Secrets d’écrivain enseignés par Derren Brown

Dans « Sacrifice », un reality show d’envergure, Derren Brown opère une véritable manipulation mentale sur un individu lambda qui répond à deux critères essentiels : ses préjugés d’appartenance à un groupe et sa capacité d’empathie. On est en plein dans le « récit de caractère »

Nos rêves d'héroïsme

Qu’est-ce que l’héroïsme ? Comment devenir un héros ou, pour être plus précis, comment devenir ce héros dont nous rêvons ? Comment devenir notre propre héros ? Cet être unique à qui nous confierions notre vie en toute confiance. Bref, comment devenir ce soi complet, à défaut d’être parfait, que nous aimerions inconditionnellement ?

Comment devenir un héros ?

Dans la définition de l’héroïsme, converge un lien intrinsèque entre humanité et divinité. La première étape pour devenir un héros passe par la déconstruction de nos convictions nées des histoires qu’on se raconte depuis notre plus tendre enfance et qui n’ont cessé de s’affirmer tout au long de la vie. Elles se basent sur l’amour reçu, l’éducation, les jugements et opinions extérieurs, le regard de l’autre. Elles forgent l’opinion que nous avons de nous-mêmes et s’intègrent si bien à notre système de valeurs qu’elles nous définissent.

Cependant, si nous voulons réaliser nos rêves, il est nécessaire de « lâcher l’histoire » afin de nous permettre de vivre celles que nous désirons. C’est le grand principe d’une histoire et Derren Brown nous en fait la démonstration.

Sacrifice, ce film dont vous êtes le héros

Créer un héros
Documentaire de Derren Brown. Une production Netflix

Dans « Sacrifice« , ce reality show d’envergure, Derren Brown opère une véritable manipulation mentale sur un individu lambda qui répond à deux critères essentiels : ses préjugés d’appartenance à un groupe et sa capacité d’empathie.

On est en plein dans le « récit de caractère » où l’auteur choisit un trait de caractère à faire évoluer chez son héros, et une qualité qui lui permettra d’opérer ce changement.

Comme dans tout bon roman de caractère qui se respecte, c’est un homme ordinaire au départ de l’aventure. D’ailleurs, Derren Brown fait de son film un cours magistral sur les mécanismes de base d’un bon scénario.

Comment créer un héros ?

Tout commence par un gros mensonge. Derren organise un casting et trouve son candidat idéal qui pensera être sélectionné avec six autres élus (qu’il ne verra jamais puisqu’il est en réalité le seul cobaye !) pour participer à une expérimentation pilote.

Celle-ci consiste à tester pendant plusieurs semaines une invention biotechnologique permettant  d’améliorer ses capacités psychiques. S’il accepte, sa qualité de vie s’en trouvera grandement améliorée. Pour cela, notre cobaye devra se faire implanter une micro-puce dans la nuque (c’est un leurre, un placebo !), et écouter des méditations guidées avec un stimulus sonore chargé de renforcer son pouvoir de décision. L’homme accepte et l’aventure commence.

Derren Brown annonce la couleur au spectateur : « Je veux créer un héros qui sacrifie sa vie pour sauver un parfait étranger ». Bien sûr, notre cobaye ignorera tout de son intention, rêvant de s’élever au rang de super-héros.

Comment s’enferme-t-on dans les histoires qu’on se raconte ?

L’illusionniste justifie la monstruosité de sa manipulation (« je prends vos pensées, j’en suggère d’autres ») en invoquant la valeur de sa  démonstration : la violence exercée au nom de la défense de notre groupe, de notre identité raciale, peut être déconstruite et reprogrammée en son contraire. Tout dépend des histoires auxquelles on appartient. On s’y accroche si fort qu’elles définissent qui nous croyons être.

Derren Brown nous prouve que nous en avons rarement conscience. À tel point que nous acceptons l’inacceptable avec une désolante inconscience. Il est si facile de nous tromper ! Ce sont ces histoires qui nous enferment dans notre identité factice. À déconstruire absolument pour nous en libérer !

L'application "Turbine" de Derren Brown : méditations guidées et stimuli intégrés pour renforcer la manipulation
Images subliminales
Tout au long de l'expérience, des images suggestives seront placées un peu partout dans l'environnement de Mike. Comme ce ventilateur rappelant l'hélice de l'application "turbine"

Leçon de déconstruction

Après avoir planté le décor, Derren Brown annonce son intention de changer notre homme. Au départ, celui-ci affiche une forte appartenance à la race blanche. À l’arrivée, il devra éprouver une forte empathie pour un émigré illégal en détresse, au point de se sacrifier pour lui.

Derren Brown veut le conditionner à devenir un héros. Il montrera au passage comment se libérer de notre histoire, celle que nous forgeons au cours de notre vie, et qui nous fige littéralement en une image subjective et limitée de soi.

Pendant plusieurs semaines, se déploie sous nos yeux tout l’arsenal du bon hypnotiseur :

suggestions et métaphores se succèdent dans un jeu de « recalibrage » mental dont notre homme s’imbibe avec consternation.

Les arcanes de la manipulation

Petit à petit nous repérons le nœud central dans cet enchevêtrement d’exercices et de rituels. L’expérimentation se cristallise autour de la question des « deux camps » : un jeu se met en place entre deux sentiments contraires, deux pensées contradictoires, deux émotions conflictuelles. Et, comme tout héros qui se respecte, l’homme va être poussé dans ses retranchements, poussé à surmonter ses peurs les plus enfouies, conscient des bénéfices supposés de devenir meilleur en maîtrisant la force qui est en lui. Le fait qu’il pense être une sorte d’homme bionique permet d’accélérer le processus.

Leçon de construction

La dernière étape de ce conditionnement consistera à travailler son empathie envers les « étrangers » (les mexicains en particulier et tous les basanés en général). Un test ADN (vrai et certifié cette fois) détruit ses convictions les plus profondes sur « son véritable moi » à défendre sans ciller contre l’envahisseur. C’est le point de basculement tant attendu. L’adhésion au changement est alors amorcée, et une nouvelle histoire introduite dans l’esprit de notre homme. Pour l’y ancrer, l’homme (il s’appelle Mike) sera soumis à de nouvelles épreuves qui ont toutes pour but de déclencher des émotions fortes allant crescendo. Cette fois, il ne s’agit plus de décupler son courage mais son empathie.

Mike, ce héros qui s'ignore
Point de basculement : Mike a opéré son changement de trajectoire psychologique. Un héros est né

Le point de non-retour

Ce point de basculement est l’élément clé d’un récit de caractère. Vient ensuite pour l’auteur la préparation rigoureuse du dénouement (le nœud dramatique le plus intense). Mais, contre toute attente, Derren Brown remercie Mike. L’expérience est terminée et Mike rentre chez lui en apparence satisfait. Est-il soulagé ou déçu ? Nous ne le saurons pas. Ce qui est sûr c’est que Derren prépare la chute avec la plus grande minutie. Ce nouveau mensonge sert son dessein. Un temps de latence permettra à Mike d’intégrer ses nouvelles croyances et renforce les chances de succès de sa manipulation.

Pourquoi nous libérer de nos croyances identitaires ?

Tout au long de son docu-fiction Derren Brown nous rappelle son intention : mener Mike à se sacrifier pour un étranger, ce moment ultime d’agir. Mais l’incertitude demeure et le spectateur doit, comme il se doit, suivre la fin du récit pour en connaître l’issue.

« Tout cela est à propos de ce que nous sommes capables d’accomplir, conclut-il, lorsqu’on se libère de toutes ces histoires. » 

Toutes les histoires nous racontent la même chose : nous sommes prisonniers de notre histoire si nous croyons l’être ! Avez-vous fait de votre histoire une prison ? (voir mon article « Comment développer son talent d’écriture ») Si oui, comment la déconstruire ? Et, pourquoi ? Pour en faire une nouvelle ? En quoi ça nous libère ?

Se sentir capable de choisir sa propre histoire identitaire semble être un fameux challenge. Les suggestions du mentaliste allant dans le sens du « saut en avant », du « pas vers l’inconnu », poussait Mike au dépassement de ses peurs et de ses limites connues.

Pourtant, Derren avouera finalement à ce pauvre Mike : « C’était juste toi ! » Fin de la leçon.