Interview singulière avec Ziad Medoukh – deuxième partie

Pour moi, Ziad Medoukh est le héros d’une fiction devenue réalité à travers son témoignage.Ce citoyen de Gaza, directeur du département français de l’université d’Al Aqsa, vient jusque chez nous pour témoigner. Inlassablement, il brave une fatigue inhumaine à force de ne pouvoir dormir.

Dans mon précédent article, j’évoquais la Palestine et Gaza à travers le regard de Ziad, ce poète palestinien aux yeux tendres. Ces yeux ont vu tant souffrances, tant de tristesse insoutenable, tant d’espérance et tant de joie réunies, tant de pays, tant d’universités étrangères, tant de manières de vivre…

Pour moi, Ziad Medoukh est le héros d’une fiction devenue réalité à travers son témoignage.

Ce citoyen de Gaza, directeur du département français de l’université d’Al Aqsa, vient jusque chez nous pour témoigner. Inlassablement, il brave une fatigue inhumaine à force de ne pouvoir dormir. Car, nous a-t-il confié, hors de Gaza, hors du bruit de sa ville maintes fois bombardée, les cauchemars l’assaillent. Ils s’immiscent dans le silence narquois des nuits de France. C’est la paix, si soudaine et nocturne, qui terrorise cet invincible.

Pourtant, Ziad brave la mort chaque jour à Gaza, à chaque heure, à chaque minute de sa vie. Et voilà ! Aller au travail, à l’école, à l’université et rentrer chez soi est, pour Ziad et les habitants de Gaza, un défi de chaque instant.

94%scolarisation à Gaza malgré les destructions

Retrouver sa maison ou son enfant, le soir, est un miracle quotidien. Et, chaque soir, se retrouver en vie ne les soulage en rien, puisque les meurtres ne cessent jamais, jamais, absolument… jamais depuis 70 ans.  Alors, me direz-vous, il serait temps, pour cette deuxième partie, il serait temps que je pose enfin LA question.

QUI TUE ?

J’ai le sentiment que ce conflit israélo-palestinien nourrit les relations internationales des plus grandes puissances économiques occidentales. Et j’avoue que pouvoir discuter de cet épiphénomène qu’est Israël m’a poussé vers notre entrevue avec Ziad Medoukh. Connaître son avis sur la situation politique là-bas est une chance à ne pas rater.

Pourquoi le gouvernement israélien n’est-il pas condamné par l’ONU ? Pourquoi le gouvernement d’Israël trouve-t-il autant de soutiens et de tolérance auprès de la communauté internationale ?  La question m’obsède. Pourquoi le gouvernement d’Israël n’est-il pas traité objectivement, comme un pouvoir politique totalitaire, une démocratie sans scrupule, coercitive et dangereuse ? Qu’est-ce qu’Israël apporte aux autres puissances politiques pour qu’on laisse le pays coloniser et instaurer un régime d’apartheid ? Il a des dossiers sur tout le monde ou quoi ? Alors que l’économie mondiale repose entièrement sur le crédit, je me demande ce que l’État d’Israël rapporte tant au reste du monde.

 » Pour comprendre les enjeux d’une situation internationale, nous explique Ziad, il faut toujours revenir à l’Histoire. Après 1945, les États-Unis sont sortis gagnants de la guerre. Économiquement, l’Europe avait dix ans de retard sur eux. Le plan Marshall a été mis en place et cette réussite économique a mené les États-Unis vers une réussite militaire. Débute ainsi l’histoire d’une domination. »

Je frissonne à ses paroles, comme si le plan Marshall avait scellé notre sort à tous.

« Depuis, l‘Europe suit les États-Unis à travers l’OTAN. Et, comme les américains sont alliés d’Israël, les européens ne peuvent faire autrement que de les suivre sur la question palestinienne, tout en sachant ce qui s’y passe vraiment. C’est le problème de l’Europe mais elle n’est pas la seule dans cette situation. »

Et, que cautionnons-nous vraiment ? Est-il possible d’imaginer que nos gouvernements fassent pression aux côtés des Etats-Unis pour « fermer les passages » et séquestrer ainsi les palestiniens de Gaza ?

« La responsabilité de ce conflit incombe-t-elle vraiment à Israël ? L’État israélien est un état colonial dirigé par l’extrême droite. Quoi de plus normal, alors, qu’il aille tabasser, écraser, tuer, puis massacrer des palestiniens ? 

Gaza manifestation populaire
Des Palestiniens s'enfuient sous les grenades lacrymogènes lors d'une manifestation à la frontière entre Israël et la bande de Gaza, le 30 mars 2018 lors de la Journée de la terre 2018.MAHMUD HAMS / AFP

C’est pourquoi nous avons la volonté de résister. C’est vrai, nous n’avons pas les moyens de résister mais, au moins, nous sommes sur le terrain. C’est ça l’important. Le problème, ne se pose pas aujourd’hui sur nos relations avec l’état colonial israélien, c’est un ennemi. La question se pose sur nos relations avec l’extérieur. Avec la communauté internationale, avec l’Europe, avec la Ligue Arabe, avec les États-Unis, avec les Nations Unies qui sont alliés entre eux.»

Le peuple palestinien a depuis longtemps perdu confiance. Ils ont même perdu confiance en leurs dirigeants pour libérer la Palestine. Mais ils n’ont pas perdu espoir. Bien au contraire :

 » Pour nous, palestiniens le seul soutien à espérer c’est vous, la société civile. C’est elle qui est en train de faire bouger la situation.

« Les territoires palestiniens sont la Cisjordanie et la Bande de Gaza. La Cisjordanie est un territoire colonisé à plus de 80%, avec des barrages militaires tous les 3 ou 4 kilomètres, le mur de l’Apartheid et l’échec du processus de paix. Quand à la Bande de Gaza, elle est soumise à un blocus féroce, aux fermetures des passages et aux bombardements israéliens. Le manque de moyens est énorme, les coupures d’électricité continuelles, le chômage permanent et l’absence de perspectives évident. Et malgré tout cela, les Israéliens ne parviennent pas à nous écraser.

« Le taux de scolarisation en Palestine est de 94%.

« Il y a une volonté familiale pour encourager les enfants à aller à l’école. De même, les universités ne sont pas financées par le gouvernement palestinien, ce qui porte les frais d’inscription aux alentours de 700 euros par an. Mais ça n’empêche pas les pères de famille à vendre un morceau de leur terre pour payer, et les mères à vendre leurs bijoux pour y faire entrer leur fille. Ils savent pourtant qu’après quatre ou cinq ans d’Université, leurs enfants seront au chômage. »

Alors, pourquoi ? Pourquoi une mère défie chaque matin les dangers, les bombes et les barrages militaires pour conduire son enfant à l’école ?

« Parce qu’ils ont pleinement conscience qu’un diplôme universitair e en poche est signe d’espoir. Les trois éléments essentiels, pour nous, palestiniens, sont : rester attachés à notre terre, envoyer les enfants à l’école et garder espoir. »

C’est ça qui fait peur aux Israéliens ? Que vous vous sentiez chez vous ?

« Oui, c’est notre attachement à la terre qui leur fait peur. Ce ne sont ni les résistances armées, ni les négociations de paix.

« Suite aux massacres de 1948, il y a eu trois cents mille réfugiés palestiniens. Aujourd’hui, les massacres continuent mais les palestiniens décident de rester. Rester où ? À côté des ruines de leur maison, de leur école, car nous avons pleinement conscience que notre sentiment d’appartenance nous donne la force de tenir.

Moi, je suis un citoyen de Gaza et j’ai subi trois offensives en cinq ans. En 2009, en 2012 et en 2014. Imaginez ! Après ce massacre à Gaza, il n’y avait même pas mille personnes sur deux millions d’habitants à vouloir quitter le territoire. Ça montre la prise de conscience des Palestiniens aujourd’hui : leur attachement à la terre renforce leur résistance malgré toutes les souffrances subies. »

Après soixante-dix ans d’occupation, de colonisation, d’exil et de souffrance, les Palestiniens refusent désormais de fuir. À cette conscience identitaire s’ajoute, selon Ziad Medoukh, la prise de conscience des gens qu’il rencontre en France et à l’étranger :

« Je suis bien placé pour mesurer l’ampleur de la solidarité pour la Palestine. En France, l’évolution est flagrante. C’est ce qui me guide chaque jour. C’est très difficile de sortir de Gaza et d’y revenir mais c’est si important. »

Nous avons l’impression, Sabrina et moi, que la situation est toujours plus désespérée

La main de la liberté, fontaine d'Oscar Niemeyer
Le Havre, Espace Oscar Niemeyer : La Terre, un jour, comme cette eau, à tous appartiendra

Comment ne pas croire en cette « force de solidarité » ? Existe-t-elle vraiment chez nous ? J’avoue que nous avons l’impression, Sabrina et moi, que la situation est toujours plus désespérée pour les palestiniens. Que toutes les actions de soutien n’y changent rien.

Mais Ziad nous assure du contraire. Lui vient en France pour « échanger et témoigner », parce qu’il constate que les français s’intéressent de plus en plus à la culture palestinienne et, à travers elle, ils cherchent à comprendre la situation. C’est pourquoi il répond à l’invitation de Stéphane Vatel, professeur de civilisation arabe à l’université du Havre :

« Ziad est un homme sensible. Et je trouve que sa venue est intéressante pour les relations entre la France et la Palestine. »

Stéphane s’est acharné sur le dossier pour avoir une chance que son plan puisse aboutir. Mais pourquoi lui ? « Ziad nous offre un témoignage de ce qui se passe à Gaza. Il apporte des informations et des analyses directes dont nous avons tous besoin. D’autant que la presse française n’est pas toujours à la hauteur de cette tâche. »

Ziad Medoukh n’en est pas à son premier voyage, ni à son premier refus de sortie du territoire. « Quelques fois, explique-t-il, il faut supporter les difficultés pour venir car les rencontres humaines sont importantes. Des conférences sur skype ne permettent pas de nouer des liens et de partager les croissants avec Alice et Sabrina.

« Alors même que le discours des médias officiels continue de légitimer l’action armée des israéliens, je privilégie les rencontres avec les citoyens français. Grâce aux réseaux sociaux, devenus des médias alternatifs. Je ne vous cache pas que 80% de mes amis sont sur facebook. Nous pouvons y échanger des informations en toute liberté. Il n’y a pas de censure.

« Je rentre toujours rassuré. Vous pensez peut-être que vous n’en faites pas assez pour nous aider ? Moi, je vois au contraire qu’il se passe beaucoup de choses. Je participe à des conférences, des rencontres avec des palestiniens, des soirées, des spectacles et des projections pour soutenir la Palestine et créer des liens entre nos deux pays.

Plus besoin de regarder le journal télévisé…

« Désormais, les français peuvent connaître la situation réelle en Palestine. Ils n’ont plus besoin de regarder le journal télévisé ou de lire « Le Monde » ; ils ont « Mediapart », ou les témoignages directs sur les réseaux. Les citoyens sont dorénavant libres de s’informer sans devoir appartenir à un parti ou à un quelconque mouvement. S’informer, c’est ça le plus important. »

Vous serez certainement surpris de ne pas avoir eu les réponses aux questions lancées au début de cet article, c’est qu’un troisième est prévu. Parce que Ziad est intarissable sur la réalité de la terre des palestiniens.

« Depuis dix ans, ces dix dernières années,… » voilà qui introduisait souvent ses propos. Évidemment, je me suis demandée ce qui s’était passé en 2008 à Gaza. Après l’avancée politique du Hamas, le gouvernement décide de pousser l’avantage par une résistance armée face à l’occupant. La répression fut féroce, suivie d’un blocus sans pitié et d’un isolement total.  Tout espoir d’un règlement pacifique fut anéanti.

Ce qui a changé, entre 2008 et 2018, c’est la réalité du combat. La résistance armée ne peut se passer d’alliés et les palestiniens n’en ont aucun. Zéro ! Pour Ziad Medoukh et ses compatriotes, l’issue du conflit se trouve hors des murs de Gaza, dans la conscience de chacun d’entre nous. Aucun espoir du côté israélien :

« N’oublions pas que la société israélienne est divisée idéologiquement et socialement. Il y a beaucoup d’injustice là-bas. Les gouvernements successifs jouent sur le conflit. La Palestine est un prétexte pour tenter de rallier le peuple israélien dans la lutte coloniale. »

Vous voulez dire que le peuple israélien est opprimé de l’intérieur ?

« Oui, c’est une réalité aussi. Mais il y a trois éléments d’espoir bien réels : la prise de conscience de la société civile internationale et celle de la société israélienne. Car la dégradation du pouvoir d’achat se généralise partout. Dans ce contexte économique désastreux, la montée de l’extrême droite engendre la montée de la résistance et la recherche d’alternatives.

« L’alternative prend corps dans les réseaux sociaux. »

Certes, l’évolution de la droite à l’échelle internationale est inquiétante mais elle pousse les gens à trouver des moyens de résister. Pour moi, il y a trois éléments d’espoir : la prise de conscience des palestiniens pour leur attachement à la terre, la société civile et les alternatives qu’elle commence à mettre en place en exploitant les réseaux sociaux à son avantage pour se regrouper. L’engagement historique des intellectuels français envers la Palestine n’est plus relayé dans les médias, qui présentent le soutien à la Palestine comme une critique de la politique d’Israël, trop vite traité d’antisémitisme. Aujourd’hui, le sens de l’engagement a changé et nous devons en tenir compte pour l’avenir. » »