Super-héros et contre pouvoirs : la face cachée de l’écriture de fictions

L’auteur de fictions doit prendre le taureau par les cornes et se plonger sérieusement dans un travail de recherche. L’invention d’un super-héros nécessite autant de précautions que n’importe quelle innovation sérieuse.

Bonjour à tous ! J’aimerais aujourd’hui vous faire un point sur ma méthode d’écriture, puisque deux mois se sont écoulés depuis le démarrage de notre roman. D’abord, les séances du matin ont bien l’immense avantage d’imposer un rythme d’écriture et d’apporter une motivation constante. Car, jour après jour, on voit l’histoire avancer et les personnages vivre, même timidement. Pourquoi « timidement » ? En fait ce ne sont pas les personnages qui vivent timidement. C’est plutôt l’auteur qui, au commencement, partage timidement le vécu de ses personnages. Oui, il se peut qu’il tâtonne dans un univers qui ne lui est pas familier.

L’écriture de notre récit entre dans une phase d’exploration de la réalité de nos superpouvoirs

exploration de nos superpouvoirs - magie
"On trouve un nombre grandissant de scientifiques prêts à témoigner de la réalité des phénomènes paranormaux" - Magie de Yabadene Belkacem

L’invention des personnages pousse à chercher des témoignages

Depuis le début de ce défi (voir « Le Projet Line » : tous les épisodes), je vous ai partagé le résultat brut de mes séances d’écriture. Dans cet épisode 7, notre héroïne rencontre un nouveau personnage : le docteur Thomas Jay. Psychiatre un peu spécial, le docteur Jay mesure déjà les dimensions invisibles auxquelles Line est capable de se connecter. Pour écrire la scène qui va suivre, je me suis inspirée d’un livre de William Buhlman. Dans « Voyage au-delà du corps : l’exploration de nos univers intérieurs », William Buhlman décrit ses expériences de sorties de corps. Comment, de sceptique, il est venu à s’intéresser aux voyages astraux et à expérimenter le passage de sa conscience hors du monde physique.

L’écriture lance des pistes vers le vrai travail de recherche

Après deux mois d’écriture, il est temps pour moi d’aller plus loin et plus méthodiquement dans mes investigations. À un moment donné, l’auteur de fictions doit prendre le taureau par les cornes et se plonger sérieusement dans un travail de recherche. L’invention d’un super-héros nécessite autant de précautions que n’importe quelle innovation sérieuse. Cette semaine, j’ai listé un certain nombre de bouquins à lire pour me plonger dans la littérature scientifique qui associe le paranormal et le quantique. Aujourd’hui, on trouve un nombre grandissant de scientifiques prêts à témoigner de la réalité des phénomènes paranormaux, pourquoi m’en priverai-je ? J’ai terminé le premier : « Les Preuves scientifiques d’une vie après la vie – Communiquer avec l’invisible » du Docteur Jean-Jacques Charbonier.

Le témoin scientifique se transforme en personnage inspirant

Heureusement, mon rôle n’est pas de tenter de confirmer ou d’infirmer ses propos mais d’entrer dans la tête d’un personnage inspirant, et les anecdotes qu’il raconte dans son livre, comme ses démonstrations et ses idées, apportent de l’eau à mon moulin. Il y aura dans le roman des scientifiques de tous bords, et il est essentiel pour nous de pouvoir nous appuyer sur du concret et sur le vécu de personnes réelles. Nous sommes tous plus ou moins conscients de vivre cette « dissonance cognitive » dont parle Charbonier. Il nous arrive de vivre des phénomènes inexplicables, aussi insignifiants soient-ils, qui s’opposent à nos connaissances, à notre raisonnement ou à nos croyances, et provoquent inconsciemment un repli défensif. Ce qui revient à minimiser, voire à nier, le phénomène au niveau cognitif (de la pensée).

Inventer une super-héroïne qui rivalise avec les géants américains...

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La création d’un super-héros est une invention sérieuse

super-héros- ninja lune
"L’invention d’un super-héros nécessite autant de précautions que n’importe quelle innovation sérieuse."

Les blocages propres à la culture française briment la création des super-héros

La création d’une super-héroïne est une démarche ludique, mais elle n’a rien d’anodin. Le super-héros incarne un personnage spirituel fortement symbolique. Sa création implique forcément des intentions cachées. Je pense sincèrement que les français méritent qu’on ouvre enfin les vannes et qu’on détruise les barrages. Jean-Jacques Charbonier rapporte une anecdote intéressante après Les Premières rencontres internationales consacrées à l’expérience de mort imminente à Martigues en 2006. Une équipe de France 2 vient l’interviewer pour le journal de 20 heures mais, au lieu de diffuser son entretien, la chaîne fait passer un « expert » qui n’y connait rien au sujet. « Eh oui, souligne-t-il, les scientifiques ne sont pas les seules personnes atteintes de dissonance cognitive, les journalistes sont aussi grandement touchés par cette pathologie du raisonnement ! » Habitué à la censure, le Dr Charbonier évoque aussi l’enseignement fermé des écoles françaises de médecine, qui s’explique notamment par l’influence honteuse des lobbies pharmaceutiques. C’est un problème dont je suis tout à fait consciente, et qui me scandalise depuis bien trop longtemps.

Le super-héros est un trait d’union entre les mondes

« La plupart de nos contemporains, explique-t-il encore, pensent que tous ceux qui s’intéressent au paranormal sont des allumés ou des farfelus, et ils rangent volontiers dans le même tiroir, avec un incroyable mépris, médiumnité, spiritisme, télépathie et autres phénomènes inexplicables comme les NDE (Near Death Experience : expérience de mort imminente ou EMI) » Pourquoi est-ce que je vous relate les propos de Charbonnier ? Parce qu’un auteur doit décortiquer l’intention qui se cache derrière l’écriture de son roman. Et notre super-héroïne, au-delà de sa vocation à nous faire vivre des émotions fortes, a le rôle d’incarner une ouverture vers les questions fondamentales autour du lien existant entre la science et le divin, entre la raison et l’irrationnel, entre la pensée matérialiste et notre spiritualité.

La recherche et la connaissance alimentent, façonnent et dirigent notre récit de fiction

Là, les séances d’écriture révèlent enfin leurs limites. Voilà qu’à présent de nouvelles idées vont s’ajouter et imposent d’emblée un changement notable dans la forme du récit. Si j’ai commencé l’histoire de Line à trois ans, lui faisant vivre prématurément l’élément déclencheur (voir la scène clé du bac à sable de l’épisode 6) et la rencontre avec son psychiatre (relatée ici dans cet épisode), il s’avère inutile de persister à considérer Line comme une enfant de 3 ans, même surdouée. D’ailleurs, mon fils Anton me l’a plusieurs fois fait remarquer. Maintenant, à la lumière de ma dernière lecture, j’ai déjà en tête que Line va d’abord se voir imposer une batterie de tests auprès de scientifiques raisonnables qui ne prennent pas en compte l’aspect paranormal de ses capacités. Le docteur Jay sera une bouée de sauvetage pour elle. Line sera d’abord traitée comme une enfant à problèmes, avec des symptômes à traiter. Le conflit avec sa mère sera d’autant plus fort que cette dernière se sentira coupable de ne pas oser s’y opposer.

La réalité dépasse souvent la fiction. Mettez le doigt dessus et vous ne manquerez pas d’idées

superman

Les éléments de recherche alimentent la structuration du récit

Les idées avancées par certains d’entre vous, chers co-écriteurs, auront bel et bien leur place dans ce premier roman qui relate les origines de Line d’Haranguier. Point de vue méthode d’écriture, les nouveaux éléments de recherche obligeront à des ajustements : les scènes déjà écrites seront intégrées à un nouveau contexte. Line aura environ six ans lorsqu’elle rencontre le docteur Jay, et non pas trois. Ça me donnera le temps de positionner les ennemis dont j’ai esquissé les traits. Certes, je n’ai pas encore publié les séances qui les mettent en scène, mais je peux néanmoins vous dire que l’idée d’une île isolée, habitée par une tribu n’ayant aucun contact avec l’extérieur, a fait son chemin (voir l’épisode 1). Repérée il y a 30 ans par la fondation Prôteús, dirigée par un magna de la finance, les enfants de ce peuple primitif furent enlevés et étudiés en secret pour en faire des « sujets psi ». J’ai découvert ce terme sur le site de Jean-Pierre Girard.

Les révélations des uns alimentent la fiction des autres 

Jean-Pierre Girard raconte son parcours hors norme en tant que « sujet psi » auprès de la CIA et ce qu’il sait de l’utilisation de la pensée sur la matière dans le monde de l’espionnage. Et j’ai bien l’intention, à l’issue de ces trois mois de recherche et d’écriture, d’aller l’interviewer. En attendant, nos ennemis se précisent et l’origine des pouvoirs de Line également. La scène du bac à sable va faire réagir toute la famille, mais pas seulement. La mère de Line, originaire des Philippines, a été adoptée dès ses premiers mois. Personne ne sait qu’elle vient de l’île, sauf nos fameux ennemis qui l’ont perdue par un malheureux concours de circonstances. Après avoir tenté de la récupérer, ils décidèrent de la surveiller de loin et d’infiltrer l’un de leurs agents dans son entourage. En conséquence, ils repérèrent aussitôt la grande démonstration de pouvoir opérée par Line dans le bac à sable. C’est là qu’ils vont entrer en action et entrer avec fracas dans la vie des d’Haranguier.

C'est quoi son nom, déjà ?

LINE D'HARANGUIER
unique !


Line n'est pas seule...

Suis-nous !
unique !

Malgré les apparences, un auteur n’écrit jamais seul

réseau de relations
"Aller aussi loin que notre inconscient nous le permettra..." - Photo de Gred Altmann

Son intention s’ajuste et se précise par le dialogue

J’aimerais vous faire remarquer que, ces dernières semaines, je n’ai pas beaucoup sollicité Anton, mon jeune co-auteur. Mais, l’aventure n’en est qu’à ses débuts. J’ai beaucoup à lire et à écrire. Les 3 mois impartis sont surtout là pour nous booster et pour m’obliger à faire le maximum jusqu’à la fin janvier. À cette date, nous devrons parvenir à une vue d’ensemble structurée : établir l’enfance de Line, une super-héroïne qui pourra démarrer son adolescence sur de bonnes bases ! Ainsi pourra-t-elle devenir le fer de lance d’une aventure où elle deviendra adulte et indépendante, détentrice de valeurs qu’elle pourra revendiquer haut et fort, s’appuyant sur une intention claire et un message explicite.

Ses préoccupations seront partagées avec le plus grand nombre

Vous l’aurez compris, derrière un roman de science fiction ou d’anticipation, nombre de questions existentielles peuvent être soulevées. D’ailleurs, « Les 7 lois spirituelles des super-héros » de Deepak Chopra en atteste. Chaque personnage nous interrogera sur les questions qui préoccupent l’auteur. Par exemple, Élise, la nourrice, prend pour moi une importance de plus en plus évidente. Je l’interroge, et elle m’interroge en retour. C’est un dialogue jusqu’à ce qu’on parvienne à comprendre de quoi on parle. À la lecture de « Secrets de l’art perdu de la prière » de Gregg Braden, je me dis qu’Élise va évoluer. Son rapport à Dieu, à la prière, et son regard empli de craintes face à Line, vont se transformer au cours de notre aventure, même si je ne suis pas encore certaine de la voie qu’elle va suivre.

Son implication sera totale et entière

L’avantage de faire des recherches pour approfondir l’intention réelle de l’auteur (moi, en l’occurrence) n’est pas à prendre à la légère. C’est même, à mon sens, l’essentiel du travail d’écriture d’un livre de fiction. Là est le support d’une réflexion qui ira aussi loin que l’inconscient nous le permettra. Tiens, en parlant de ça, je viens justement de m’inscrire sur une plateforme de formation en autohypnose appelée « Psychonaute » pour explorer cette dimension en expérimentant — si j’y parviens — certains états modifiés de conscience. En attendant, voici l’épisode 7 de notre aventure.. 

Épisode 7 – Après le choc, Line rencontre son plus grand atout : le docteur Jay

La vision de Line sur ce qui lui arrive

La voiture s’engagea sur la route de Ciboure vers le fort de Socoa et bifurqua à droite, rue du Phare. Elles arrivèrent dans une propriété située en bord de mer, une de ces demeures immenses et cossues possédant une vue imprenable sur les falaises de la corniche basque. Line était affreusement secouée par les événements. À trois ans, elle était capable de déceler les intentions des adultes et comprenait déjà qu’ils n’agissaient pas toujours comme ils le désiraient au fond d’eux. La plupart du temps, ce qu’ils pensaient au moment « T » changeait continuellement pour accueillir des idées nouvelles qui les empêchaient de voir clairement. Elle se trouvait alors à plusieurs endroits en même temps. De petites vagues d’air, comme des couches de brouillard, lui permettaient d’être à la fois elle-même, dans son corps, à entendre et à voir, et tout autour, dans la brume, pouf ! Elle était partout à la fois, captant toutes les subtiles raisons qu’avaient les autres d’agir et de parler. C’était fatigant. Souvent, elle décrochait, et refusait d’entendre le sens qu’ils donnaient à leur pensée. Progressivement, elle avait su coder les sonorités à sa façon, et les transformait en une voluptueuse musique qui la berçait calmement.

Line arrivait ainsi à s’extraire de la réalité. Peut-être en partie seulement. Il lui était même arrivé de traverser une ou deux couches supplémentaires pour se retrouver loin d’elle-même. À ces moments-là, elle perdait le contact avec ce qu’elle était l’instant d’avant, et atterrissait dans un lieu différent. Un jour, Line avait atterri dans l’enfance de sa propre mère, comme avec le chat. Winston lui avait expliqué qu’à ces moments-là, elle devait fermer tout doucement les yeux, amener lentement les mains vers son visage ou sa poitrine et mesurer où elle se trouvait réellement. Toucher de ses mains sa vie à elle, ce qu’elle voulait, ce qu’elle aimait vraiment. Il lui répétait que rien d’autre ne comptait. Oui, lui répondait Line, mais quand je suis avec maman, je pense si fort à elle que j’arrive pas à le faire. En fait, lorsqu’elle se sentait si loin, mettre ses mains sur ses joues la rappelait à elle-même, toujours. Grâce à ça, Line avait appris à voyager sans avoir peur de se perdre. Elle était seule au monde à pouvoir faire ça, lui avait dit Winston. Et il avait ajouté : « Je suis le seul à connaître ton secret ». Mais, Line savait qu’il en parlait à Camille. Winston faisait semblant que c’était leur secret à tous les deux, alors Line faisait semblant aussi. Le monde de Line était comme celui d’Alice : un pays des merveilles qui n’existait que dans le livre ; pas dans sa famille. Maintenant, Line n’en était plus si sûre. Est-ce que sa mère savait ? C’était bien la première fois qu’elle l’entendait y penser, comme si elle y était allée, et n’y était jamais retournée. A-t-elle pu se cacher dans la brume, devenir toute petite ou très grande ? Line se sentait complètement perdue.  Winston s’était bien trompé. Line fixait l’étrange maison aussi grande qu’un château. Elle était habitée par un homme qui connaissait son secret. De cela au moins, elle en était certaine.

Line reçoit une écoute inattendue

Lorsque Cécile ouvrit la portière, la mère et la fille se regardèrent intensément. Cécile avait une expression inhabituelle et Line l’interrogea du regard. Cécile en fut bouleversée. Il lui semblait que, pour la première fois, elle acceptait le lien qui les unissait, plus fort que tout ce qu’elle avait pu imaginer. Le moment était peut-être venu de faire semblant. De quoi exactement, Cécile n’aurait pu le dire en cet instant. Line tourna la tête vers la demeure tandis que Cécile détachait la ceinture de son siège. Le docteur Jay se tenait sur le perron.

— C’est qui ?

— C’est un médecin. Il ne t’examinera pas comme le docteur Deuvinet. Non, avec ce docteur-là, on parle.

— On parle, c’est tout ?

— Oui, c’est tout.

Cécile prit Line dans ses bras et parcourut la distance les séparant du docteur Jay qui n’avait pas bougé un cil. Elle le salua d’un « docteur » très solennel, ce qui impressionna Line, habituée aux grandes salutations affables de sa mère. Cécile était trop tendue pour jouer les débonnaires.

— Bonjour Line, j’avais hâte de te rencontrer. Cécile m’a beaucoup parlé de toi, tu sais. Elle m’a raconté tout ce que tu sais faire et je suis fasciné par ton intelligence.

Line n’était pas certaine de savoir ce que « fasciné » signifiait, mais elle était captivée. L’homme avait un visage avenant, des yeux vifs et rieurs, un corps plein de force, calme et, surtout, il n’avait pas un cheveu sur la tête. Pourtant, il n’avait rien d’un grand-père. Non, il était aussi vieux que papa.

— Bienvenue chez moi, Line. Mais entrez donc !

La maison était vaste et lumineuse. Rien de comparable à la sienne, bariolée de partout et encombrée d’objets accrochés dans tous les recoins. Ici, les espaces vides étaient rois et les peintures n’étaient que formes brouillonnes qui ne voulaient rien dire. C’était un mélange de formes et de couleurs qui accrochaient le regard pour le perdre dans des questions sans fin. Quelques motifs peints à même les murs servaient peut-être de réponse, ou de code secret. Ils étaient peints en gros traits noirs et formaient pour la plupart des personnages naïfs. Line en avait découvert dans les livres sur l’art primitif africain. Elle adorait les livres sur l’Afrique que Winston lui ramenait de la bibliothèque.

Ils s’installèrent enfin dans le salon. Il était inondé de lumière avec ses canapés de cuir blanc et sa grande table basse en verre épais. Cécile commença à raconter les événements de l’après-midi : l’histoire du tourbillon de sable. Alors, Line revit sa colère se répandre sur l’aire de jeux et lui revenir en plein visage, envahissant de flopées de sable sa bouche et son nez. Elle eut l’impression de suffoquer. Sa respiration devint saccadée, elle toussa comme pour recracher les derniers grains de sable restés coincés dans sa gorge. Cécile s’interrompit et caressa le dos de Line tandis que l’homme s’était levé et revenait déjà avec un verre d’eau. Il repartit aussitôt. Line but avidement, toussant encore et recrachant sur le sol ce qu’elle venait d’avaler. Le docteur revint avec une petite serviette blanche et lui caressa le visage avec, puis la bouche. Le linge était chaud et humide, il avait une odeur d’orange et Line se sentit mieux, instantanément. Il se servit de cette même serviette pour essuyer le sol et posa le linge souillé sur le bord de la table. Ce dernier geste étonna Line. Il avait agit avec calme et simplicité, et semblait avoir anticipé ce qui allait arriver. Line le regarda plus attentivement. Elle décela chez lui une envie véritable de lui venir en aide, de lui offrir une attention précise et spéciale dont elle avait immensément besoin. Ce besoin d’être comprise qu’elle n’avait jamais ressenti jusque-là. Bien sûr, Winston avait toujours été là, Line pouvait compter sur lui mais, cet homme-là ! Line avait l’impression qu’il parlait une langue invisible dont elle entendait l’appel derrière sa façon insistante de la regarder. Il disait : « je t’écoute, Line ». C’était tout, comme le murmure de la rivière, aussi réconfortant que ça. Un immense soulagement l’envahit. Quelque chose l’inondait de l’intérieur. C’était de la confiance.

Cécile cesse de se mentir à elle-même

Cécile vit sa fille se détendre. Depuis sa première rencontre avec Thomas, il y a quelques mois, elle appréhendait le moment où elle devrait lui présenter Line. Même si, au fil de leurs séances, Cécile s’était convaincu que s’il existait une personne capable de les aider, ce serait lui. Chaudement recommandé par Camille, la fille de Winston, Cécile était d’abord allée le voir pour parler de sa fille. Au départ, elle ne pensait pas en venir à parler d’elle-même, de ses troubles de l’enfance, de traumatismes dont elle n’avait jamais pris conscience. Mais, peu à peu, l’évidence s’était imposée : les types de symptômes concordaient. Et, le seul moyen de comprendre ce qui arrivait à sa fille était de livrer ses plus anciens secrets. Cécile s’était tellement battue pour cacher ses horribles obsessions, ses stigmates aussi, aux yeux de tous, qu’il fut très difficile de s’ouvrir à lui. Mais plus ils avançaient, plus ils se rendaient compte qu’elle avait vécu ces engourdissements à la frontière des rêves, ces flottements qui annonçaient la transformation de la réalité. Il était maintenant si simple d’en tirer les conclusions qui s’imposaient : Line lui parlait de ce qu’elle-même avait vécu à son âge. Certes, avec ses mots d’enfant, mais Cécile ne pouvait plus fermer les yeux et avait même une soif de comprendre qu’elle avait toujours refoulée.

« Le besoin de se protéger de notre puissance vous a aidé à survivre. C’était nécessaire. Vous n’avez rien à vous reprocher, Cécile. » Voilà comment Thomas la rassurait. Enfant, elle était persuadée de la réalité de ses songes. Cécile sentait la matière se fondre avec son corps. Elle voyait le dédoublement s’opérer : son petit corps parfaitement immobile, endormi dans son lit, tandis qu’elle-même se déplaçait sans effort en traversant les murs. Très vite, elle rencontra d’autres personnes sous cette forme évanescente. Des personnes qui lui parlaient et la guidaient dans un monde aussi réel que le sien, si sensible aux pensées qu’il se transformait selon sa volonté. Elle se souvenait avoir appris à parler aux choses, aux espaces, à la matière, au point qu’ils pouvaient se modifier selon son bon vouloir. Elle avait aussi visité d’autres pays, appris tant de choses… Avait-elle su faire ça en vrai ? La question était restée en suspens dans sa tête, sans chercher à y répondre vraiment, jusqu’à aujourd’hui. C’est que la peur était restée intacte, depuis le jour où, à son réveil, la réalité l’avait rattrapée. Elle n’avait alors que cinq ans.

Cécile se réveilla dans un lit d’hôpital, une aiguille plantée dans le bras, reliée à des machines, un masque sur le visage. Sa mère, à ses côtés, était en pleur. Elle comprit que ses voyages avaient des conséquences sur sa vie, et que ce n’était pas normal. Depuis ce jour, elle combattit de tout son être le monde des sons et des vibrations qui l’entraînait de l’autre côté du miroir. Quand Line commença à lui parler d’Alice au pays des merveilles, une peur viscérale l’avait envahie. Petite, Cécile s’était, elle aussi, identifiée au personnage de Lewis Carol. Depuis, elle savait que ce récit relatait en partie les hallucinations vécues par l’auteur lors de ses crises. Lewis Carol souffrait d’épilepsie du lobe temporal. Ce ne pouvait pas être un hasard si Line manifestait une véritable obsession pour l’héroïne de ce conte. Elle s’était alors confiée à Camille, la fille de Winston, qui était neurologue. Ensemble, elles avaient débattu de longues heures sur des questions de psychologie et de neurosciences.

La toute première séance à l’air libre

Cécile s’aperçut soudain que Line et Thomas avaient quitté la pièce. Elle les entendait discuter sur la terrasse par la porte vitrée laissée ouverte. Elle se leva. Prise d’étourdissements, elle dû s’appuyer contre le mur avant de les rejoindre. Assis côte à côte sur une des marches du perron, ils étaient face à la mer, lui tournant le dos. La propriété avait un jardin arrière qui s’arrêtait au bord de la falaise et ne possédait nulle barrière. Mais Thomas n’avait pas entraîné Line plus loin que la terrasse. L’étendue d’herbe rase et quelques arbustes épars, permettaient d’admirer l’horizon à perte de vue. C’était d’une beauté à couper le souffle, si calme, si reposant. Au cours de ses visites, jamais elle n’avait soupçonné l’existence de ce havre de paix. Elle se sentait tellement déconnectée, soudain. Décidément, sa fille était au bon endroit.

— Et, tu vois les gens de plusieurs côtés à la fois ?

— Oui, confirma Line, mais je peux aussi les voir à plusieurs endroits en même temps. Quand ils étaient petits, par exemple.

— Ça te fait peur ?

— Non, mais eux ça leur fait peur quand je leur dis. Élise est très fâchée si je lui raconte ce que je vois. Alors, moi aussi je me fâche.

— Toi aussi tu es très fâchée ?

— Bah oui, parce que je vois la colère chez tout le monde. Je déteste ça. La colère, elle rend tout noir et ça j’aime pas du tout. Je veux m’en aller si vite que tout bouge très fort autour de moi. Tout le monde a peur.

— Comme tout à l’heure ?

— D’habitude, ça bouge, mais personne ne voit. Au parc, c’est le sable qui s’est fâché. Il bougeait dans tous les sens, il a attaqué de partout, ça faisait très mal. Je n’ai pas bougé le sable, moi.

— Il t’a attaqué aussi ? Tu as des marques rouge sur le visage, ça fait encore mal ?

— Oh oui, dit-elle en effleurant son visage encore marqué, comme s’il avait reçu de minuscules coups de fouet. C’est pour ça que je n’aime pas le noir, j’avais peur qu’il m’attaque. Aujourd’hui, c’est ce qu’il a fait.

— Tu aimerais apprendre à te protéger, ou à empêcher que ça bouge ?

— Oh oui, j’aimerais beaucoup beaucoup !

J’arrête là cet épisode, bien que j’aurais aimé vous raconter comment le Docteur Jay propose à Line un exercice qui lui permettra de s’ancrer dans la réalité en jouant avec son inconscient. Elle devra s’entraîner chaque soir à se déplacer consciemment en manipulant ses souvenirs à l’aide de son imaginaire. Ensuite, une réunion de famille s’impose. Le groupe se constitue autour du père, Antoine, qui fera office de cerveau, en référence au « groupe », véritable organisme vivant, magistralement orchestré par Álex Pina, le réalisateur de « La Casa de papel ». La suite au prochain numéro…

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