Les vraies habitudes sont des rituels

Alice sentait qu’elle ne s’en sortirait jamais. Un jour, elle était pleine d’enthousiasme, tandis que le suivant, le sentiment de la défaite emplissait son âme. Elle ne pouvait pas compter sur elle-même

Questions d’habitudes et de paradoxes

Les montagnes russes des sentiments 

Alice sentait qu’elle ne s’en sortirait jamais. Un jour, elle était pleine d’enthousiasme, tandis que le suivant, le sentiment de la défaite emplissait son âme. Elle ne pouvait pas compter sur elle-même, c’était une évidence. Alice devait s’en accommoder. Oh, elle reprenait toujours espoir ! Mais, si sa vie devait continuer ainsi, elle ne verrait jamais le bout du chemin. Elle n’était pas loyale. D’ailleurs, qui pouvait vraiment compter sur elle ? Oh ! Elle avait bien ces périodes pleines d’exaltation, où ce qu’elle pensait être prenait forme. Mais, l’abandon n’était pas loin, ce matin-là.

« Pour changer, il ne faut rien changer »

Assise au même bar… Une parole de son dentiste lui revint en mémoire : « Pour changer, il ne faut rien changer. » Ça donnait ça, en substance, se souvint-elle.

« Gardez le même bar pour écrire. ».

C’était une question d’habitudes et de paradoxes : faire toujours la même chose pour avancer. Il avait parlé des anges et des chérubins. Alice n’y connaissait rien, mais elle savait de quoi il parlait.

Les chérubins de Raphaël
Peinture de Raphaël "Les chérubins"

Pendant des années, rien qu’avec son habitude, « son rituel du matin » comme elle l’appelait, Alice était parvenue, jour après jour, à écrire un roman, puis deux, puis un tas de petites nouvelles bien tournées. Ce qu’elle avait fait récemment, c’était de s’inscrire à une autre formation. 

Se former en écriture

En plus de sa grosse formation  pour « gagner de l’argent avec son blog », qui prendrait encore un certain temps si elle ne lâchait pas le morceau, Alice s’était payé une formation en écriture.

Ce matin-là, justement, elle avait entre les mains le premier module : « Les éléments clés de l’histoire – Chapitre 1 : les idées de départ ». Bon, ce n’était pas nouveau. C’était histoire de se raccrocher à la réalité de quelqu’un d’autre, immanquablement plus structurée que la sienne.

L’idée est une connexion

Partant du constat que le point de départ d’un roman est une idée, Marie-Adrienne rappelle que : « une idée est une connexion », avec la masse de toutes celles qui nous sont déjà passées par la tête. Elle parle aussi des connexions spontanées et des connexions inconscientes entre des idées parfois contraires ; elle évoque ainsi « un processus aléatoire, voire mystique ». Madrienne assure donc que des méthodes existent « pour augmenter [ses] chances de trouver de grandes idées d’écriture ». C’est vrai que les idées attirent les idées.

Sur son blog aproposdecriture, Marie Adrienne Carrara propose une formation pour écrire un roman

Comment peut-on perdre une idée ?

Madrienne explique que toutes les idées doivent être notées par tous les moyens qui semblent possibles. L’enregistrement, le rêve, sont un plus pour attraper les idées. Et elle dit un truc important, aussi. Faire un truc dont on n’a pas l’habitude, comme aller voir des personnes inconnues et participer à des événements inhabituels, ou lire des trucs qu’on n’aurait même pas pensé à feuilleter, nous sort de notre zone de confort et génère de nouvelles idées.

Ça paraissait contradictoire avec le rituel d’écriture… en fait, non, se dit Alice. 

Alice pensa tout à coup au festival littéraire. Il avait débuté la veille. Alice aurait dû y faire un tour mais, elle s’enfermait dans sa déprime du moment et cherchait désespérément à s’y complaire. Tout le monde sait que l’inconscient se raccroche à ses misères. Ça le conforte dans une sécurisation en circuit fermé. Alice le savait parfaitement et n’allait pas lutter contre lui. Elle préférait attendre que l’hiver passe, et préparer le printemps. Alice avait même, d’ici là, le fol espoir de parvenir aux trois/quarts de sa formation de blogueuse pro. C’était une façon de justifier son apathie du moment. Elle drainait de la merde, mais s’en délectait sans modération.

Publier ses pensées du matin est-il dangereux ?

Alice faisait exprès d’arriver très tôt au bar pour éviter l’agitation ambiante, et d’y aller dès son réveil pour y noter ses pensées du matin, ses pensées les plus noires. C’était une sorte de thérapie, une thérapie dangereuse, peut-être ? Les pensées du matin n’étaient pas faites pour être relues, et encore moins publiées. C’était une façon pour Alice de sortir de sa zone de confort, finalement. Une façon de se sortir les doigts du cul. Elle aimait bien cette expression vulgaire qui ne voulait rien dire mais que tout le monde comprenait.

Alice en était à son troisième café crème.

À ce rythme-là, elle n’aurait plus un rond pour bouffer à la fin du mois. Elle s’aperçut qu’elle se répétait bien trop souvent qu’elle n’avait pas un rond. Ça l’inquiéta. Non pas d’être toujours fauchée, mais de garder cette idée en tête. Elle se dit que ça pouvait générer un frein puissant à sa façon de préparer le changement. Ce qui la maintiendrait alors dans l’impasse jusqu’à la nuit des temps.

Alice se dit qu’elle devrait faire gaffe à ce qu’elle pensait…

Mais, si elle ne se le disait pas, comment allait-elle se nourrir la dernière semaine du mois ?

la hantise de la prise de notes
la hantise de la prise de notes

Michael Brown prônait un lâcher-prise : faire confiance et recevoir ce dont on avait besoin, ni plus ni moins. Mouais… d’accord, d’accord, dans l’absolu, elle comprenait mais, en pratique, elle était bien incapable de refréner ses rêves de grandeur.

Les idées génèrent des freins

Alice reprit la lecture de son cours d’écriture. Pour commencer l’écriture d’un roman, Madrienne préconise l’écoute de soi. Mais Alice ne faisait que ça ! C’était peut-être pour ça qu’elle était écrivaine ! Tout le monde ne se fait pas des films dans sa tête ? Bien sûr que si, se dit Alice, sauf qu’ils ne les notent pas dans un cahier. Et qu’ils n’ont pas le temps de s’en apercevoir.

Le cercle infernal de l’action à tout prix

Être dans l’action, penser à ce qui était et à ce qui doit être, au rendez-vous d’hier et à celui de demain, aux engagements à honorer ; être en perpétuel mouvement, refuser l’inaction, l’ennui, la détente… Oui, peut-être que beaucoup de ses contemporains s’accrochaient à ce mode de vie… C’est pas comme ça qu’on avance, d’ailleurs ?

Pas pour Michael Brown (encore lui), qui enjoint ses lecteurs à sortir de cette tourmente, ce cercle infernal de l’action à tout prix. Cette attitude les empêcherait d’être sensibles à la poésie de la vie (à « la présence », comme dirait Brown). Alice restait dubitative. Elle connaissait des hommes et des femmes qui, même dans le feu de l’action, restaient ouverts aux beautés de la vie.

Raccrocher ses ressentis aux images qui s’écrivent

Pourtant, Madrienne semblait conseiller ses élèves avec pertinence. Elle parlait de coucher sur le papier ses idées de roman. Alice avait beaucoup à apprendre d’elle. En effet, comment expliquer à ceux qui débutent la manière dont on écrit un roman ?

Par le commencement, en étant à l’écoute de ses idées. Par des exercices, en observant le monde qui nous entoure tout en raccrochant ses sentiments et ses ressentis à des images qui s’écrivent. Alors, oui, se dit Alice, ça valait le coup d’apprendre comment être à l’écoute de ses « idées », qui sont bien plus que cela, au final.

Dur d’être écrivain ?

« Je suis confrontée à cette énigme depuis si longtemps qu’il est légitime de vous répondre. »

Pourquoi est-t-il si difficile d’être écrivain ?

La vie d’écrivain est un cliché qui n’a plus de secrets pour personne. Pourtant, si vous vous intéressez à cette question, au fond, c’est que vous aimeriez en être ! Et comment ? Voilà bien toute l’ironie de la chose ! L’écrivain n’est plus un secret pour personne mais, pour vous, en pratique, le mystère reste entier.

L’écrivain doit répondre à toutes sortes d’exigences, dont la plus sournoise est de concilier sa vie avec son écriture – contenant de pensées sur l’existence (la sienne propre) à transmuter en histoires (quelle qu’en soit la forme adoptée). Son rythme d’écriture n’est pas inné. Même s’il semble l’être chez les plus passionnés. À un moment ou à un autre, la question de la constance se pose.

« S’il en prend pleinement conscience, il ne pourra échapper à cet instant clé »

Le vrai problème de l’écrivain tourne autour du « être-soi » . S’y confronter l’amènera (ou pas) à devenir écrivain.

Car, s’il se fabrique un rituel journalier pour s’ancrer dans le réel, s’il tend à remplir ses cahiers de pattes de mouches ou de gros caractères bien visibles, vient un moment où il se demande où il va et si sa parole a un sens… pour lui-même et pour les autres.

Le sens des mots, le sens des phrases, le sens général et le sens de la structure, tous ceux-là se complexifient immanquablement. Mais le travail de l’écrivain peut en venir à bout si ce dernier tient vraiment à achever sa création.

Non, le plus dur ne se trouve pas forcément dans les questions les plus évidentes.

Commençons par des exemples simples, voire triviaux :

Assis, stylo en main, il tente de se suivre avec frénésie, de coucher ses visions, pensées et idées sur le papier, quand une envie d’aller faire caca l’interrompt. Le voilà bien en peine de soutenir la cadence !

Le bien avisé continue aux toilettes, s’enregistrant dedans s’il est des plus modernes. À cet exercice, ma parole bafouille et ne sort qu’en languissant; il me faut écrire.

Autre exemple : satisfait, il met le point final à son chapitre, mais se demande s’il est relié aux autres, et si son personnage s’y reconnaîtra.

Si mon héros se mettait à faire le contraire de ce que je lui demandais ? Si, au lieu d’éviter un chat sur la route, je faisais en sorte qu’il l’écrase sciemment ? Qu’est-ce que ça apporterait à l’histoire ? Qu’est-ce que ça révélerait d’une personnalité ? Est-ce ainsi qu’un personnage devient réel ?

Non, là, je vous entraîne trop vite sur les traces d’un  écrivain confirmé. Et, d’ailleurs, je n’ai pas encore observé cette approche dans la construction de mes récits. Revenons donc à la fabrication d’un écrivain.

« Quelles épreuves devra-t-il subir lui-même ? »
Comment se construit-il écrivain ?

Ah, nous y sommes enfin !  Je me suis réveillée ce matin avec l’idée que ma vie était d’un ennui mortel. Pour commencer une journée d’écriture, il y a mieux. Quelques heures plus tard, j’écris cet article. Voilà des réalités rarement établies ! Aussi fugaces qu’insistantes, toutes ces petites réalités, concrètes et existentielles, demeurent à jamais le terreau de notre écriture. La sensation que nos rêves demeurent inaccessibles est désagréable. Certes ! Elle n’en reste pas moins là, selon les jours. Obstacle ou tremplin.

Considérez l’écrivain comme une des facettes de votre personnalité

L’écrivain compose avec lui-même, avec les réalités et aléas de sa propre vie. C’est évident, imparable et, pourtant, rarement reconnu avec la justesse nécessaire. Quelle place attribuez-vous donc à ce rôle ? Vous en inventez les règles, en établissez les rituels et en déterminez les temps de présence.

« Le feriez vous avec vos armes habituelles ? »

Absolument ! À aiguiser ! Selon votre tempérament. Au final, soit vous intégrez l’écrivain qui est en vous, soit vous engagez une bataille pour le légitimer.

Un rôle parmi les multiples autres dont vous vous acquittez déjà, avec le sentiment plus ou moins net d’en maîtriser le jeu.