Le mec qui se raccroche aux branches

Le mec qui se raccroche aux branches, ça vous dit quelque chose ? Allez, réfléchissez un peu. Il peut s’agir d’une fille aussi. C’est le mec qui arrive dans un groupe comme un cheveu sur la soupe et qui donne l’impression de s’incruster… vous y êtes ? Aujourd’hui, je vais vous parler de cet accrocheur qui pimente une histoire.

Le mec qui se raccroche aux branches, ça vous dit quelque chose ?

Allez, réfléchissez un peu. Il peut s’agir d’une fille aussi. C’est le mec qui arrive dans un groupe comme un cheveu sur la soupe et qui donne l’impression de s’incruster… vous y êtes ? Aujourd’hui, je vais vous parler de cet accrocheur qui pimente une histoire. Vous y découvrirez Aldo, un personnage de mon futur roman, et Greg, un personnage de la série « Succession ». Le premier est fou, carrément psychotique — le genre de mec qui n’inspire pas vraiment confiance, et le deuxième est du genre réservé, influençable, et qui ne casse pas des briques. 

L’utilité de ce personnage jocker

Le mec qui se raccroche aux branches peut être banal, introverti, voire presque invisible ou, au contraire, troublant et inquiétant. Qu’il ait l’apparence du loup ou de l’agneau, ce personnage présente bien des avantages dans la création d’un récit. En s’incrustant dans le groupe que forment les personnages principaux, il ouvre une zone d’incertitude. C’est une clé des possibles. En clair, il joue le rôle tant convoité du grain de sable.

Comment aborder ce type de personnage jocker ?

Le mec qui se raccroche aux branches permet à l’auteur de jouer sur les contrastes. Pour faire simple, on peut le classer en deux catégories. Celui qui ne semble présenter aucun danger, innocent, faible, dépendant, inexpérimenté mais bien intentionné, et celui dont on se méfie d’emblée et qui aura du mal à s’imposer. Le premier est souvent attachant et permet de placer des effets comiques, tandis que le deuxième peut attirer la sympathie tout en accentuant le suspens. Dans les deux cas, son rôle est de nous faire douter. Que ses intentions soient bonnes ou mauvaises, on sent que son incursion va créer des problèmes.

Dog - Tumisu
La fragilité de l'homme face à son propre pouvoir, photo de Tumisu

C’est tout à fait le type de personnage qui fait douter le lecteur. On n’est sûr de rien, on sent d’emblée qu’il y a un truc qui va déraper. Avec lui, on est sur le fil du rasoir. Pourquoi ? D’abord, il est souvent en position de faiblesse apparente, en marge, et donc instable, risquant de perturber l’équilibre fragile du groupe. Ensuite, s’il est intégré au groupe, personne ne sait encore quel rôle il va vraiment jouer dans la suite de l’histoire.

L’exemple de Greg Hirsch, le cousin qu’on n’avait pas revu depuis notre enfance

La famille Roy au complet - d'après la série de Jesse Armstrong "Succession"

Allez jeter un œil à la série américaine de l’écrivain britannique Jesse Armstrong : « Succession ». L’auteur met en scène la réalité dynastique des conglomérats médiatiques. Un magnat de la presse est sur le point de passer l’arme à gauche, mais la passation de pouvoir à ses enfants n’est pas de tout repos.

Et devinez qui apparaître à l’écran dans la scène d’ouverture de l’épisode 1 ? Le mec qui se raccroche aux branches, bien sûr ! Greg Hirsch est le neveu de Logan Roy, le fondateur de l’empire médiatique Waystar Royco. Ce dernier est sur le point de fêter ses quatre-vingts ans. Greg va débarquer sur la place juste avant l’incident déclencheur et il va essayer de s’incruster, se raccrocher à la famille Roy. Cette famille de dingues est aussi qualifiée de « nid de vipères » par le grand-père de Greg. 

Greg Hirsch
La scène de son arrivée le positionne d'emblée sur la pointe comique de la tragédie

Ces fameuses branches sont une métaphore des personnages principaux qui constituent le pilier de l’histoire, le tronc de l’arbre, le nœud du problème. Je préfère l’image de l’arbre pour structurer une histoire, et de ses branches pour parler des personnages. 

Le placement de Greg dans le scénario de « Succession »

Greg Hirsch est embauché dans l’un des parcs d’attraction de la famille Roy (c’est l’une des branches d’activité du consortium). Sa première journée de boulot tourne au fiasco. Alors sa mère le pousse à partir pour New York demander du boulot à la source, chez la famille Roy. Greg n’a pas vraiment de contacts avec ses cousins puisque son grand père est en froid avec son frère, Logan Roy, le fameux PDG du groupe. Il débarque donc, quelques jours avant les 80 ans de Logan. Sans vouloir spoiler l’histoire, Greg se trouve au bon endroit au bon moment, quand tout va basculer.

Greg est le pion parfait qui atterrit en plein élément déclencheur. Toute la petite famille est donc réunie pour l’anniversaire de Roy Logan, et Greg est de la partie.  C’est là que Roy a une attaque. Transporté d’urgence à l’hôpital, le monde de la finance est en émois. Qui va lui succéder ? Greg se retrouve alors pris à parti en pleine cellule de crise, pour de menu détails. C’est ainsi que son rôle se dessine, en fonction des réponses qu’il apportera à chacun des membres de cette famille qui dévoilent leur émotivité à ce jeune inconnu qui « est quand même de la famille ». Il est parfait pour devenir l’arme secrète.

Le mec qui se raccroche aux branches est toujours un personnage de crise

C’est un personnage très utile pour jouer dans la cour des grands sans éveiller les soupçons. Et, dans le cas où ça foire, il est encore éjectable puisqu’il n’a pas encore sa place au sein du groupe. Pratique, non ? Il s’avère également très utile pour donner du piquant à l’intrigue.

Maintenant, prenons l’exemple d’Aldo, un personnage que je vais mettre en scène dans « La Main invisible » (La Main invisible est mon futur best seller. Ouais, les affirmations positives, paraît que ça marche, à force. Allez, hop ! Tous les matins je me répète « J’écris mon best seller, il sort en septembre prochain ») Ok ! Reprenons.

Dans mon histoire, le mec qui se raccroche aux wagons s’appelle Aldo. Aldo n’est pas de catégorie 1 (le gentil mignon). C’est plutôt le genre de mec qui pousse l’individu sensé à changer de trottoir dès qu’on le voit arriver, même de loin. Il fait partie des accrocheurs (pour faire court) de catégorie 2 (le méchant pas beau). Même s’il semble ouvertement dangereux ou clairement problématique, il aura connecté avec l’un des membres de la structure convoitée.

L’exemple d’Aldo, le fou qui déchire tout

moine Michael Gaida
Aldo dit "le moine", oeuvre de Michael Gaida

Aldo, lui, est carrément le mec qui se raccroche au tronc. Pas d’intermédiaire, il sera intronisé par Mia, l’héroïne. Il rencontre Mia à un tournant crucial de l’histoire, et il a tout de suite conscience que Mia est reliée à une structure plus vaste, constituée de personnages importants, dont la puissance impacte la réalité ordinaire. Aldo veut en être et, contre toute attente, Mia l’enrôle dans l’aventure. Elle mise sur le fou, mais discrètement, et en périphérie.

Aldo est un personnage atypique que j’aime beaucoup. Il est à la fois paumé, psychotique et plein de ressources, évidemment. Je veux qu’il apporte de la profondeur au récit. Sa présence va forcément déstabiliser les relations du couple phare du roman. Une troisième personne nécessitant une attention constante, déséquilibre forcément une relation de couple, non ?

Pourquoi introduire « le fou » dans un récit comme un personnage jocker ?

Revenons à la question de son «  introduction dans le récit » (voir la scène de leur rencontre ici). Aldo, lui aussi, débarque au bon moment — c’est le propre du mec qui se raccroche aux branches. C’est le propre d’un personnage de crise. Il incarne la crise, la dépeint, et permet d’en révéler les rouages. Le fou a un potentiel extraordinaire et inexploité, comme pour bon nombre d’entre-nous. Mais, contrairement à lui, nous usons d’une épaisse couche de filtres pour ne pas nous l’avouer. C’est ce que j’aime chez lui. Il est tellement conscient de la nature extraordinaire de la vie que la gestion ordinaire de notre société le rend proprement malade.

Cette inadaptation aux lois du bien-pensant qui minimisent les risques et capitalisent les assurances matérielles, est viscérale chez lui. Les psychiatres détectent tout bonnement la partie irritée du cerveau, en contiennent les effets dévastateurs, et ont rarement le temps de considérer son système de pensée comme une source d’évolution pour l’humanité.

Le fou est le miroir de l’extraordinaire

Les écrivains peuvent y remédier, lui donner la parole, le fourrer partout, librement, semant le doute. C’est vrai, quoi, le fou dangereux est potentiellement partout et nulle part, finalement. Il permet de mettre des coups de pieds dans la fourmilière, passant librement de la comédie à la tragédie. C’est le rôle du fou, soit dit en passant. Et je suis persuadée qu’aujourd’hui, avec les avancées de la science en physique quantique et en épigénétique, nous réalisons de plus en plus à quel point les « fous » sont dans le vrai.

fantasy-Stefan Keller
Le fou voit l'arbre au-dessus de la ville, oeuvre fantasy de Stefan Keller

Pour moi, le fou est un personnage qui a conscience de la puissance de la vie au plus profond de lui-même. Parfois, cette conscience exacerbée ne parvient pas à trouver d’écho chez l’autre. C’est là que les problèmes commencent. Au lieu de nourrir cette conscience intérieure, il cherche désespérément un répondant à l’extérieur de lui-même. Il ne trouve ni guide ni justification dans le monde qui l’entoure, et c’est le drame.

La conscience se mange de l’intérieur, elle démultiplie les possibilités sans pouvoir en tester une seule. Et lorsque le fou tente d’en expérimenter certaines, toutes les routes lui sont barrées. Mais d’une force ! Pourtant, il ne fait que répondre à la vie ; c’est la société qui semble nier les voies d’accès.

En conséquence, lorsque le fou trouve un carrefour de possibles ‒ un groupe de visionnaires, par exemple, dont la norme est d’accéder à l’extraordinaire ‒ c’est une bénédiction pour lui. Il s’y engouffre et perçoit la lumière au loin ‒ c’est une voie d’accès que l’homme ordinaire ne capte pas.

Seuls les héros peuvent comprendre le fou et lui donner une chance de se révéler

Pour le fou, la connexion avec des êtres d’envergure est possible, c’est à lui de proposer ses services. Le problème (car il y en a forcément un) est que le fou s’immisce dans une structure relationnelle aux règles déjà établies. Et, bien souvent, le fou ne suit les règles qu’à contrecœur, c’est sa force et sa plus grande faiblesse. Cela provoque chez lui de terribles conflits intérieurs. La contribution d’un tel personnage est à double tranchant. D’où son intérêt dans la structuration d’un récit. 

fantasy-portrait Stefan Keller
"La contribution d’un tel personnage est à double tranchant" - portrait fantasy de Stefan Keller

Il peut s’avérer être un atout stratégique énorme pour ceux qui seront capables de miser sur lui. Qui ? Quel type de personnage sait ainsi risquer gros ? Celui qui a appris à encaisser les échecs et les erreurs monumentales qui terrassent l’homme ordinaire — ce vous, ce moi, qui rêverait de se libérer des prescriptions sociales. L’homme ordinaire mise sur la sécurité avant tout, parce que la force qui le pousse à agir est entravée, enchaînée, profondément enfouie en lui. N’est-ce pas ce qui nous enrage le plus, au fond de nous ? Car, naturellement, quand j’écris « homme », j’englobe tout le genre humain. Qui est cet « homme ordinaire » au fond ? C’est vous et moi, n’est-ce pas ? Jusqu’à preuve du contraire.

Aldo sera-t-il à la hauteur des enjeux ? Toute la question est là !

Pour en savoir plus, reportez-vous à sa rencontre avec Mia, mon héroïne. Avec ce genre de personnage, on peut amener le lecteur sur le fil, comme un funambule. L’amener à cette sensation bizarre de quitter ses certitudes sans être confus pour autant. Il ressent l’importance de garder l’équilibre pour achever le parcours du récit.

Lorsqu’il est intégré au groupe, le mec qui se raccroche aux branches reçoit forcément un rôle de confiance. On a tous ressenti ça un jour, on a tous ressenti la sensation de devoir être à la hauteur.

Le lecteur éprouve une imperceptible sensation de déséquilibre

Embarqués dans la réalité ordinaire, nous avons l’impression que seuls les héros peuvent se surpasser. Mesdames, messieurs, il est grand temps de se téléporter de la fiction à la réalité ! Le mec qui se raccroche aux branches n’est autre que ce suiveur qui ne se fait pas confiance, ce vous et moi qui accepte de se transformer en arme, manipulable par d’autres, jusqu’à la maîtrise de sa puissance personnelle.

L’arrivée intempestive du mec qui se raccroche aux branches permet aux stratèges de l’immiscer dans « les affaires », en sous-marin, incognito. Ils veulent, dès le début, jouer sur cette position avantageuse de jocker potentiel. Mon père me disait souvent qu’il faut faire confiance jusqu’à preuve du contraire. C’est à double sens. Prendre en compte la faiblesse humaine dans notre évaluation est le propre des stratégies à long terme.

Le mec qui se raccroche aux branches a un autre avantage dans le récit : il est ambivalent.

Dans mes deux exemples, le lecteur est poussé à se poser la question suivante : Aldo ou Greg va-t-il trahir ceux qui lui ont donné sa chance ?

Leur faiblesse et leur manque d’assise dans le groupe provoque des méfiances mal ajustées, de la discorde et des erreurs cruciales imputées injustement à des membres bien établis du groupe.

Pour finir, le mec qui se raccroche aux branches est aussi un fameux jocker pour l’écrivain, s’il sait le faire jouer sans ostentation mais avec l’assurance qu’il va rapporter une émotion forte.

Le lecteur le trouvera sympathique, haut en couleur, drôle par l’absurde, provoquant parfois un sentiment d’injustice frustrant.

Les 7 lois spirituelles des superhéros
"Les héros ne se laissent pas déstabiliser aussi facilement. C’est le rôle du mec qui se raccroche aux héros de jouer sur ce contraste"

Comment les personnages principaux peuvent-ils passer à côté de ses errements ?

 

Les héros ne se laissent pas déstabiliser aussi facilement. C’est au mec qui se raccroche à eux de jouer sur ce contraste : il met en valeur les lois spirituelles des superhéros.

Je vous invite d’ailleurs à lire « Les 7 lois spirituelles des superhéros » de Deepak Chopra, ou comment utiliser notre force pour changer le monde (et vivre au maximum de ses possibilités).

Secrets d’écrivain enseignés par Derren Brown

Dans « Sacrifice », un reality show d’envergure, Derren Brown opère une véritable manipulation mentale sur un individu lambda qui répond à deux critères essentiels : ses préjugés d’appartenance à un groupe et sa capacité d’empathie. On est en plein dans le « récit de caractère »

Nos rêves d'héroïsme

Qu’est-ce que l’héroïsme ? Comment devenir un héros ou, pour être plus précis, comment devenir ce héros dont nous rêvons ? Comment devenir notre propre héros ? Cet être unique à qui nous confierions notre vie en toute confiance. Bref, comment devenir ce soi complet, à défaut d’être parfait, que nous aimerions inconditionnellement ?

Comment devenir un héros ?

Dans la définition de l’héroïsme, converge un lien intrinsèque entre humanité et divinité. La première étape pour devenir un héros passe par la déconstruction de nos convictions nées des histoires qu’on se raconte depuis notre plus tendre enfance et qui n’ont cessé de s’affirmer tout au long de la vie. Elles se basent sur l’amour reçu, l’éducation, les jugements et opinions extérieurs, le regard de l’autre. Elles forgent l’opinion que nous avons de nous-mêmes et s’intègrent si bien à notre système de valeurs qu’elles nous définissent.

Cependant, si nous voulons réaliser nos rêves, il est nécessaire de « lâcher l’histoire » afin de nous permettre de vivre celles que nous désirons. C’est le grand principe d’une histoire et Derren Brown nous en fait la démonstration.

Sacrifice, ce film dont vous êtes le héros

Créer un héros
Documentaire de Derren Brown. Une production Netflix

Dans « Sacrifice« , ce reality show d’envergure, Derren Brown opère une véritable manipulation mentale sur un individu lambda qui répond à deux critères essentiels : ses préjugés d’appartenance à un groupe et sa capacité d’empathie.

On est en plein dans le « récit de caractère » où l’auteur choisit un trait de caractère à faire évoluer chez son héros, et une qualité qui lui permettra d’opérer ce changement.

Comme dans tout bon roman de caractère qui se respecte, c’est un homme ordinaire au départ de l’aventure. D’ailleurs, Derren Brown fait de son film un cours magistral sur les mécanismes de base d’un bon scénario.

Comment créer un héros ?

Tout commence par un gros mensonge. Derren organise un casting et trouve son candidat idéal qui pensera être sélectionné avec six autres élus (qu’il ne verra jamais puisqu’il est en réalité le seul cobaye !) pour participer à une expérimentation pilote.

Celle-ci consiste à tester pendant plusieurs semaines une invention biotechnologique permettant  d’améliorer ses capacités psychiques. S’il accepte, sa qualité de vie s’en trouvera grandement améliorée. Pour cela, notre cobaye devra se faire implanter une micro-puce dans la nuque (c’est un leurre, un placebo !), et écouter des méditations guidées avec un stimulus sonore chargé de renforcer son pouvoir de décision. L’homme accepte et l’aventure commence.

Derren Brown annonce la couleur au spectateur : « Je veux créer un héros qui sacrifie sa vie pour sauver un parfait étranger ». Bien sûr, notre cobaye ignorera tout de son intention, rêvant de s’élever au rang de super-héros.

Comment s’enferme-t-on dans les histoires qu’on se raconte ?

L’illusionniste justifie la monstruosité de sa manipulation (« je prends vos pensées, j’en suggère d’autres ») en invoquant la valeur de sa  démonstration : la violence exercée au nom de la défense de notre groupe, de notre identité raciale, peut être déconstruite et reprogrammée en son contraire. Tout dépend des histoires auxquelles on appartient. On s’y accroche si fort qu’elles définissent qui nous croyons être.

Derren Brown nous prouve que nous en avons rarement conscience. À tel point que nous acceptons l’inacceptable avec une désolante inconscience. Il est si facile de nous tromper ! Ce sont ces histoires qui nous enferment dans notre identité factice. À déconstruire absolument pour nous en libérer !

L'application "Turbine" de Derren Brown : méditations guidées et stimuli intégrés pour renforcer la manipulation
Images subliminales
Tout au long de l'expérience, des images suggestives seront placées un peu partout dans l'environnement de Mike. Comme ce ventilateur rappelant l'hélice de l'application "turbine"

Leçon de déconstruction

Après avoir planté le décor, Derren Brown annonce son intention de changer notre homme. Au départ, celui-ci affiche une forte appartenance à la race blanche. À l’arrivée, il devra éprouver une forte empathie pour un émigré illégal en détresse, au point de se sacrifier pour lui.

Derren Brown veut le conditionner à devenir un héros. Il montrera au passage comment se libérer de notre histoire, celle que nous forgeons au cours de notre vie, et qui nous fige littéralement en une image subjective et limitée de soi.

Pendant plusieurs semaines, se déploie sous nos yeux tout l’arsenal du bon hypnotiseur :

suggestions et métaphores se succèdent dans un jeu de « recalibrage » mental dont notre homme s’imbibe avec consternation.

Les arcanes de la manipulation

Petit à petit nous repérons le nœud central dans cet enchevêtrement d’exercices et de rituels. L’expérimentation se cristallise autour de la question des « deux camps » : un jeu se met en place entre deux sentiments contraires, deux pensées contradictoires, deux émotions conflictuelles. Et, comme tout héros qui se respecte, l’homme va être poussé dans ses retranchements, poussé à surmonter ses peurs les plus enfouies, conscient des bénéfices supposés de devenir meilleur en maîtrisant la force qui est en lui. Le fait qu’il pense être une sorte d’homme bionique permet d’accélérer le processus.

Leçon de construction

La dernière étape de ce conditionnement consistera à travailler son empathie envers les « étrangers » (les mexicains en particulier et tous les basanés en général). Un test ADN (vrai et certifié cette fois) détruit ses convictions les plus profondes sur « son véritable moi » à défendre sans ciller contre l’envahisseur. C’est le point de basculement tant attendu. L’adhésion au changement est alors amorcée, et une nouvelle histoire introduite dans l’esprit de notre homme. Pour l’y ancrer, l’homme (il s’appelle Mike) sera soumis à de nouvelles épreuves qui ont toutes pour but de déclencher des émotions fortes allant crescendo. Cette fois, il ne s’agit plus de décupler son courage mais son empathie.

Mike, ce héros qui s'ignore
Point de basculement : Mike a opéré son changement de trajectoire psychologique. Un héros est né

Le point de non-retour

Ce point de basculement est l’élément clé d’un récit de caractère. Vient ensuite pour l’auteur la préparation rigoureuse du dénouement (le nœud dramatique le plus intense). Mais, contre toute attente, Derren Brown remercie Mike. L’expérience est terminée et Mike rentre chez lui en apparence satisfait. Est-il soulagé ou déçu ? Nous ne le saurons pas. Ce qui est sûr c’est que Derren prépare la chute avec la plus grande minutie. Ce nouveau mensonge sert son dessein. Un temps de latence permettra à Mike d’intégrer ses nouvelles croyances et renforce les chances de succès de sa manipulation.

Pourquoi nous libérer de nos croyances identitaires ?

Tout au long de son docu-fiction Derren Brown nous rappelle son intention : mener Mike à se sacrifier pour un étranger, ce moment ultime d’agir. Mais l’incertitude demeure et le spectateur doit, comme il se doit, suivre la fin du récit pour en connaître l’issue.

« Tout cela est à propos de ce que nous sommes capables d’accomplir, conclut-il, lorsqu’on se libère de toutes ces histoires. » 

Toutes les histoires nous racontent la même chose : nous sommes prisonniers de notre histoire si nous croyons l’être ! Avez-vous fait de votre histoire une prison ? (voir mon article « Comment développer son talent d’écriture ») Si oui, comment la déconstruire ? Et, pourquoi ? Pour en faire une nouvelle ? En quoi ça nous libère ?

Se sentir capable de choisir sa propre histoire identitaire semble être un fameux challenge. Les suggestions du mentaliste allant dans le sens du « saut en avant », du « pas vers l’inconnu », poussait Mike au dépassement de ses peurs et de ses limites connues.

Pourtant, Derren avouera finalement à ce pauvre Mike : « C’était juste toi ! » Fin de la leçon.