Théâtralisons notre récit : secrets et accessoires

Pour ce troisième épisode de notre défi « J’écris un roman en 3 mois avec mon fils », j’ai passé deux heures à la recherche de menus détails. Pour théâtraliser notre récit, il faut que nos acteurs trouvent leurs accessoires.

Bonjour tout le monde ! Pour ce troisième épisode de notre défi « J’écris un roman en 3 mois avec mon fils », j’ai passé deux heures à la recherche de menus détails.  Pour théâtraliser notre récit, il faut que nos acteurs trouvent leurs accessoires. D’abord, Sarah devient Cécile. Prénom aristocratique latin, il sera plus approprié que Sarah, prénom d’origine hébraïque. Ensuite, la maison ! Je me suis amusée à la chercher. Et vous savez quoi ? Je l’ai trouvée ! Bon, ce n’est pas une villa à 10 millions de dollars, mais une ancienne demeure familiale typiquement basque où Cécile préférait se retirer pour se remettre de l’accouchement. Très vite, d’ailleurs, elle décide d’y séjourner de façon permanente, le temps de voir venir, que Line grandisse un peu. Antoine se plie de mauvaise grâce à cette lubie, mais y trouve rapidement un intérêt lorsque son usine chimique de Mont — à une heure en voiture — est secouée par de violents mouvements sociaux.

La théâtralisation du lieu permet d’habiter notre récit au-delà du simple décor

Maison StJean La Rêka

Le théâtre de notre histoire est donc cette demeure familiale d’Antoine d’Haranguier, située à l’entrée de Saint Jean de Luz et qu’on appelle familièrement « La Rêka » (ruisseau en basque). C’est une maison à colombage typique du coin et de dimension modeste. Elle compte quand même une superficie de 650 m2, deux étages et quatorze pièces. Datant du tout début 18ème, elle comprend une écurie, une piscine et 2 hectares de forêt que traverse un ruisseau. Le coin idéal pour élever une super-héroïne !

Dans ce décor, les secrets de famille se dessinent

Line était réveillée tous les jours à 7 heures par Winston. Ça évitait à la nourrice d’essuyer les plâtres, et à Line de démarrer sa journée par un drame. Mais, ce qui était sûr, c’est qu’Antoine trouvait ça déplacé. Certes, il avait bénéficié de l’attention de Winston étant enfant, mais pas de cette manière, son père ne l’aurait jamais permis. Et, ce jour-là, il avait bien l’intention de bousculer les habitudes matinales de son majordome. Antoine était arrivé la veille, prétextant des affaires pressantes à LACQEM, son usine de chimie à Mont. Levé à 6 h00, il alla prendre le café dans les quartiers de Winston. La maison n’était pas à son goût. Elle manquait d’intimité. Exigüe, mal éclairée et surchargée de bricoles inutiles, il aimait pourtant parcourir ses espaces confinés imprégnés de souvenirs.

— Puisque vous semblez prendre racine à Saint Jean, j’aimerais que vous m’accompagniez à l’usine, lança-t-il sans s’annoncer. Bertrand Darche a des difficultés avec le maire. La population fait pression sur les autorités pour des raisons environnementales. Jusque-là, le préfet était conciliant, mais il a été récemment remplacé. Et nous n’avons plus de soutien de ce côté-là. J’ai besoin de vous sur place, pour comprendre la situation et entrer en contact avec les nouveaux acteurs locaux.

— L’annonce de Darche de supprimer les postes de nuit des mécaniciens-pompiers a mis le feu au poudre, répondit Winston qui s’était préparé à cette entrevue et servait déjà un café fumant sur le comptoir de sa cuisine.

— Oui, j’ai donné mon accord de principe pour une réorganisation progressive, mais il n’en a fait qu’à sa tête ! Ce Darche manque décidément d’esprit tactique dès qu’il s’agit de politique. Si la famille est ici, je n’aimerais pas que les choses dégénèrent au point que Cécile soit inquiétée, vous comprenez ?

— Fort bien, j’ai entendu des rumeurs… les salariés se sont réunis la semaine dernière avec un groupe d’activistes de Pau pour organiser des actions choc. Ils préparent un coup en marge de la manifestation du 10 novembre à Mourenx.

— Bien, je vois que vous restez vigilant.

— C’est mon rôle, Monsieur. J’ai envoyé quelqu’un à cette réunion. Ils ont parlé de « La Rêka ». Pour l’instant, personne n’a suggéré de s’y rendre, mais il ne faut pas exclure une opération de sabotage sur le site.

— Qui sont-ils ?

— Des anciens de LACQEM, pour la plupart, qui enrôlent les employés les plus jeunes. Il y a aussi des salariés de LUBRIZOL de Mourenx, et pas mal d’habitants de la région : Mont, Orthez, Pau essentiellement. Ils craignent un accident de grande ampleur. Les élus sont sur la brèche, ils seront présents cette fois.

— Oui, depuis l’incendie de Rouen, le monde s’agite dans tous les sens, c’est la débandade ! Qui est votre informateur ?

— Un salarié de LACQEM qui part en pré-retraite. Il est avec nous. Je l’ai convaincu de s’allier à notre cause. Il n’apprécie pas le PDG, personne ne l’apprécie d’ailleurs, mais il restera fidèle à la famille.

— Il peut s’infiltrer parmi les activistes ?

— C’est déjà fait. Il est très estimé. Le noyau dur lui fait confiance.

— Parfait, augmentez ses gages.

— C’est prévu.

Antoine s’attarda sur le visage de Winston. Son expression n’avait pas changé, malgré les rides discrètes au coin de ses yeux, Antoine retrouvait ce regard doux et pénétrant qui avait tant de fois su apaiser ses colères.

— Je suis désolé d’avoir douté de votre jugement, Winston.

— Plaît-il ?

— Je veux dire, à propos de Line. J’ai pensé que vous lâchiez un peu du lest dans nos affaires.

— Vous devriez savoir que la sécurité de la famille d’Haranguier est et restera ma priorité, Monsieur.

— Oui, je devrais pourtant le savoir…

Des cris leurs parvinrent provenant du rez-de-chaussée. On entendait Élise s’exclamer haut et fort, et Line pleurer toutes les larmes de son corps. Winston et Antoine se levèrent dans un même élan et se dirigèrent ensemble vers la cuisine. Élise levait un gros livre relié au-dessus de sa tête tandis que Line trépignait de rage, les bras tendus vers sa nourrice qui, à l’évidence, refusait de lui donner l’objet de sa convoitise. Le plus drôle c’est que ce livres faisait presque la taille de l’enfant.

un grand livre relié
"Le plus drôle c’est que ce livre faisait presque la taille de l’enfant." photo DarkWorkX

— Que se passe-t-il ici, s’écria Antoine. Qu’est-ce que c’est que ces simagrées ?

Elise se retourna le regard furibond.

— Line s’est introduite dans la bibliothèque et avait attrapé ce livre ÉNORME !

— Et, c’est tout ?

— Non, elle était juchée sur une échelle et le poids du livre l’aurait assurément renversée si je n’étais pas intervenue à temps. Et maintenant cette demoiselle ne veut rien savoir. Elle doit pourtant apprendre à obéir.

Winston s’était approché d’Élise et lui pris doucement l’ouvrage des mains.

— Une édition originale de « Alice au pays des merveilles ». C’est un livre que je lui lisais souvent étant bébé.

— Madame d’Haranguier m’a bien spécifié que la bibliothèque était interdite à Line, qu’elle regorgeait de livres précieux.

—C’est vrai, intervint Antoine. Le plus surprenant c’est qu’elle ait pu attraper celui qu’elle voulait. Je crois en effet qu’il se trouve dans les étagères supérieures, non ? Une sacrée montée pour un si petit de chou.

— Absolument, elle aurait pu se rompre le cou. Et, il est important qu’elle comprenne qu’à son âge la bibliothèque lui est interdite.

— Bon, écoutez Élise, le plus simple est de laisser la bibliothèque fermée à clé et…

— Justement, Monsieur ! La pièce est toujours soigneusement fermée et la clé accrochée sur le tableau du vestibule, à une hauteur qui ne lui est pas accessible, Dieu merci !

— Mais alors, comment ?

— C’est un mystère ! Je demanderai qui a pu laisser la clé sur la porte et prierai Madame d’Haranguier de la mettre hors de portée de tous, quitte à y faire moi-même le ménage. Line est obsédée par cette bibliothèque !

Winston sourit. Il avait déjà surpris Line en train d’escalader le guéridon de l’entrée après avoir pris soin de rapprocher l’un des fauteuils placés plus loin dans les niches des fenêtres. Il avait suspecté son intention d’attraper les clés sans se douter qu’elle en cherchait une en particulier. Il se dit qu’il devrait prendre le temps de l’observer sans intervenir trop vite. Line passait du temps à lire, c’est vrai. Et c’était plutôt pittoresque à voir. Elle avait à peine 3 ans mais son désir d’apprendre était insatiable et ses questions incessantes. Elle lisait déjà tout ce qui lui passait sous la main mais il avait remarqué que les questions concernant son héroïne préférée ne tarissaient pas. Elle avait à l’évidence décidé d’y répondre par elle-même. Winston savait très bien qu’elle savait déjà lire à son âge, sans pour autant le claironner sur tous les toits. Ça ne se faisait pas, et il pressentait de que ça pouvait bien devenir dangereux. Alors, quand Lise lui montrait un mot qu’elle ne comprenait pas, il lui en expliquait le sens. Depuis peu, il lui avait fait découvrir le dictionnaire. À la grande surprise d’Élise et de Cécile, Line passait désormais beaucoup plus de temps dans les appartements de Winston. Seulement, comme d’un commun accord, Line n’en parlait à personne. Elle avait d’ailleurs bien vite compris que les adultes ne répondaient généralement pas à ses questions, et détournaient les sujets de conversation qui la préoccupaient. Les « pourquoi » de Line n’étaient pas à prendre à la légère. Seul Winston l’avait apparemment compris.

— N’en faisons pas toute une histoire, Élise. Je suis persuadé que Line prendra soin de cet ouvrage.

Théâtre Alice au pays des merveilles
"il avait remarqué que les questions concernant son héroïne préférée ne tarissaient pas" Photo Brunapazini0

Et, joignant le geste à la parole, Winston tendit le livre à Line qui avait cessé de pleurer depuis qu’il s’en était emparé. Le serrant fermement contre sa poitrine, elle regarda Winston avec reconnaissance avant d’aller le poser sur la table. L’effort qu’elle était censée faire pour cela ne parut pas la détourner de son objectif, trop heureuse d’avoir gagné la bataille, et ne se souciant ni d’Élise ni de son père. Elle se jucha ensuite sur la chaise, s’installa en se tortillant légèrement et respira profondément avant d’ouvrir sa merveille. Élise était bouche bée, n’osant protester. Depuis son arrivée, Monsieur d’Haranguier n’était quasiment jamais là et, quand il daignait passer quelques jour à La Rêka, c’était pour fulminer contre tous, particulièrement contre Winston et Madame d’Haranguier. Ça n’empêche, elle restait persuadée que Winston sapait continuellement ses efforts, gâtant cette enfant au point de la rendre capricieuse et indisciplinée au point où ça devenait intenable. Si le père se rangeait du côté de Winston, elle ne donnait pas cher de sa place.

— C’est pas Dieu possible ça ! Vous allez en faire une enfant gâtée et frondeuse. Ce ne sera pas de ma faute si cette petite n’écoute donc personne ! Monsieur d’Haranguier, vous aurez été témoin de mes efforts.

Voilà un épisode qui donne le ton entre les deux hommes de cette maison, une complicité et une confiance qui ne se compte plus en termes d’années mais en termes de souvenirs d’enfance et de secrets de famille, intimement imbriqués dans les secrets d’affaire. N’oublions pas non plus que Winston a élevé sa propre fille, Olivia, aux côtés des deux enfants d’Haranguier : Antoine et Camille. Cette dernière, très indépendante et impulsive, viendra de temps en temps perturber les arrangements familiaux, tel un cyclone qui repart aussi vite qu’il est venu. Mais elle pourrait bien avoir la fonction du messager. Christopher Vogler dit de ce personnage qu’il intervient dans le récit  comme une force soudaine qui empêche le héros de dériver vers le mauvais chemin. Ces figures archétypales servent à jalonner le chemin de l’écriture de point d’ancrages efficaces pour mener à bien son projet. Ici, l’idée d’attribuer un rôle à la tante Camille, me permet d’anticiper la suite, d’imaginer déjà les difficultés que Line va devoir traverser seule, jusqu’à trouver une aide inattendue.

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