débrouille pour vivre ou, pour être plus clair, dans quelle galère elle s’embarque. Et son entourage en dit long aussi : par qui est-elle initiée à survivre dans son milieu ?

La lecture d’un roman est une prise de risque

Mais, dans un roman, la toute première question, dont découleront les questions de situation, de placement de décor, est bel et bien l’enjeu. Pour rappel, l’enjeu est ce que le héros risque de perdre et, qui plus est, ce qu’il risque de laisser au gagnant. La lutte, le combat et le jeu (le « je ») sous-tendent n’importe quel récit. C’est donc la question number one à laquelle je dois répondre et l’essentiel de ce que nous aurons à décortiquer tout au long de l’aventure de Mia, notre héroïne en devenir. C’est la clé de notre quête !

Le lecteur est comme le turfiste, il place sa mise

Pour une héroïne de roman, la question qui prime, la question essentielle, c’est : « le plus gros enjeu ». Qu’est-ce qu’elle met en jeu de plus essentiel et qui mérite d’être suivi par nous, lecteurs ? On est comme des fadas de course hippique et on a misé gros sur ce cheval-là ! Bah oui, on sait des trucs, et on croit dur comme fer à la victoire, mais on a les tripes retournées jusqu’à la ligne d’arrivée.

Voilà pourquoi on aime lire un « putain de bon roman ». J’aime les romans populaires sacrés en tous genres.

Pourquoi on aime lire un « putain de bon roman » ? Photo de Klimkin

L’identité n’est-elle qu’un leurre menant à la médiocrité ?

D’ailleurs, si on se posait la question de ce que nous mettons en jeu dans notre propre vie, on y verrait tout de suite plus clair. Mais bon, ça ne se fait que rarement tellement on a le nez dedans.

La provocation du « Miracle Morning »

Entre parenthèse, j’ai entamé le bouquin d’Hal Elrod « Miracle Morning », il n’a pas peur d’affirmer que 95 % d’entre nous passons royalement à côté, reléguant notre vie à la médiocrité qu’on lui dédie, certainement par mégarde. Il parle du niveau moyen auquel on se croit obligé de se soumettre. Une sorte de loi sociale invisible ? Qui sait. Il parle aussi de cette vie extraordinaire qu’on n’est pas prêt à s’autoriser, à part dans les rêves et les livres.

Ok, passons pour cette fois. Je vais plutôt répondre à la question de départ : quel est le plus gros enjeu pour Mia ?

Mia est une fille qui a une identité à assumer, jusque là rien de très original mais faut bien commencer par le plus fondamental, l’unique et l’indéboulonnable socle de tout bon « putain de roman ». Sa place n’est pas claire, elle débarque dans un monde nouveau. Pour elle, la civilisation est le monde extraordinaire.

Le héros part toujours de son monde ordinaire, généralement décrit au début du roman et se lance ou se voit propulsé dans « le monde extraordinaire », l’inconnu. Quand ce monde inconnu est le monde ordinaire du lecteur, je trouve ça plus drôle. Et c’est ce que je vais faire pour ce roman. En tant que française, l’Europe est censée être mon monde ordinaire, la civilisation connue, mais j’ai tout à découvrir de l’Albanie et des pays limitrophes. 

Le basculement vers l'inconnu - Photo de Lorraine Cormier

Le romancier offre une marche vers l’inconnu

Enfin, je suis française, née au Havre, mais je n’ai jamais posé le pied à Lyon, par exemple. Bien sûr, le concept romanesque du monde ordinaire, opposé au monde extraordinaire, n’a rien à voir avec ces considérations-là… plus ou moins. Le romancier sera cependant amené à découvrir le chemin de toutes les réalités inconnues qui nourrissent son histoire. La quête des réalités multiples nourrit continuellement son travail et il est censé s’en délecter. C’est ce processus-là qui fera de lui un chercheur heureux et accompli, surfant sur l’infinie possibilité de son imagination.

Mia est déracinée, elle se retrouve expatriée et isolée dès son plus jeune âge dans l’hémisphère opposé. De l’Amazonie, elle est propulsée en Europe de l’Est, en plein cœur d’une des dernières forêts primaires de notre territoire, en Bosnie. Ça nous donnera l’occasion de découvrir que les discours de Macron sur l’Amazonie est l’arbre qui cache la forêt.

brume forestière
"Nous fumons à outrance tout prêt de notre cancéreux hexagone"

Au plus près de nous, la négation de notre monde

D’une, le fruit de l’exploitation outre-Atlantique profite aux besoins des européens. De deux, nous détruisons jusqu’aux dernières parcelles de nos forêts primaires européennes. Les informations politiques orientent notre regard et, contrairement à ce qu’elles nous font croire, l’Europe de l’Est, c’est chez nous. Aurons-nous le temps de le comprendre avant la destruction totale de notre patrimoine naturel ? La faune et la flore sauvage est exploitée illégalement et en toute impunité, le saviez-vous ?

L’Europe, notre poumon enfumé

Macron a beau jeu d’accuser le Brésil d’irresponsable. Nous n’avons plus rien a sauver en France, nous n’avons plus de poumons. Ailleurs, en Albanie, au Kosovo, en Serbie, etc. l’exploitation du charbon s’intensifie. Nous n’avons plus de poumon en France, nous fumons à outrance tout prêt de notre cancéreux hexagone mais qui le sait ?

Alors, tenez-le pour dit, nous possédons, nous aussi, des espèces sauvages braconnées à outrance, sans contrôle ni réglementation respectables ! Nous avons, nous aussi, des forêts à défendre, des territoires merveilleux détruits par une politique énergétique absolument scandaleuse, où la Chine et d’autres pays lointains investissent dans le charbon. Ils polluent à des taux qui vous donneraient la nausée si on vous en informait.

Ça fera partie des enjeux secondaires dans les aventures de Mia. Mia a une vie mouvementée, c’est une aventurière.

Mia sera notre humanité oubliée

Bien sûr, Mia a un côté humain, une petite part de victime. L’humain est comme ça, il lui faut sa part de blessures, de fêlures, de fragilité qui accroche le lecteur et qui en fait un être inachevé, contradictoire et donc accessible à tous. C’est la partie atomique, suspendue à un fil ‒ cassera, cassera pas, vous me suivez ? Ses origines ont disparu. Sa mère et ses piliers de naissance sont inconnus, perdus dans la nuit de la petite enfance par des circonstances politiques que personne ne connaît.

Mia trouvera son roc, un homme possédant toute l’infrastructure nécessaire à son épanouissement. C’est Mirko, son sauveur, son mentor, son père adoptif. Mais, on ne grandi pas sous l’aile d’un condor sans devoir composer avec la famille condor. Et quelle famille !

Les conséquences de la relation père/fille

Mirko Petrovitch est un parrain albanais de la pire espèce. Sans scrupules, il est à la tête d’un empire et Mia sera forcément aux prises avec les forces du mal. Dans ces conditions, être l’héritière illégitime n’est pas forcément une sinécure. Comme dans le célèbre roman de Jean Van Hamme où l’aventurier Largo Winch débarque à la mort de son père adoptif aux commandes d’un conglomérat,  Mirko fera tout pour cacher l’adoption de Mia. Tiens ! Largo aussi vient d’Europe de l’Est.

L’héritière illégitime du parrain

Mia aura à se battre pour garder sa place d’héritière mais la similitude s’arrête là pour le premier tome puisque Mirko est loin d’être mort. Le plus gros enjeu pour Mia est bien de s’affirmer mais auprès de son père. Je veux que leur rapport soit l’enjeu de départ. Probablement parce que ma propre relation avec mon père a été l’un des plus gros enjeux de ma vie.

L’enjeu contextuel de la haute illégalité

Mon père était brillant, charismatique, et nous avions une relation privilégiée et imposante qui dirigea la majeure partie de ma vie. Pour revenir au contexte fictionnel du premier tome de mon roman en construction, nous jouons dans la cours des grands.

le parrain albanais
"Mia sera forcément aux prises avec les forces du mal"

Nos forêts sont en morceaux

La scène d’ouverture devrait se situer en Serbie, loin de toute civilisation, en pleine forêt primaire. Il reste aux européens un peu plus d’un million d’hectares de forêts primaires répartis en minuscules morceaux sur 34 pays. Ça ne fait peut-être pas lourd comparé à la forêt amazonienne, mais ce n’est pas une raison pour faire comme si elles n’existaient pas. Une telle position de notre part laisse le champ libre aux pilleurs de tous poils.

Notre héritage naturel est nié, caché, violé dans l’ombre

Mia débarque ensuite dans les montagnes du nord de l’Albanie. Je me régale d’avance à la perspectives des recherches à mener sur ces territoires oubliés, pourtant si proches de nous, et pas seulement géographiquement. Les montagnes albanaises furent le théâtre de bien des combats dont celui de la résistance au fascisme pendant la deuxième guerre mondiale. Le saviez-vous ? Probablement pas. Ça me fait penser que nous avons délibérément coupé nos liens historiques et culturels avec l’Est pour des questions de stratégie politique (et donc énergétique). Économiquement, « l’Europe » peut ainsi se permettre d’exploiter ses bases arrière en endormant notre vigilance. Ces zones de non-droit sont à la merci des trafics en tous genres et nous en profitons avec une innocence angélique et perverse (l’angélisme n’est-il pas autre chose que de la perversité déguisée, et l’ignorance de l’hypocrisie inconsciente ?). J’aimerais déterrer les cadavres.

je ressors les cadavres du placard
Le roman exhume nos secrets. Photo d'Arzao

L’Europe est réelle et je veux la voir

Au fil du récit, j’aimerais imaginer le futur qui nous attend si nous ne prenons pas la responsabilité de notre ignorance programmée. Oui, c’est bon ça, on aura peut-être le temps de se préparer au pire, ce sera au moins ça. Et d’informer les albanais de ce qui les attend s’ils persistent à croire que « l’Europe » va les aider. Peut-être qu’elle les aidera, après tout, si « l’Europe » devient « nous-qui-savons ». Et si on commençait par se détourner du doigt pointé vers l’horizon opposé, à 10.000 kms de chez nous, pendant que nos dernières forêts se font massacrer à quelques 1.000 d’ici ?

Donc, quel est le plus gros enjeu pour Mia ? Sauver nos fesses s’il n’est pas trop tard en mettant aux orties les histoires qu’elle se raconte.