Écrire une nouvelle noire en 21 jours sur L’Affaire Roundup

Combien de mots dans une page ? Un bon millier, il me semble. Une nouvelle noire de 6000 mots pour le concours « Quais du Polar » 2021, fait donc six pages. Pas énorme. On est dans l’action directe. Tout ce que j’ai écrit ces cinq premiers jours se situe en amont de la nouvelle, dialogues compris. Je cherche, je fouine, j’espionne. Quand j’écris, j’ai l’étrange impression de pénétrer dans un univers déjà en place. L’impression que l’intrigue a déjà eu lieu, que je ne suis qu’enquêtrice. J’ai du sang de journaliste dans les veines.

J’ai l’étrange impression de pénétrer dans un univers déjà en place : l’histoire dans l’histoire

Comme si mon histoire préexistait à sa création

Implications et imbrications se calquent dans mon esprit. L’intrigue est une imbrication d’implications. J’essaye de comprendre l’univers où je suis. C’est drôle qu’un écrivain ressente ça, cette impression de lire un livre déjà écrit. Je compare l’écriture d’une fiction au montage d’un puzzle. Chaque pièce en désordre me défie de son microcosme ; un micro-organisme qui fonctionne en collectif. Une histoire est donc un puzzle remonté. Elle préexiste quelque part dans l’imagination individuelle et collective. L’écrivain n’a donc qu’à les rassembler, sachant que ces pièces sont le fruit de notre vécu.

Comme si l’histoire répondait à l’un de mes désirs cachés

La nouvelle, elle, découpe une scène tirée d’un vécu collectif, et devient une portion de vie contenant l’univers. Univers, intrigue et implication, trois points de construction pour une seule question : qu’est-ce que tu désires ? Malaise qui déclenche le moteur de toute chose, de toute vie. Une histoire est plus qu’un morceau de vie, c’est une cellule, entière et vivante. Demander ce qu’on désire écrire ne suffira pas pour donner vie à notre histoire. Le désir est notre seul guide. C’est comme un baiser qu’on accepte avec la surprise, délicieuse, qu’il procure.

La caricature esquisse le mécanisme interne de l’histoire : la trame du vécu

La vision simpliste sert à déterminer les rôles dans cette affaire

— Ton père ne serait pas dans l’industrie chimique, par hasard ?

— Oui, il bosse chez Tomason.

Quand Soledad intègre l’équipe de Sirrar, on est loin d’imaginer le conflit d’intérêt qui nous menace. Oui, le conflit d’intérêt est avéré. Son père bosse chez Tomason. Soledad avait toute sa place dans le travail de recherche. Elle était même connue pour être une « Anti ». Bon, ok, Soledad est virée. Pourtant, elle préviendra Sirrar qu’il ne doit pas aller faire sa conférence à Londres. Soledad n’est pas là pour tuer Sirrar, mais pour le sauver. C’est cliché, mais ça donne le ton en amont. En simplifiant la vision de l’histoire, on a une trame facile à visualiser (pour ensuite l’habiller avec le pourquoi du comment).

Tirée d’une réalité vécue de l’intérieur, l’histoire perpétue la vie

Je m’inspire ici d’un évènement relaté par Séralini dans son dernier livre « L’affaire roundup à la lumière des monsanto papers ». Le titre a son importance car, à l’heure actuelle, nous avons la preuve que les responsables de Monsanto manipulent les médias et montent des campagnes de dénigrement contre les travaux de Séralini. Réunissant une « communauté scientifique » d’experts à leur solde. C’est véridique et validé par la justice de plusieurs pays, dont la France et les États-Unis. L’événement qui m’a le plus marqué dans le récit de Séralini, c’est quand il a failli mourir.

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K-part

Le jeu du crayon/plume à l’envers ! Kalil est ce petit homme sorti du dessin de Lucas Flattot, le portraitiste havrais. Et tout autre que moi lui aurait bien sûr donné une vie différente. Sentiments inspirés d’un portrait…

Le jeu du crayon/plume à l'envers

Kalil est ce petit homme sorti du dessin de Lucas Flattot, le portraitiste havrais. Et tout autre que moi lui donnerait une vie différente. Sentiments inspirés du portrait…

Kalil n’était plus qu’une flaque de peur, une flaque de douleur asséchée au-dehors, bouillonnante au-dedans. Ce n’était pas la peine de détruire la colère ; elle grandissait tellement qu’elle paralysait tout ‒ les viscères, les veines, le sang. Ça chauffait tant que ses yeux étaient secs, brûlants, sans vie.

Mais, à l’intérieur, c’était comme un ravage de lave qui drainait toutes ses eaux. Un troupeau de bisons, comme dans le film de l’Indien que Kalil avait vu avec Saïta. Leur passage avait soulevé la terre en un nuage si dense qu’il en aveuglait l’écran.

Ce souvenir le ramena à Alep, à sa terre sèche, aux odeurs pleines et lourdes de promesses, au narsharab de Saïta. Il sentait à nouveau l’odeur de caramel citronné lui emplir les narines. Lorsque sa grand-mère faisait la mélasse de grenade, c’était une grande et longue fête. La récolte et la cuisson du jus prenait du temps. À cette période, toutes les femmes se rassemblaient ; elles étaient si nombreuses, si pleines de vie.

Kalil pensa fort à l’odeur acidulée et aux chants qui l’accompagnaient. Il s’accrochait à elle comme à une amie chère ‒ un bouclier protecteur, aussi, qui le recouvrait solidement, l’écrasait un peu et l’enfermait comme dans un nid. Saïta l’enveloppait de son regard amoureux, le recouvrait de plumes chaudes qui adoucissaient sa solitude.

« Tu dois tenir tête, Kalil ! » Il voyait la douceur du regard de Saïta, la bouche entravée d’un rictus guerrier l’exhortant à se lever et à faire face. Kalil reprenait peu à peu ses esprits et ses yeux s’ouvrirent grand, gigantesques, perçant la cible en face de lui. La haine couvait derrière les battements saccadés de son cœur. Meurtri, il concentrait désormais la lave destructrice en un rythme lent.

Sa mère, penchée sur un livre de compte, devenait lointaine, précise, facile à abattre. Kalil sentait qu’un jour il saurait l’atteindre avec justesse, sans état d’âme.

Tu crois que je t’ai fait pour que tu deviennes un tocard ? Non ! En fait, j’ai pas fait exprès. T’es arrivé comme ça. Une mouche sur la merde. J’avais p’têt pas assez de problèmes comme ça. Et pas foutu d’en branler une ? Nom d’un chien, tu vas la mériter ta pitance, c’est moi qui te l’dis !

Elle retourna à ses pattes de mouche sur son cahier de comptes. Quand elle écrivait dans le grand livre cartonné, la table de la cuisine était bien nettoyée ; il ne fallait surtout pas faire de bruit. Mais Kalil n’avait pas vu qu’elle était installée là. Il aurait dû entendre pourtant. Le silence.

Il était arrivé en courant pour demander la permission d’aller jouer dehors. Attendre le retour de papa… j’ai encore fait une énorme bêtise. Je ne suis bon qu’à la mettre en colère : une poubelle oubliée dans le coin de la cuisine. Ne respire pas, Kalil. Non, pas l’droit !

Les fourmis m’empêchent de rester immobile, elles me torturent les jambes. J’ai peur, elles me dévorent d’en bas et remontent, prennent toute la place, ma place. Mon cœur respire encore. Mais comment fait-il ? Comment ose-t-il ? J’arrive à le ralentir mais pas à l’arrêter.

Tu vas voir, quand ton père va rentrer. Tu vas l’avoir ta raclée. Tu l’auras pas volée. Bouge pas d’là !

Ralentis s’il te plaît. Arrête-toi ! Saïta… Oh, Saïta ! Je pars. Saïta me sourit. Un jour où les fourmis me mangeaient les yeux elle m’a dit : « Kalil, souviens-toi que tu es libre. Il te suffit de fermer les yeux, d’arrêter ton cœur et de partir. »

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