La peur du changement

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Premières ruminations

L’ombre de la page précédente, un peu recourbée, traçait une bande foncée sur le côté droit de la feuille de son cahier — une feuille bien lisse de couleur crème, encore vierge. Alice restait là, à contempler le gris bien net de cette marge surnaturelle, attendant d’apposer sur le crémeux parfait de sa page, les premières ruminations du matin.

« J’ai l’impression que je n’y arriverai jamais »

Car, Alice ne pouvait s’empêcher de ressasser les paroles de son dentiste sur la peur du changement. Oui, c’était une peur qu’elle n’avait pu transformer. Sublimer la peur, l’intégrer pour en faire une alliée, voilà ce qu’elle n’était pas encore parvenue à faire. Alice était toujours là, dans ce même quartier qu’elle eut un temps appris à aimer. Mais s’en était fini de cet état de grâce. Désormais, une phrase lancinante ne la quittait plus : « j’ai l’impression que je n’y arriverai jamais… »

On ne change jamais vraiment

Alice redoutait de ne jamais parvenir à changer. Son mentor lui avait affirmé qu’on ne changeait pas, qu’on était qui on était. Depuis, elle avait souvent médité ses paroles et relativisé, au final, comme la plupart de ses aphorismes déroutants. Elle en avait conclu que s’il avait raison, c’est parce qu’on ne se connaissait jamais vraiment, et que le changement déterminait plutôt une révélation de soi. Ainsi avait-elle encore une fois évité de se dire qu’il divaguait.

Les illusions du développement personnel

Pour ce qui était de changer… Oh, bien sûr, elle avait avancé, mais ce n’était qu’une façon de se leurrer, une façon de répondre aux illusions véhiculées par la nouvelle littérature du développement personnel, et qu’elle avait apprises : faire preuve d’empathie envers soi-même ; éprouver de la reconnaissance envers la vie, envers les autres et soi-même. Des conneries, de pures conneries ! Alice gardait cette peur inconsciente du changement et, quoi qu’elle fît, elle en était prisonnière.

La belle hypnotiseuse

L’image des cartes de visite de l’hypnotiseuse refaisait surface. Elles trônaient chez le dentiste dont le cabinet jouxtait le sien. Il y avait une affiche, aussi, plus grande, où la photo de la praticienne était agrandie. Sa beauté, ses yeux verts d’eau, ses cheveux roux bien peignés et savamment coiffés autour de son visage ovale, l’obsédaient. Alice ne savait toujours pas quoi faire. Cette année, les choses avaient bougé. Elle s’était engagée dans une formation prometteuse qui devait l’assurer de se sortir de l’impasse économique dans laquelle elle s’enlisait. Mais elle sentait que rien ne pouvait réellement changer sans débusquer cette peur au fond d’elle-même, et plus elle tentait de sortir du trou, plus sa noirceur s’intensifiait pour que la peur envahisse le chemin. Alice savait pertinemment qu’une aide extérieure, aussi belle soit-elle, ne la sauverait pas d’elle-même.

hypnose
Emmanuelle Chouin, hypnothérapeute Le Havre

Les dindons libérés

Elle avait cherché, ces dernières années, à déverrouiller les portes par un travail de respiration quotidien, chargé de la connecter au Grand Tout, au présent, avec le livre de Michael Brown. Mais, elle avait abandonné le processus. Comme l’auteur l’avait promis, le processus de la présence avait perduré un temps. Puis, Alice était retournée à ses anciennes habitudes. Fumer, errer dans les vapeurs toxiques du haschich. Même si elle savait désormais s’en extirper facilement, elle consommait régulièrement cette drogue frelatée par le commerce illégal. La France et le reste du monde étaient une vaste farce où l’individu lambda en était le dindon. Restait à découvrir s’il existait un autre monde en parallèle, le monde des dindons libérés.

5 réflexions sur « La peur du changement »

    1. Alice Grownup dit :

      30 jours 30 textes. Je tâtonne. Mais j’espère que CZ défi, malgré une mise en route un peu capotante va assurer ses promesses. La peur du changement, est une question qui se gère un peu chaque jour, ne penses-tu pas ?

  1. Bonjour Alice
    Merci pour cet article. C’est toujours aussi plaisant de te lire.
    Néophobie ou néophilie sont les mots utilisés scientifiquement pour parler de la peur du changement. Enfin c’est ce que dit ma femme. C’est quelque chose de très répandue dans notre société hélas trois fois hélas cela nous empêche totalement d’avancer et de nous épanouir.
    Ma question est la suivante penses-tu qu’il y a un moyen d’y remédier ou d’y faire face?

    1. Merci Gabriel, pour ce commentaire. C’est une question qui touche tout le monde ! Elle se structure en filigrane, bien souvent, autour de blocages plus élaborés qui définissent notre problématique personnelle, dont la complexité nous empêche souvent d’y voir clair. J’ai prévu d’explorer cette piste avec une série de textes, l’histoire des ruminations d’Alice qui, fort heureusement pour elle, suit une formation d’écrivain et s’appuie sur ce travail pour se questionner. Je me suis lancée le défi d’en écrire trente en trente jours. Pour l’instant, je tâtonne. Mon deuxième texte a déjà un jour de retard 🙂 Normalement, ta question devrait au moins traiter quelques pistes de réflexion sur la peur du changement et, qui sait, apporter quelques réponses au passage. Cependant, s’attacher à la question est bien plus important. Partant de l’idée que « nous savons déjà », la réponse est en nous et le fait de poser la question mène forcément vers quelque part.

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