La fiction peut-elle éclairer les eaux troubles de notre système ?

La fiction donne l’opportunité de comprendre le système qui régit notre société d’aujourd’hui. Elle peut en établir un calque plus digeste

Dès que j’entre dans le processus d’écriture fictionnelle, j’ouvre paradoxalement mon champ de vision. Je me transporte d’un individu à l’autre, d’une conviction à l’autre, d’un allié à un ennemi. La fiction est le monde des possibles. Là, je ne parle pas du fantastique, mais de l’opportunité qu’elle donne aux auteurs et à leurs lecteurs. Disons même que la fiction offre la capacité de naviguer aisément sur toutes les eaux, des plus claires aux plus troubles. Comment ça marche, au juste ?

Nous avons la capacité de naviguer sur les eaux noires de Monsanto

exploitation chimique
La fabrique du mensonge. Photo de Gordon Johnson

D’abord, nous avons assez de preuves pour décortiquer le fonctionnement de la fabrique du mensonge de l’internationale firme Monsanto. En effet, les fameux monsanto papers (dont je parle dans les épisodes précédents) montrent noir sur blanc que les dirigeants et cadres de Monsanto soudoient un nombre important de scientifiques renommés pour qu’ils rédigent de faux rapports d’expertise pour confirmer l’innocuité de leurs produits. Que Monsanto ait été condamnée pour fraude criminelle, malveillance, publicité mensongère, conforte notre enquête. Le plus fort, dans cette « Affaire Roundup », c’est que nous avons maintenant les échanges internes (mails, courriers, sms) de la firme. Nous savons comment fonctionne l’ennemi. C’est un déferlement de stratégies mafieuses. Une première dans l’histoire de l’industrie chimique (à part les quelques condamnations de Nuremberg) ! Par contre, nombre de ces documents sont encore classifiés au nom de la propriété intellectuelle. On n’a donc pas accès au pire.

Avec Séralini, nous pouvons barboter dans les eaux libres de la réalité

les eaux libres de la science internationale
La liberté naît souterraine. Ici, les eaux libres de la science internationale

Ensuite, nous avons notre héros : Séralini, qui nous livre son « histoire vécue ». Dans le reportage d’envoyé spécial de 2019, que Séralini nous invite à voir (ou à revoir), nous voyons la mascarade du vote pour l’interdiction du glyphosate (le gentil nom donné aux pesticides de Monsanto, qui cache la réalité de sa composition : 4000 substances toxiques dont pétrole et arsenic, à l’effet cocktail assuré). Cette interdiction, promesse de campagne du candidat Macron, est proprement sabotée par le président lui-même, au nom de sa cohérence politique. On n’est pas dans un film. D’ailleurs, c’est à se demander si le rôle de la fiction aujourd’hui n’est pas d’établir un calque parfait avec la réalité. Toujours est-il que pressions et arrangements semblent être un système organique au sein du gouvernement actuel. En tout cas, je pense que, les preuves de l’affaire Monsanto doivent être religieusement examinées.

La fiction génère l’émotion et humanise le système politique

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Regardons avec émotion les personnages d’un système politico-scientifique qui se joue de nous aujourd’hui. Photo de Schäferle Elias

Enfin, la magie de la fiction peut opérer. Nous pouvons essayer de plonger dans le monde onirique de la réalité. Grace à la fiction, nous pouvons naviguer dans ce que Séralini appelle « la science de pacotille d’une écœurante malhonnêteté ». Et, regarder avec émotion les personnages d’un système politico-scientifique qui se joue de nous aujourd’hui. En vrai. Car, il y a fort à parier que le système d’emprise et de domination mafieuse mis à nu par les « monsanto papers » en 2018, soit le même système au sein des commissions d’experts chargés de communiquer les données, rédiger les conformités et orienter les directions en 2021. À un détail prêt : le président Macron fait partie de la bande. Avant, en République, le chef d’État devait composer avec le reste de la classe politique. Aujourd’hui, notre classe dirigeante est clairement plus réduite, avec les coudées franches. Mais nous restons des hommes, et nous pouvons les comprendre.

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De « Hold Up » à « L’Affaire Roundup », prenons la voie de la fiction

la fiction étend le temps

Bref, la fiction joue le rôle de système digestif. Quand j’ai vu le documentaire « Hold Up », cet hiver, j’ai compris ce que le journaliste (oui, Pierre Barnérias est un journaliste) cherchait à comprendre. Face aux réactions, j’ai bugué et je me suis dit : Barnérias a raison, il est temps de se mettre au boulot et fissa ! Suite à ce reportage, j’étais enthousiasmée. Puis, j’ai déchanté face au pujilat médiatique et aux réactions démesurées. J’ai alors réfléchi, un peu en mode déprime, à la manière de me mettre au boulot. Et c’est là que j’ai lu Séralini : « L’Affaire Roundup à la lumière des monsanto papers ». Les révélations de l’affaire Monsanto méritent que la fiction s’en empare. Notre cœur est de fait moins blessé en approchant la vérité à travers la fiction.