Super-héros et contre pouvoirs : la face cachée de l’écriture de fictions

L’auteur de fictions doit prendre le taureau par les cornes et se plonger sérieusement dans un travail de recherche. L’invention d’un super-héros nécessite autant de précautions que n’importe quelle innovation sérieuse.

Bonjour à tous ! J’aimerais aujourd’hui vous faire un point sur ma méthode d’écriture, puisque deux mois se sont écoulés depuis le démarrage de notre roman. D’abord, les séances du matin ont bien l’immense avantage d’imposer un rythme d’écriture et d’apporter une motivation constante. Car, jour après jour, on voit l’histoire avancer et les personnages vivre, même timidement. Pourquoi « timidement » ? En fait ce ne sont pas les personnages qui vivent timidement. C’est plutôt l’auteur qui, au commencement, partage timidement le vécu de ses personnages. Oui, il se peut qu’il tâtonne dans un univers qui ne lui est pas familier.

L’écriture de notre récit entre dans une phase d’exploration de la réalité de nos superpouvoirs

exploration de nos superpouvoirs - magie
"On trouve un nombre grandissant de scientifiques prêts à témoigner de la réalité des phénomènes paranormaux" - Magie de Yabadene Belkacem

L’invention des personnages pousse à chercher des témoignages

Depuis le début de ce défi (voir « Le Projet Line » : tous les épisodes), je vous ai partagé le résultat brut de mes séances d’écriture. Dans cet épisode 7, notre héroïne rencontre un nouveau personnage : le docteur Thomas Jay. Psychiatre un peu spécial, le docteur Jay mesure déjà les dimensions invisibles auxquelles Line est capable de se connecter. Pour écrire la scène qui va suivre, je me suis inspirée d’un livre de William Buhlman. Dans « Voyage au-delà du corps : l’exploration de nos univers intérieurs », William Buhlman décrit ses expériences de sorties de corps. Comment, de sceptique, il est venu à s’intéresser aux voyages astraux et à expérimenter le passage de sa conscience hors du monde physique.

L’écriture lance des pistes vers le vrai travail de recherche

Après deux mois d’écriture, il est temps pour moi d’aller plus loin et plus méthodiquement dans mes investigations. À un moment donné, l’auteur de fictions doit prendre le taureau par les cornes et se plonger sérieusement dans un travail de recherche. L’invention d’un super-héros nécessite autant de précautions que n’importe quelle innovation sérieuse. Cette semaine, j’ai listé un certain nombre de bouquins à lire pour me plonger dans la littérature scientifique qui associe le paranormal et le quantique. Aujourd’hui, on trouve un nombre grandissant de scientifiques prêts à témoigner de la réalité des phénomènes paranormaux, pourquoi m’en priverai-je ? J’ai terminé le premier : « Les Preuves scientifiques d’une vie après la vie – Communiquer avec l’invisible » du Docteur Jean-Jacques Charbonier.

Le témoin scientifique se transforme en personnage inspirant

Heureusement, mon rôle n’est pas de tenter de confirmer ou d’infirmer ses propos mais d’entrer dans la tête d’un personnage inspirant, et les anecdotes qu’il raconte dans son livre, comme ses démonstrations et ses idées, apportent de l’eau à mon moulin. Il y aura dans le roman des scientifiques de tous bords, et il est essentiel pour nous de pouvoir nous appuyer sur du concret et sur le vécu de personnes réelles. Nous sommes tous plus ou moins conscients de vivre cette « dissonance cognitive » dont parle Charbonier. Il nous arrive de vivre des phénomènes inexplicables, aussi insignifiants soient-ils, qui s’opposent à nos connaissances, à notre raisonnement ou à nos croyances, et provoquent inconsciemment un repli défensif. Ce qui revient à minimiser, voire à nier, le phénomène au niveau cognitif (de la pensée).

Inventer une super-héroïne qui rivalise avec les géants américains...

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La création d’un super-héros est une invention sérieuse

super-héros- ninja lune
"L’invention d’un super-héros nécessite autant de précautions que n’importe quelle innovation sérieuse."

Les blocages propres à la culture française briment la création des super-héros

La création d’une super-héroïne est une démarche ludique, mais elle n’a rien d’anodin. Le super-héros incarne un personnage spirituel fortement symbolique. Sa création implique forcément des intentions cachées. Je pense sincèrement que les français méritent qu’on ouvre enfin les vannes et qu’on détruise les barrages. Jean-Jacques Charbonier rapporte une anecdote intéressante après Les Premières rencontres internationales consacrées à l’expérience de mort imminente à Martigues en 2006. Une équipe de France 2 vient l’interviewer pour le journal de 20 heures mais, au lieu de diffuser son entretien, la chaîne fait passer un « expert » qui n’y connait rien au sujet. « Eh oui, souligne-t-il, les scientifiques ne sont pas les seules personnes atteintes de dissonance cognitive, les journalistes sont aussi grandement touchés par cette pathologie du raisonnement ! » Habitué à la censure, le Dr Charbonier évoque aussi l’enseignement fermé des écoles françaises de médecine, qui s’explique notamment par l’influence honteuse des lobbies pharmaceutiques. C’est un problème dont je suis tout à fait consciente, et qui me scandalise depuis bien trop longtemps.

Le super-héros est un trait d’union entre les mondes

« La plupart de nos contemporains, explique-t-il encore, pensent que tous ceux qui s’intéressent au paranormal sont des allumés ou des farfelus, et ils rangent volontiers dans le même tiroir, avec un incroyable mépris, médiumnité, spiritisme, télépathie et autres phénomènes inexplicables comme les NDE (Near Death Experience : expérience de mort imminente ou EMI) » Pourquoi est-ce que je vous relate les propos de Charbonnier ? Parce qu’un auteur doit décortiquer l’intention qui se cache derrière l’écriture de son roman. Et notre super-héroïne, au-delà de sa vocation à nous faire vivre des émotions fortes, a le rôle d’incarner une ouverture vers les questions fondamentales autour du lien existant entre la science et le divin, entre la raison et l’irrationnel, entre la pensée matérialiste et notre spiritualité.

La recherche et la connaissance alimentent, façonnent et dirigent notre récit de fiction

Là, les séances d’écriture révèlent enfin leurs limites. Voilà qu’à présent de nouvelles idées vont s’ajouter et imposent d’emblée un changement notable dans la forme du récit. Si j’ai commencé l’histoire de Line à trois ans, lui faisant vivre prématurément l’élément déclencheur (voir la scène clé du bac à sable de l’épisode 6) et la rencontre avec son psychiatre (relatée ici dans cet épisode), il s’avère inutile de persister à considérer Line comme une enfant de 3 ans, même surdouée. D’ailleurs, mon fils Anton me l’a plusieurs fois fait remarquer. Maintenant, à la lumière de ma dernière lecture, j’ai déjà en tête que Line va d’abord se voir imposer une batterie de tests auprès de scientifiques raisonnables qui ne prennent pas en compte l’aspect paranormal de ses capacités. Le docteur Jay sera une bouée de sauvetage pour elle. Line sera d’abord traitée comme une enfant à problèmes, avec des symptômes à traiter. Le conflit avec sa mère sera d’autant plus fort que cette dernière se sentira coupable de ne pas oser s’y opposer.

La réalité dépasse souvent la fiction. Mettez le doigt dessus et vous ne manquerez pas d’idées

superman

Les éléments de recherche alimentent la structuration du récit

Les idées avancées par certains d’entre vous, chers co-écriteurs, auront bel et bien leur place dans ce premier roman qui relate les origines de Line d’Haranguier. Point de vue méthode d’écriture, les nouveaux éléments de recherche obligeront à des ajustements : les scènes déjà écrites seront intégrées à un nouveau contexte. Line aura environ six ans lorsqu’elle rencontre le docteur Jay, et non pas trois. Ça me donnera le temps de positionner les ennemis dont j’ai esquissé les traits. Certes, je n’ai pas encore publié les séances qui les mettent en scène, mais je peux néanmoins vous dire que l’idée d’une île isolée, habitée par une tribu n’ayant aucun contact avec l’extérieur, a fait son chemin (voir l’épisode 1). Repérée il y a 30 ans par la fondation Prôteús, dirigée par un magna de la finance, les enfants de ce peuple primitif furent enlevés et étudiés en secret pour en faire des « sujets psi ». J’ai découvert ce terme sur le site de Jean-Pierre Girard.

Les révélations des uns alimentent la fiction des autres 

Jean-Pierre Girard raconte son parcours hors norme en tant que « sujet psi » auprès de la CIA et ce qu’il sait de l’utilisation de la pensée sur la matière dans le monde de l’espionnage. Et j’ai bien l’intention, à l’issue de ces trois mois de recherche et d’écriture, d’aller l’interviewer. En attendant, nos ennemis se précisent et l’origine des pouvoirs de Line également. La scène du bac à sable va faire réagir toute la famille, mais pas seulement. La mère de Line, originaire des Philippines, a été adoptée dès ses premiers mois. Personne ne sait qu’elle vient de l’île, sauf nos fameux ennemis qui l’ont perdue par un malheureux concours de circonstances. Après avoir tenté de la récupérer, ils décidèrent de la surveiller de loin et d’infiltrer l’un de leurs agents dans son entourage. En conséquence, ils repérèrent aussitôt la grande démonstration de pouvoir opérée par Line dans le bac à sable. C’est là qu’ils vont entrer en action et entrer avec fracas dans la vie des d’Haranguier.

C'est quoi son nom, déjà ?

LINE D'HARANGUIER
unique !


Line n'est pas seule...

Suis-nous !
unique !

Malgré les apparences, un auteur n’écrit jamais seul

réseau de relations
"Aller aussi loin que notre inconscient nous le permettra..." - Photo de Gred Altmann

Son intention s’ajuste et se précise par le dialogue

J’aimerais vous faire remarquer que, ces dernières semaines, je n’ai pas beaucoup sollicité Anton, mon jeune co-auteur. Mais, l’aventure n’en est qu’à ses débuts. J’ai beaucoup à lire et à écrire. Les 3 mois impartis sont surtout là pour nous booster et pour m’obliger à faire le maximum jusqu’à la fin janvier. À cette date, nous devrons parvenir à une vue d’ensemble structurée : établir l’enfance de Line, une super-héroïne qui pourra démarrer son adolescence sur de bonnes bases ! Ainsi pourra-t-elle devenir le fer de lance d’une aventure où elle deviendra adulte et indépendante, détentrice de valeurs qu’elle pourra revendiquer haut et fort, s’appuyant sur une intention claire et un message explicite.

Ses préoccupations seront partagées avec le plus grand nombre

Vous l’aurez compris, derrière un roman de science fiction ou d’anticipation, nombre de questions existentielles peuvent être soulevées. D’ailleurs, « Les 7 lois spirituelles des super-héros » de Deepak Chopra en atteste. Chaque personnage nous interrogera sur les questions qui préoccupent l’auteur. Par exemple, Élise, la nourrice, prend pour moi une importance de plus en plus évidente. Je l’interroge, et elle m’interroge en retour. C’est un dialogue jusqu’à ce qu’on parvienne à comprendre de quoi on parle. À la lecture de « Secrets de l’art perdu de la prière » de Gregg Braden, je me dis qu’Élise va évoluer. Son rapport à Dieu, à la prière, et son regard empli de craintes face à Line, vont se transformer au cours de notre aventure, même si je ne suis pas encore certaine de la voie qu’elle va suivre.

Son implication sera totale et entière

L’avantage de faire des recherches pour approfondir l’intention réelle de l’auteur (moi, en l’occurrence) n’est pas à prendre à la légère. C’est même, à mon sens, l’essentiel du travail d’écriture d’un livre de fiction. Là est le support d’une réflexion qui ira aussi loin que l’inconscient nous le permettra. Tiens, en parlant de ça, je viens justement de m’inscrire sur une plateforme de formation en autohypnose appelée « Psychonaute » pour explorer cette dimension en expérimentant — si j’y parviens — certains états modifiés de conscience. En attendant, voici l’épisode 7 de notre aventure.. 

Épisode 7 – Après le choc, Line rencontre son plus grand atout : le docteur Jay

La vision de Line sur ce qui lui arrive

La voiture s’engagea sur la route de Ciboure vers le fort de Socoa et bifurqua à droite, rue du Phare. Elles arrivèrent dans une propriété située en bord de mer, une de ces demeures immenses et cossues possédant une vue imprenable sur les falaises de la corniche basque. Line était affreusement secouée par les événements. À trois ans, elle était capable de déceler les intentions des adultes et comprenait déjà qu’ils n’agissaient pas toujours comme ils le désiraient au fond d’eux. La plupart du temps, ce qu’ils pensaient au moment « T » changeait continuellement pour accueillir des idées nouvelles qui les empêchaient de voir clairement. Elle se trouvait alors à plusieurs endroits en même temps. De petites vagues d’air, comme des couches de brouillard, lui permettaient d’être à la fois elle-même, dans son corps, à entendre et à voir, et tout autour, dans la brume, pouf ! Elle était partout à la fois, captant toutes les subtiles raisons qu’avaient les autres d’agir et de parler. C’était fatigant. Souvent, elle décrochait, et refusait d’entendre le sens qu’ils donnaient à leur pensée. Progressivement, elle avait su coder les sonorités à sa façon, et les transformait en une voluptueuse musique qui la berçait calmement.

Line arrivait ainsi à s’extraire de la réalité. Peut-être en partie seulement. Il lui était même arrivé de traverser une ou deux couches supplémentaires pour se retrouver loin d’elle-même. À ces moments-là, elle perdait le contact avec ce qu’elle était l’instant d’avant, et atterrissait dans un lieu différent. Un jour, Line avait atterri dans l’enfance de sa propre mère, comme avec le chat. Winston lui avait expliqué qu’à ces moments-là, elle devait fermer tout doucement les yeux, amener lentement les mains vers son visage ou sa poitrine et mesurer où elle se trouvait réellement. Toucher de ses mains sa vie à elle, ce qu’elle voulait, ce qu’elle aimait vraiment. Il lui répétait que rien d’autre ne comptait. Oui, lui répondait Line, mais quand je suis avec maman, je pense si fort à elle que j’arrive pas à le faire. En fait, lorsqu’elle se sentait si loin, mettre ses mains sur ses joues la rappelait à elle-même, toujours. Grâce à ça, Line avait appris à voyager sans avoir peur de se perdre. Elle était seule au monde à pouvoir faire ça, lui avait dit Winston. Et il avait ajouté : « Je suis le seul à connaître ton secret ». Mais, Line savait qu’il en parlait à Camille. Winston faisait semblant que c’était leur secret à tous les deux, alors Line faisait semblant aussi. Le monde de Line était comme celui d’Alice : un pays des merveilles qui n’existait que dans le livre ; pas dans sa famille. Maintenant, Line n’en était plus si sûre. Est-ce que sa mère savait ? C’était bien la première fois qu’elle l’entendait y penser, comme si elle y était allée, et n’y était jamais retournée. A-t-elle pu se cacher dans la brume, devenir toute petite ou très grande ? Line se sentait complètement perdue.  Winston s’était bien trompé. Line fixait l’étrange maison aussi grande qu’un château. Elle était habitée par un homme qui connaissait son secret. De cela au moins, elle en était certaine.

Line reçoit une écoute inattendue

Lorsque Cécile ouvrit la portière, la mère et la fille se regardèrent intensément. Cécile avait une expression inhabituelle et Line l’interrogea du regard. Cécile en fut bouleversée. Il lui semblait que, pour la première fois, elle acceptait le lien qui les unissait, plus fort que tout ce qu’elle avait pu imaginer. Le moment était peut-être venu de faire semblant. De quoi exactement, Cécile n’aurait pu le dire en cet instant. Line tourna la tête vers la demeure tandis que Cécile détachait la ceinture de son siège. Le docteur Jay se tenait sur le perron.

— C’est qui ?

— C’est un médecin. Il ne t’examinera pas comme le docteur Deuvinet. Non, avec ce docteur-là, on parle.

— On parle, c’est tout ?

— Oui, c’est tout.

Cécile prit Line dans ses bras et parcourut la distance les séparant du docteur Jay qui n’avait pas bougé un cil. Elle le salua d’un « docteur » très solennel, ce qui impressionna Line, habituée aux grandes salutations affables de sa mère. Cécile était trop tendue pour jouer les débonnaires.

— Bonjour Line, j’avais hâte de te rencontrer. Cécile m’a beaucoup parlé de toi, tu sais. Elle m’a raconté tout ce que tu sais faire et je suis fasciné par ton intelligence.

Line n’était pas certaine de savoir ce que « fasciné » signifiait, mais elle était captivée. L’homme avait un visage avenant, des yeux vifs et rieurs, un corps plein de force, calme et, surtout, il n’avait pas un cheveu sur la tête. Pourtant, il n’avait rien d’un grand-père. Non, il était aussi vieux que papa.

— Bienvenue chez moi, Line. Mais entrez donc !

La maison était vaste et lumineuse. Rien de comparable à la sienne, bariolée de partout et encombrée d’objets accrochés dans tous les recoins. Ici, les espaces vides étaient rois et les peintures n’étaient que formes brouillonnes qui ne voulaient rien dire. C’était un mélange de formes et de couleurs qui accrochaient le regard pour le perdre dans des questions sans fin. Quelques motifs peints à même les murs servaient peut-être de réponse, ou de code secret. Ils étaient peints en gros traits noirs et formaient pour la plupart des personnages naïfs. Line en avait découvert dans les livres sur l’art primitif africain. Elle adorait les livres sur l’Afrique que Winston lui ramenait de la bibliothèque.

Ils s’installèrent enfin dans le salon. Il était inondé de lumière avec ses canapés de cuir blanc et sa grande table basse en verre épais. Cécile commença à raconter les événements de l’après-midi : l’histoire du tourbillon de sable. Alors, Line revit sa colère se répandre sur l’aire de jeux et lui revenir en plein visage, envahissant de flopées de sable sa bouche et son nez. Elle eut l’impression de suffoquer. Sa respiration devint saccadée, elle toussa comme pour recracher les derniers grains de sable restés coincés dans sa gorge. Cécile s’interrompit et caressa le dos de Line tandis que l’homme s’était levé et revenait déjà avec un verre d’eau. Il repartit aussitôt. Line but avidement, toussant encore et recrachant sur le sol ce qu’elle venait d’avaler. Le docteur revint avec une petite serviette blanche et lui caressa le visage avec, puis la bouche. Le linge était chaud et humide, il avait une odeur d’orange et Line se sentit mieux, instantanément. Il se servit de cette même serviette pour essuyer le sol et posa le linge souillé sur le bord de la table. Ce dernier geste étonna Line. Il avait agit avec calme et simplicité, et semblait avoir anticipé ce qui allait arriver. Line le regarda plus attentivement. Elle décela chez lui une envie véritable de lui venir en aide, de lui offrir une attention précise et spéciale dont elle avait immensément besoin. Ce besoin d’être comprise qu’elle n’avait jamais ressenti jusque-là. Bien sûr, Winston avait toujours été là, Line pouvait compter sur lui mais, cet homme-là ! Line avait l’impression qu’il parlait une langue invisible dont elle entendait l’appel derrière sa façon insistante de la regarder. Il disait : « je t’écoute, Line ». C’était tout, comme le murmure de la rivière, aussi réconfortant que ça. Un immense soulagement l’envahit. Quelque chose l’inondait de l’intérieur. C’était de la confiance.

Cécile cesse de se mentir à elle-même

Cécile vit sa fille se détendre. Depuis sa première rencontre avec Thomas, il y a quelques mois, elle appréhendait le moment où elle devrait lui présenter Line. Même si, au fil de leurs séances, Cécile s’était convaincu que s’il existait une personne capable de les aider, ce serait lui. Chaudement recommandé par Camille, la fille de Winston, Cécile était d’abord allée le voir pour parler de sa fille. Au départ, elle ne pensait pas en venir à parler d’elle-même, de ses troubles de l’enfance, de traumatismes dont elle n’avait jamais pris conscience. Mais, peu à peu, l’évidence s’était imposée : les types de symptômes concordaient. Et, le seul moyen de comprendre ce qui arrivait à sa fille était de livrer ses plus anciens secrets. Cécile s’était tellement battue pour cacher ses horribles obsessions, ses stigmates aussi, aux yeux de tous, qu’il fut très difficile de s’ouvrir à lui. Mais plus ils avançaient, plus ils se rendaient compte qu’elle avait vécu ces engourdissements à la frontière des rêves, ces flottements qui annonçaient la transformation de la réalité. Il était maintenant si simple d’en tirer les conclusions qui s’imposaient : Line lui parlait de ce qu’elle-même avait vécu à son âge. Certes, avec ses mots d’enfant, mais Cécile ne pouvait plus fermer les yeux et avait même une soif de comprendre qu’elle avait toujours refoulée.

« Le besoin de se protéger de notre puissance vous a aidé à survivre. C’était nécessaire. Vous n’avez rien à vous reprocher, Cécile. » Voilà comment Thomas la rassurait. Enfant, elle était persuadée de la réalité de ses songes. Cécile sentait la matière se fondre avec son corps. Elle voyait le dédoublement s’opérer : son petit corps parfaitement immobile, endormi dans son lit, tandis qu’elle-même se déplaçait sans effort en traversant les murs. Très vite, elle rencontra d’autres personnes sous cette forme évanescente. Des personnes qui lui parlaient et la guidaient dans un monde aussi réel que le sien, si sensible aux pensées qu’il se transformait selon sa volonté. Elle se souvenait avoir appris à parler aux choses, aux espaces, à la matière, au point qu’ils pouvaient se modifier selon son bon vouloir. Elle avait aussi visité d’autres pays, appris tant de choses… Avait-elle su faire ça en vrai ? La question était restée en suspens dans sa tête, sans chercher à y répondre vraiment, jusqu’à aujourd’hui. C’est que la peur était restée intacte, depuis le jour où, à son réveil, la réalité l’avait rattrapée. Elle n’avait alors que cinq ans.

Cécile se réveilla dans un lit d’hôpital, une aiguille plantée dans le bras, reliée à des machines, un masque sur le visage. Sa mère, à ses côtés, était en pleur. Elle comprit que ses voyages avaient des conséquences sur sa vie, et que ce n’était pas normal. Depuis ce jour, elle combattit de tout son être le monde des sons et des vibrations qui l’entraînait de l’autre côté du miroir. Quand Line commença à lui parler d’Alice au pays des merveilles, une peur viscérale l’avait envahie. Petite, Cécile s’était, elle aussi, identifiée au personnage de Lewis Carol. Depuis, elle savait que ce récit relatait en partie les hallucinations vécues par l’auteur lors de ses crises. Lewis Carol souffrait d’épilepsie du lobe temporal. Ce ne pouvait pas être un hasard si Line manifestait une véritable obsession pour l’héroïne de ce conte. Elle s’était alors confiée à Camille, la fille de Winston, qui était neurologue. Ensemble, elles avaient débattu de longues heures sur des questions de psychologie et de neurosciences.

La toute première séance à l’air libre

Cécile s’aperçut soudain que Line et Thomas avaient quitté la pièce. Elle les entendait discuter sur la terrasse par la porte vitrée laissée ouverte. Elle se leva. Prise d’étourdissements, elle dû s’appuyer contre le mur avant de les rejoindre. Assis côte à côte sur une des marches du perron, ils étaient face à la mer, lui tournant le dos. La propriété avait un jardin arrière qui s’arrêtait au bord de la falaise et ne possédait nulle barrière. Mais Thomas n’avait pas entraîné Line plus loin que la terrasse. L’étendue d’herbe rase et quelques arbustes épars, permettaient d’admirer l’horizon à perte de vue. C’était d’une beauté à couper le souffle, si calme, si reposant. Au cours de ses visites, jamais elle n’avait soupçonné l’existence de ce havre de paix. Elle se sentait tellement déconnectée, soudain. Décidément, sa fille était au bon endroit.

— Et, tu vois les gens de plusieurs côtés à la fois ?

— Oui, confirma Line, mais je peux aussi les voir à plusieurs endroits en même temps. Quand ils étaient petits, par exemple.

— Ça te fait peur ?

— Non, mais eux ça leur fait peur quand je leur dis. Élise est très fâchée si je lui raconte ce que je vois. Alors, moi aussi je me fâche.

— Toi aussi tu es très fâchée ?

— Bah oui, parce que je vois la colère chez tout le monde. Je déteste ça. La colère, elle rend tout noir et ça j’aime pas du tout. Je veux m’en aller si vite que tout bouge très fort autour de moi. Tout le monde a peur.

— Comme tout à l’heure ?

— D’habitude, ça bouge, mais personne ne voit. Au parc, c’est le sable qui s’est fâché. Il bougeait dans tous les sens, il a attaqué de partout, ça faisait très mal. Je n’ai pas bougé le sable, moi.

— Il t’a attaqué aussi ? Tu as des marques rouge sur le visage, ça fait encore mal ?

— Oh oui, dit-elle en effleurant son visage encore marqué, comme s’il avait reçu de minuscules coups de fouet. C’est pour ça que je n’aime pas le noir, j’avais peur qu’il m’attaque. Aujourd’hui, c’est ce qu’il a fait.

— Tu aimerais apprendre à te protéger, ou à empêcher que ça bouge ?

— Oh oui, j’aimerais beaucoup beaucoup !

J’arrête là cet épisode, bien que j’aurais aimé vous raconter comment le Docteur Jay propose à Line un exercice qui lui permettra de s’ancrer dans la réalité en jouant avec son inconscient. Elle devra s’entraîner chaque soir à se déplacer consciemment en manipulant ses souvenirs à l’aide de son imaginaire. Ensuite, une réunion de famille s’impose. Le groupe se constitue autour du père, Antoine, qui fera office de cerveau, en référence au « groupe », véritable organisme vivant, magistralement orchestré par Álex Pina, le réalisateur de « La Casa de papel ». La suite au prochain numéro…

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Quand le héros bascule, tout le monde bascule

Cet épisode n°6 met en scène l’événement déclencheur, le vrai, l’unique ! La première image qui m’est apparue et qui m’a fait penser : « je tiens un truc ».

Bonjour à tous. J’ai fait l’erreur de laisser passer du temps entre cet épisode et le précédent. Pourquoi ? Parce que je me demandais comment écrire l’histoire de Line en un temps aussi court. Je rappelle aux nouveaux venus (bienvenue à vous !) que « Le projet Line » est un défi : écrire un roman en trois mois. Reste un mois et demi pour la première phase qui consiste à créer l’enfance d’une super-héroïne à la française. Depuis le début de cette aventure, je vous livre un à un des épisodes tirés de mes séances d’écriture (voir ma méthode en 3 clés) et, après mûre réflexion, ça va continuer comme ça, sinon je vais vous perdre. De mon côté, j’accélère le mouvement en anticipant l’histoire et je n’omettrai rien du travail effectué en amont.  L’invention de nos futurs ennemis est en bonne voie, et j’ai hâte de vous les présenter. En attendant, cet épisode n°6 met en scène l’événement déclencheur, le vrai, l’unique ! La première image qui m’est apparue et qui m’a fait penser : « je tiens un truc ».

Dans un roman, le rôle de chaque personnage se transforme au cours de l’histoire

le rôle des personnages
Rappelons que, dans un roman, le superflu n’a pas sa place - photo de Jeff Jacobs

Comme je vous disais, je travaille en amont. L’avantage du travail d’écrivain c’est que, à mes yeux, c’est le plus agréable du monde. Preuve en est, j’ai avancé la structuration de notre histoire et le placement des personnages en regardant la série télé espagnole « La Casa de papel », un exploit en terme de travail scénaristique et de création de personnages. L’épisode d’aujourd’hui met en scène un personnage secondaire qui aura son importance, comme ils le doivent tous. Rappelons que, dans un roman, le superflu n’a pas sa place. Et, pour cela « La Casa de papel » est une bonne leçon d’écriture, j’y reviendrai par la suite. Ici, Élise, la nourrice, a un regard négatif sur ce qui se joue au sein de la famille d’Haranguier. Elle me fait penser à Arturo, un personnage de la série. Arturo, c’est celui qui fout sa merde et passe à travers les mailles du filet. Personne ne voit que c’est lui qui incite les autres à prendre des risques. Sa lâcheté est viscérale, elle le conduit à trahir malgré lui. C’est pour ça qu’il fait pitié. Il prend des responsabilités par moralité. Élise serait apte à jouer un tel rôle, tandis que Victoire, la cuisinière, ressent de nouvelles responsabilités à assumer face aux défaillances évidentes d’Élise.

Inventer une super-héroïne qui rivalise avec les géants américains...

Ça vous tente ?
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Victoire prend conscience qu’Élise est une menace pour Line et, pour une fois, fait preuve de tactique

Élise, l'incarnation du trouble
Le rôle de la nourrice, personnage trouble et inquiétant

Rendre l'aventure fantastique...

Tu me suis, là ?
unique !

Élise avait l’air dubitatif. Victoire n’avait jamais fait montre de sympathie envers elle et c’était bien la dernière personne qu’Élise aurait sollicitée pour lui venir en aide. Mais, si Victoire intercédait en sa faveur, ce n’était pas pour l’aider elle, mais pour protéger Line. Élise se sentait prise au piège dans une toile d’araignée. Tout le monde ici voudra étouffer l’affaire. Elle se ferait sucer jusqu’à la moelle comme la pauvre mouche qu’elle était. Non ! Elle devait trouver de l’aide à l’extérieur mais, Winston avait été très clair : sa carrière serait brisée et elle avec. Ils avaient le bras long ces gens-là. Elle travaillait dans la haute depuis suffisamment longtemps pour savoir que rien ne transpirait hors des murs de leur logis.

— J’imagine, reprit Victoire, que vous trouvez la force de tenir auprès de Dieu.

— Oh, oui, Victoire, si vous saviez !

— Le curé de Saint Jean vous a-t-il donné des conseils éclairés ?

— Oh, oui, enfin, je veux dire… je n’ai… je n’en ai parlé à personne, non.

Victoire, sous ses airs compatissants, guettait la mine défaite de la nourrice dont les joues rosissaient derrière le mensonge qu’elle tentait de défendre. Ses yeux roulaient dans leurs orbites, comme ceux d’un veau qu’on mène à l’abattoir.

— C’est bien, l’encouragea Victoire. Le curé de Saint Jean est un homme avisé.

— Non, ce n’est pas lui…

— Qui donc, alors ?

— C’est-à-dire… je n’en ai parlé à personne.

— Quel que soit la personne à qui vous vous confiez, il est important d’avoir une oreille bienveillante à vos côtés.

Élise se leva avec difficulté, s’accrochant au dossier de sa chaise, elle sentait le sol se dérober sous ses pieds. Elle s’était trahie ! Accablée par les visions cauchemardesques de son propre destin, elle avait envie de vomir.

— Excusez-moi, balbutia-t-elle, je ne me sens pas bien. Elle se traîna vers les escaliers pour rejoindre sa chambre.

— Laure, cria Victoire.

Une jeune fille accourut aussitôt dans la cuisine.

Allez trouver Élise, j’ai peur qu’elle ne fasse un malaise.

— J’y vais !

Victoire réfléchissait au nombre de paroisses potentielles où Élise était susceptible de se rendre pour sa prière dominicale et s’étonna de ne jamais s’être posée la question. Line se réveilla alors que la maison était plongée dans un profond silence. Les yeux gonflés d’avoir tant pleuré, elle fixait Victoire avec intensité.

— Comment te sens-tu ma douce ?

— Est-ce qu’il a pris le chat ?

— Non, ma douce, le pauvre petit bonhomme est parti en courant complètement dévasté.

— C’est quoi, dévasté ?

— Il était effrayé, Line. Qu’est-ce qui s’est passé ?

Je voulais aider la chat, je voulais qu’il ait un lion qui défend le chat. Un gros papa qui défend le chat.

— Un lion ?

— Oui, un lion qui défend ses petits. Il n’a pas le droit de faire du mal à Monsieur chat.

— Oui, je comprends, Line, mais comment ?

J’étais le lion, c’était moi le lion.

Victoire ne sut que répondre. Elle n’osa pas prendre les paroles de Line au sérieux, de peur d’avoir l’air contrarié.

— Tu as fait peur au garçon, très peur même.

— C’est pas ma faute, c’est le chat qui m’a montré et je voulais l’aider, j’ai…

— Oui, ma douce, je t’écoute.

— J’ai voulu que le lion vienne.

— Tu peux faire le lion pour me montrer ?

Line regarda Victoire d’un air surpris.

— Mais, je ne fais rien, moi. C’est le lion qui vient. Moi, je ne suis plus là, je le laisse être… moi.

Cette fois, Victoire ne pu cacher son inquiétude. Elle sentit les traits de son visage se crisper. Et Line s’en aperçut, bien sûr.

— C’est pas ma faute ! Répéta-t-elle au bord des larmes.

— Non, évidemment, Line. Je te crois, je comprends…

— Non, tu comprends pas ! cria-t-elle en se tortillant pour se dégager au plus vite des bras de la cuisinière. Tu comprends pas ! hurla-t-elle en sortant dans le jardin.

Victoire regarda Line rejoindre le chat dans le jardin. Il fallait prendre les choses en main, trouver de l’aide. Une vague d’angoisse lui serra la poitrine. Qui peut bien comprendre ce genre de phénomène ? Elle pensa à Camille, la fille de Winston et Victoire comprit soudain qu’elle était peut-être la seule à ignorer  ce qui arrivait réellement à cette chère petite. Finalement, l’idée que Line était déjà bien entourée lui redonna de la vigueur. Elle alla s’enquérir de l’état d’Élise et croisa Cécile qui revenait de son rendez-vous du vendredi. Depuis quelques semaines, elle allait à un rendez-vous mystère. Ce n’était pas dans ses habitudes. Depuis la naissance de Line, elle mettait un point d’honneur à être joignable à chaque instant, annonçant ses déplacements à tous les gens de la maison, son planning bien en évidence sur le tableau de l’entrée. Mais, depuis environ un mois, son escapade du vendredi matin restait case blanche.

— Bonjour Victoire, tout va bien ?

— Élise a fait un malaise, j’allais justement voir comment elle allait.

— Oh, c’est ennuyeux ça ! Où est Line ?

— Dans le jardin avec un chat.

— Quelle horreur ! Comment pouvez-vous la laisser seule avec un animal aussi dangereux et plein de parasites ! Elle risque d’attraper une maladie. C’est tout à fait inconscient.

— Monsieur d’Haranguier n’a pas semblé le lui interdire. J’ai pensé que c’était une bonne chose.

— Vous plaisantez ?

— Madame, savez-vous où Élise se rend à l’église ? demanda Victoire sans relever sa remarque.

— Oui, je crois bien que oui, vous pourriez l’interroger vous-même. Je crois qu’elle se rend à Guétary, l’église Saint Nicolas si ma mémoire est bonne. Pourquoi cette question ?

— Pour rien, madame.

— Allez voir Élise, je m’occupe de Line.

Victoire croisa Clara, la jeune femme de chambre, entre deux étages.

— Alors, comment va-t-elle ?

— Ma fois, je ne sais pas trop, ça a l’air d’aller puisqu’elle m’a intimée l’ordre de sortir de sa chambre. Elle était dans son cabinet de toilettes. Je ne l’ai pas vue.

Victoire frappa plusieurs fois à la porte d’Élise avant d’obtenir une réponse. Lorsqu’elle s’annonça, Élise ouvrit enfin. Pâle comme un linge, elle dévisagea Victoire, puis retourna s’asseoir sur le bord de son lit.

— Cécile m’a dit que vous allez à l’église Saint Nicolas, à Guétary. Vous avez discuté de Line avec le curé ?

Victoire avait décidé de ne pas y aller par quatre chemins. L’état d’Élise serait peut-être la seule ouverture pour parler franchement. La nourrice acquiesça, comme vaincue.

— Vous a-t-il donné des conseils judicieux ?

— Je crois que oui. Il pense que je dois accepter la mission que Dieu m’a confiée.

Ça m’aurait étonnée, pensa Victoire.

— Vous a-t-il proposé son aide ?

— Il me soutient dans cette épreuve et me demande d’être patiente, que le jour viendra où je serai récompensée de mon sacrifice…

— Mais, au sujet de Line, l’interrompit Victoire d’un ton agacé. Je veux dire, se reprit-elle, que pense-t-il de Line ? Que lui avez-vous dit ?

— Eh bien, je lui raconte comment Line entre dans mon esprit… il y a certaines pensée, parfois, je me demande si ce sont vraiment les miennes ou si c’est Line qui les induit en moi. Je lui explique qu’elle devine des choses qu’un être humain ne peut deviner qu’en sondant notre esprit.

— Et qu’en pense-t-il ?

— Il refuse de tirer des conclusions hâtives…

Victoire retint son souffle.

Il pense possible qu’elle soit possédée.

— Qu’est-ce qu’il préconise ? demanda Victoire en contenant difficilement sa colère.

— D’être patient. J’ai peur, Victoire, avoua Élise d’une voix faible. Je prie chaque jour pour que Dieu me donne la force de continuer.

— Nom d’une pipe ! ne pu s’empêcher de s’exclamer Victoire. Nous devons en parler à Winston.

— Oh, il ne fera rien. Il me tient, Victoire ! Tout ce qui l’intéresse, c’est de me faire taire.

Victoire réfléchit une minute. Soudain, elle comprit que Winston devait déjà être au courant de tout. Le connaissant, il avait peut-être même prit contact avec le curé de Guétary. Il n’était pas homme à laisser place au hasard. Cécile passa sa tête dans l’entrebâillement de la porte tout en frappant avec discrètement.

— Je ne dérange pas ?

— Non, madame, absolument pas. Entrez, répondit la nourrice en faisant mine de se lever.

— Avez-vous besoin que j’appelle le médecin, Élise ?

— Non, madame, ça ne sera pas nécessaire. Encore quelques minutes et tout ira bien.

— Reposez-vous donc. Je m’occuperai de Line cet après-midi.

— Oh, certainement pas ! Je vais bien, je vous assure.

— En ce cas, allons faire un tour au parc ensemble. Prendre l’air vous ferait-il du bien ? Nous prendrons ma voiture, qu’en dites-vous ?

— Je vous remercie, oui, c’est une bonne idée, mentit Élise.

— Ne bougez pas. Je prépare les affaires avec Victoire et reviens vous chercher.

Cécile et Victoire quittèrent la pièce et descendirent au rez-de-chaussée.

— Pensez-vous qu’Élise a besoin de congés, Victoire ?

— Je ne sais pas, madame d’Haranguier. C’est bien possible mais, elle ne l’admettra peut-être pas.

— Vous avez raison, je vais devoir en discuter avec elle. Il faudrait chercher quelqu’un pour la remplacer, ce qui n’est pas chose facile. De plus, Élise habite Perpignan. Il lui faudrait un congé d’au moins deux semaines, peut-être plus. Nous devrons prendre des mesures. Et puis, ce ne serait pas un mal de trouver quelqu’un de remplacement pour les coups durs. Je vais appeler l’agence demain.

Cécile se révèle sous nos yeux, bien plus secrète qu’il n’y paraissait

Quand un événement déclencheur scelle le destin d’un héros, prenez bien conscience qu’il n’est pas seul à être entraîné dans la tourmente, à transformer son état d’esprit et à endosser un nouveau rôle. C’est souvent tout un groupe qui voit sa vie basculer. Et n’oublions pas que, en face, le groupe adverse réagit. Pour la deuxième partie de l’épisode 6, c’est la mère de l’enfant qui va endosser le costume. On la pensait effacée, loin des préoccupations quotidiennes d’une mère pour sa fille mais, finalement, nous la voyons se transformer d’un coup sous nos yeux.

naissance d'une mère
Naissance d'une mère - Photo de piepie

C'est quoi son nom, déjà ?

LINE D'HARANGUIER
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Cécile avait laissé Line en compagnie de Guilhem. Guilhem est jardinier de métier. Chargé de garder la maison familiale en leur absence, il s’occupe des travaux nécessaires à son entretien. C’est lui le gardien de l’antre, depuis très longtemps. Cécile ne savait pas exactement depuis combien de temps il était au service des d’Harranguier, mais elle savait qu’il avait toute la confiance d’Antoine. Il s’était installé dans le pigeonnier qu’il avait complètement rénové pour faire de cet endroit un petit paradis où Line adorait passer du temps. Guilhem réalisait des maquettes de bateaux et d’avirons, et confectionnait des miniatures de toute sorte, allant de la chaise en bois, des chaussures et des instruments de musique, jusqu’aux horloges anciennes. Un véritable artiste ce Guilhem. Il se tenait à l’entrée de son logis, fabriquant une cabane pour le chat. Cécile s’était laissée convaincre par sa fille qu’un chat pouvait bien vivre dehors sans déranger personne et Guilhem s’était engagé à le conduire chez le vétérinaire pour en faire le nécessaire ; il s’occuperait personnellement de l’intrus et de ses parasites. Rassurée, Cécile avait accepté le marché. Guilhem avait dégoté des planches qu’il sciait déjà à la bonne mesure. La minuscule maison prenait forme au grand plaisir de Line.

— Nous allons partir au parc, Line.

— Mais, la cabane…

— À la vitesse où ça va, elle sera prête quand nous partirons. Je reviens te chercher quand nous serons prêtes.

Quelques heures plus tard, Élise avait retrouvé des forces et profitait du soleil de mars, assise sur une couverture qu’elles avaient étalée sur l’herbe de façon à admirer la mer. L’aire de jeux n’était pas très grande mais présentait l’immense avantage d’être située sur la colline Sainte Barbe, promontoire rocheux où s’étalait devant leurs yeux toute la beauté de la baie de Saint Jean de Luz. Line avait insisté pour prendre son attirail de « prospecteur », mot qu’elle avait récemment appris et qui faisait galoper son imagination vers des contrées froides et obscures où les plus grands trésors étaient à sa portée.

Maman, je peux aller jouer au sable ?

— Ne bougez pas Élise, je l’accompagne.

Élise allait protester mais Cécile s’était levée et partait déjà avec sa fille armée de son équipement de fouille. Le bac à sable se trouvait à moins de cinq mètre de leur installation ; Élise pouvait les surveiller à loisir sans pour être responsable des agissements de la fillette. Elle éprouvait pourtant une certaine angoisse dans son rôle d’observatrice. D’autres enfants jouaient dans le sable et, dès que Line était à proximité de ses congénères, il se passait toujours quelque chose.

Élise se remémorait le pire moment vécu dans ce même parc. Un ballon arrivait droit sur Line. Il fonçait comme un bolide ; il allait forcément heurter son dos ou son crâne. Mais, il stoppa net alors qu’Élise était sur le point de réagir avant le point d’impact. Il rebondit plusieurs fois à quelques centimètres de la gamine qui ne semblait s’être aperçue de rien. Élise vit pourtant que Line avait cessé d’effeuiller les pétales de sa fleur (activité que Lise affectionnait par-dessus), son regard perdu dans le vide et ses mains en suspens. Le ballon rebondit une fois, deux fois, trois fois et, tout à coup, se propulsa dans la direction inverse, avec l’élan d’un tir au pied. Il frappa de plein fouet le garçon qui, visiblement, l’avait lancé et courait vers elles pour le récupérer. L’enfant se le prit en plein visage et s’étala par terre en hurlant. Élise était médusée mais se dit aussi qu’il valait mieux ne pas traîner dans le coin. Line reprenait déjà son effeuillage sans s’être retournée une seule fois. Les adultes affairés autour de la victime jetaient des regards inquisiteurs dans leur direction. Ils pensaient forcément qu’elle était coupable. Comme s’il lui était un jour arrivé de relancer un ballon ! Elles s’éclipsèrent sans faire d’histoire et, depuis ce jour, Élise évitait les parcs préférant se promener avec Line au bord de la rivière que la petite adorait, dans des lieux isolés ou au contraire très peuplés, évitant au maximum tous les espaces dédiés aux enfants.

La scène qui te fait penser que « tu tiens quelque chose » avant même d’écrire le roman

l'élément déclencheur du roman


Line n'est pas seule...

Suis-nous !
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Elle voyait Cécile sur l’un des rares bancs placés à bonne distance de l’espace de jeux, comprenant des balançoires et un grand bac à sable. Elle savait que Cécile n’aimait pas ce genre d’endroits remplis de saletés et de microbes, et qu’elle devait faire un effort pour supporter voir sa fille s’y vautrer. Elle tapotait furieusement sur son téléphone, évitant à dessein de regarder Line qui entamait méthodiquement l’excavation d’un cratère. Élise s’en inquiéta mais n’osa les rejoindre de peur de paraître impolie. Comme la majeure partie des enfants présents jouaient près des balançoires, le bac à sable était quasiment désert. Seules deux autres fillettes se trouvaient près de Line. Élise vit l’une d’elles se rapprocher pour lui dire quelque chose. Elle avait un petit râteau à la main qu’elle commença à gratter sur les bords du trou, qui était suffisamment grand pour que Line ait pu s’installer dedans.

Le cœur d’Élise cessa de battre. Line s’était levée et arrachait le râteau des mains de la gamine qui cherchait déjà à lui reprendre. Élise jeta un œil à Cécile toujours absorbée par son écran. Elle se leva immédiatement, sentant la catastrophe arriver, et se précipitait vers l’espace de jeux. À peine s’était-elle mise en mouvement qu’un tourbillon de sable se souleva autour des deux fillettes. Cécile leva enfin les yeux vers sa fille et se rua sur elle. Élise courait aussi vite qu’elle pouvait mais, lorsqu’elle arriva à leur hauteur, le soulèvement de sable avait pris des proportions irréelles. Elles étaient littéralement soumises à un champ de force, comme prises dans une tempête de sable. D’autres parents s’étaient lancés dans le tourbillon aveuglant, fouettant la peau avec une violence inouïe. Des cris affolés parvenaient maintenant aux oreilles d’Élise, malgré le sable qui s’infiltrait partout ; il s’introduisait dans le nez et dans la bouche. On pouvait à peine ouvrir les yeux !

Cécile s’était déjà échappée du terrain. Élise les rejoignit aussitôt et comprit que Cécile avait instinctivement cherché à calmer la colère de sa fille, avant même, peut-être, d’en comprendre les corrélations avec le phénomène dont ils étaient victimes. Cécile avait-elle saisi que sa fille en était responsable ? Le tourbillon se calma d’un coup, faisant retomber le sable dans toutes les directions. Le bac était pour ainsi dire vidé de son contenu, touchant le reste du parc. On aurait dit un champ de bataille. Cécile ne fit aucun cas d’Élise. Elle serrait sa fille dans ses bras et courut jusqu’à leurs affaires. Là, elle chercha Élise du regard et, quand elle la vit, elle attrapa son sac et lui ordonna de s’occuper de ramener le reste. Cécile disparut sans autre explication, laissant la nourrice en plan.

La transformation d’un personnage clé commence

Cécile avançait d’un pas sûr, tenant fermement sa fille dans les bras, le sac en bandoullière. Elle avait une expression déterminée, son doux visage durci par la colère, les sourcils  froncés et les lèvres pincées. Elle marchait vite et sentait les soubresauts de Line qui pleurnichait. Cécile ne disait rien, regardant droit devant, s’agrippant à la gamine comme si elle pouvait lui échapper. Arrivée à la voiture, elle installa Line sur le siège enfant, l’harnachant avec une dextérité inhabituelle, et, refusant de jouer le sempiternel conflit d’égo au moment de l’attacher à l’arrière, elle la regarda droit dans les yeux.

— Line, je suis là, je sais ce qui t’arrive, n’aie pas peur, je suis là, dit-elle d’un ton assuré. D’accord ?

La petite resta muette, dévisageant sa mère les yeux ronds, emplis d’émotion, que ses mots semblaient pénétrer d’une lueur d’espoir.  Cécile referma doucement la portière, prit une grande inspiration, s’installa au volant et posa son sac sur le siège passager avant d’en sortir son portable.

— Docteur Jay ? J’ai besoin de vous voir immédiatement. Bien sûr que non, sinon je ne vous appellerais pas ! Je suis avec ma fille, c’est maintenant… D’accord, je suis chez vous dans un quart d’heure.

 Le docteur Jay est un personnage dont les contours restent flous. Dans les prochains épisodes la notion de groupe se précise. J’y travaille suite à mon analyse de la série « La Casa de papel », dont je vous ferai un compte rendu prochainement. Le rôle des personnages et l’évolution de leurs interactions est passionnante. Le positionnement d’un groupe d’appartenance s’opère face à un ennemi dont je dessine les contours en m’inspirant d’un de mes romans favoris : « Malhorne », de Jérôme Camus.

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Écrire un roman c’est comme partir en voyage

En pratique, je décrirais notre itinéraire comme suit : d’abord, une idée, une scène clé qui frappe notre esprit et qui nous laisse un effet waouh ! Pour le projet Line, c’était la scène du bac à sable (promis, elle arrive dans l’épisode suivant). Voilà donc comment le véhicule démarre

J’ai déjà rempli la moitié d’un nouveau carnet quand je m’aperçois que je n’ai encore rien partagé de ce qui est écrit dedans. Les pages se noircissent chaque matin. Environ une demi-heure suffit pour avancer. Mais, pour écrire un roman en 3 mois, je ne pourrai m’en contenter. D’expérience, je sais qu’à l’approche de l’échéance, les heures d’écriture s’enchaînent avec frénésie. Écrire un roman, c’est comme partir en voyage vers une destination plus ou moins précise. À chacun sa méthode.

Faut-il suivre un itinéraire déjà balisé pour écrire son roman ?

world-carte Europe - TheAndrasBarta
"Pour moi, interroger nos propres pouvoirs et les enjeux de leur maîtrise, me précipite sur une piste comme un chien renifleur." - Photo de Andras Barta

Inventer une super-héroïne qui rivalise avec les géants américains...

Ça vous tente ?
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On trouve d’abord une idée de voyage qui nous emballe

En pratique, je décrirais notre itinéraire comme suit : d’abord, une idée, une scène clé qui frappe notre esprit et qui nous laisse un effet waouh ! Pour le projet Line, c’était la scène du bac à sable (promis, elle arrive dans l’épisode suivant). Voilà donc comment le véhicule démarre : une image choc (une gamine de trois ans qui provoque une tempête dans le bac à sable !) et une intention. Tout voyageur a bien une intention derrière la tête, une passion à partager, un fantasme à assouvir, c’est selon. Pour moi, interroger nos propres pouvoirs et les enjeux de leur maîtrise, me précipite sur une piste comme un chien renifleur.

On cherche une annonce de voyage conforme à nos désirs

Une super-héroïne qui naît avec des pouvoirs, c’est un peu comme parler de nous tous. Nous, les humains, disposons de la machine la plus perfectionnée au monde : un corps associé à un esprit. Malheureusement, nous sentons que nous n’aurons pas assez d’une seule vie pour en découvrir tout le potentiel. D’un côté c’est frustrant, de l’autre, ça nous pousse à faire le maximum pour explorer les pouvoirs qui nous sont conférés. On flaire un bon slogan ! Non pas du type « Tous à la plage ! » mais plutôt du style « Accrochez-vous ça va être du sport ! ». À ce stade, l’annonce manque de précision, mais on est exalté et prêt à s’engager.

On se décide à partir en notant d’examiner la carte en chemin

On démarre ! Sans attendre, le véhicule s’engage sur la chaussée. Malgré l’excitation du départ, on y va lentement. On prend la route vers une destination qui donne envie sans toutefois être sûr d’y arriver. On se dit juste qu’elle a un potentiel touristique encore inexploité. En plus, on croise des voyageurs perdus qui n’ont visiblement pas planifié leur parcours. En effet, « Comment élever un super-héros » est une série qui vient de sortir sur Netflix. Et, l’avantage d’un titre qui se révèle trompeur (car la série passe allègrement sous silence la difficulté d’éduquer un enfant aux superpouvoirs embarrassants), c’est que ça donne envie de redresser les tords. Bref, je suis maintenant persuadée que mon idée de départ a de la ressource.

comment-elever-un-super-heros

Faut-il écrire son roman en planifiant les grandes étapes du voyage?

car stop on the road -Eli Grek
"Tout en parcourant chaque matin les petites routes, je cherche les indices qui me mèneront sur la route principale. Un conflit central, voilà de quoi notre histoire a besoin !" - Photo de Eli Grek

Rendre l'aventure fantastique...

Tu me suis, là ?
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Je me pose en chemin pour évaluer les distances

Je démarre donc avec l’écriture des scènes qui m’aident à découvrir le sens que je veux donner à mon histoire. Je pense parfois à notre slogan (le pitch, en fait) qui nous donnera la force d’avancer. Car, je l’avoue, si le conflit de départ réside dans l’adaptation d’une gamine extraordinaire dans un monde ordinaire, l’origine de ses pouvoirs est forcément la clé du mystère qui en fera fonctionner les rouages. Tout en parcourant chaque matin les petites routes, je cherche les indices qui me mèneront sur la route principale. Un conflit central, voilà de quoi notre histoire a besoin ! Nous avons donc besoin d’élaborer des histoires dans l’histoire. C’est leur imbrication qui forgera notre intrigue.

Trouver le point de jonction est une étape importante du voyage

L’articulation des faits, présents, passés et à venir, s’élabore parallèlement au plaisir de voyager. Je vous rappelle que la carte n’est pas le territoire. Et rien ne nous empêche d’aller à la rencontre de nos personnages et de créer l’ambiance avant de découvrir l’envers du décor. Cependant, pour respecter les délais impartis, j’ai quand commencé à dérouler le fil. Je cherche sur la carte les points-relais les plus évidents et commence à réfléchir au point de jonction crucial de notre histoire : les origines des pouvoirs de Line. Ils passent forcément par sa mère qui, je vous le rappelle, a été adoptée (voir l’épisode 2 où la mère, encore nommée Sarah, devient Cécile dès l’épisode 3).

Demander sa route est parfois judicieux : une aide précieuse arrive

Par chance, chers abonnés, l’un de vous a eu la gentillesse de m’envoyer sur une piste intéressante. J’en profite pour vous remercier de suivre cette aventure exaltante et pleine de rebondissements grâce à vos aiguillages pertinents. Onsfride m’a donc lancé sur la piste de la mère. Voici ce qu’il écrit : « Après maintes réflexions sur les pouvoirs de Cécile et Line au cours des épisodes précédents et à venir, j’entrevois un dualisme de pouvoir. Et je peux dire que Cécile, pour renouer avec ses pouvoirs, il faut la mettre face à un dilemme, et Line devant le fait accompli. Soit provoquer une situation de rivalité, soit créer une fusion des forces dans un duel, pour voir la bestialité des démons qui sommeillent en elles. »

Les secrets de Line s’éventent doucement aux oreilles de l’ennemi

Les démons de Line - Stefan Keller
Onsfride, abonné au blog, propose de "créer une fusion des forces dans un duel [entre Line et sa mère] pour voir la bestialité des démons qui sommeillent en elles" - Photo de Stefan Keller

C'est quoi son nom, déjà ?

LINE D'HARANGUIER
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Le voyageur peut tomber sur un os, forcé d’élaborer un meilleur scénario

La proposition d’Onsfride est d’autant plus intéressante que je visionnais cette semaine la série « Batwoman ». D’un manque d’originalité navrant, cette série a pourtant l’immense avantage de découper les éléments scénaristiques essentiels qui structurent une histoire et, parmi eux, justement, la rivalité affective entre l’héroïne et le parent, responsable du merdier ambiant. C’est un conflit qui permet de balancer le spectateur entre les ressorts affectifs et les dessous de l’intrigue. Pour nous, le conflit entre la mère et Line doit être inventé ! Le passé de Cécile va bientôt les rattraper et ça va faire mal ! Onsfride, je te donne entièrement raison sur ce point et je te remercie d’en souligner l’importance à venir. Ces perspectives scénaristiques étant entendues, je vous partage aujourd’hui la suite de l’histoire.

Super-héroïne Batwoman
La rivalité affective entre l’héroïne et son père, responsable du merdier ambiant, est bien représentée.


Line n'est pas seule...

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L’importance de l’élément déclencheur

Vous allez découvrir aujourd’hui l’épisode 5. J’ai, depuis, avancé l’enchaînement des faits, et l’épisode 6 relatera l’élément déclencheur le plus marquant. La fameuse scène choc qui m’a convaincue de me lancer dans l’écriture de ce roman. Un élément déclencheur pousse le protagoniste dans une spirale infernale. Comme son nom l’indique, il déclenche véritablement le point de non retour pour les protagonistes. Il invoque l’enchaînement des actions ultérieures et, surtout, engage le héros à faire un choix décisif et à s’engager dans l’histoire en « déclarant consciemment son objectif ». Ce point est déterminant pour assurer la qualité d’un récit. Line et sa mère seront forcées d’agir, d’entrer en action dès l’épisode suivant, tandis que les autres personnages seront obligés de se positionner.

Épisode 5 : les conséquences du premier élément déclencheur

Maintenant, la suite du récit ! Souvenez-vous que l’héroïne n’est pas seule. Les personnages secondaires sont comme les pièces maîtresses du jeu, elles mettent en conflit deux volontés divergentes. Alors, où en étions-nous ? Ah oui, souvenez-vous, dans l’épisode précédent, Victoire, la cuisinière, se rend compte que Line a vraiment un truc pas net. Elle a une révélation. Complètement retournée, Victoire entrevoit les possibles implications pour la sécurité même de l’enfant. Christophe, l’apprenti du père Borro, promet de revenir après son service…

— Tu vas me dire ce que tu sais, mon garçon.

Christophe ne su que répondre. Il était inutile de nier que Line avait causé la folie passagère du petit gamin. Victoire en avait été le témoin direct. Une vraie scène d’horreur… Quoi dire ? Line finirait bien par se trahir toute seule. Victoire était peut-être la mieux placée pour l’aider, après tout.

— Line a… comment dire… Elle peut nous faire voir des choses. Pas n’importe quoi ni n’importe quand. Elle n’en fait pas exprès. C’est quand elle a peur, je crois. C’est pas facile à expliquer. Et, ça lui plaît pas du tout, tu sais, c’est pas exprès qu’elle fait ça.

Les premières confrontations, prélude aux réglements de compte

Au cœur de l'intrigue - Photo de Stefan Keller
"Line a… comment dire… Elle peut nous faire voir des choses..." - Photo de Stefan Keller

Placer doucement ses personnages sur l’échiquier

Victoire regardait Line endormie dans ses bras. Sa beauté métissée lui conférait une délicatesse particulière, une préciosité qui faisait fondre la cuisinière. Elle adorait cette enfant, sa peau presque nacrée, ses yeux en amande et son intelligence si peu ordinaire… Victoire se sentait brisée. Elle redoutait plus que de raison que la fragilité de Line était exposée à un danger imminent et ne comprenait pas les propos de Christophe. La sonnerie du téléphone mural de la cuisine retentit. Pour des raisons pratiques, elle était réglée à son volume maximal. Victoire en fut toute ébranlée. Christophe paniqua :

— C’est Borro, il va me tuer ! Victoire je dois y aller, s’il te plaît invente quelque chose de crédible.

— Je vais lui dire que j’ai fait tomber le carton de bouteilles, répondit-elle dans un éclair de lucidité, que tu m’as aidé à nettoyer et que tu reviens en rapporter un. Va vite !

Christophe partit sur le champ, courant comme un dératé rejoindre le restaurant de l’hôtel Chantaco. Line ne s’était pas réveillée. Elle dormait si profondément qu’elle semblait s’être réfugiée dans un monde inaccessible au commun des mortels. La tenant fermement, Victoire décrocha et calma le père Borro.

Lorsque Christophe revint chargé d’un nouveau carton de lait, Victoire n’avait pas bougé, portant toujours Line dans ses bras. Elle avait dû rembarrer la nourrice qui s’était pointée pour récupérer la gamine. Mais, Victoire n’avait rien voulu entendre. Élise avait dû capituler face au comportement inhabituel de la cuisinière. À sa connaissance, elle n’avait jamais laissé traîner les restes du petit-déjeuner sur la table, même au bénéfice du sommeil sacré de l’enfant. Déroutée et intriguée, elle était repartie avec plus de questions que de réponses. Christophe, quant à lui, était si agité que Victoire ne pu le convaincre de rester.

— Tu vas m’expliquer ce que ça veut dire ?

— Je dois repartir tout de suite, insista-t-il. Borro m’a dit que si je ne rentrais pas immédiatement, c’était pas la peine de revenir. Je vais perdre mon travail, Victoire !

— Va Christophe, repasse ce soir, nous en discuterons à ce moment là.

— Tu sais, Line est une fille super, elle mérite qu’on garde son secret mais, la vérité, c’est qu’elle ne peut pas le garder, elle ne maîtrise pas.

— Je sais, oui, je sais. Allez ! Reviens me voir tout à l’heure, tu m’expliqueras tout.

— Ok ! lança-t-il en repartant en courant

Victoire ne put s’empêcher de sourire, il avait le sang chaud celui-là et le cœur sur la main. À ce moment-là, elle perçut comme une présence derrière la porte entrouverte qui donnait sur le couloir de l’entrée. « Il y a quelqu’un ? » demanda-t-elle sans y croire. Élise apparut dans l’embrasure de la porte, les bras croisés, une expression narquoise au bord des lèvres.

Alors, Victoire, on a des secrets à partager ?

Faire que les langues se délient quand la ruse prend le dessus 

Victoire sentit son sang bouillir.

— On écoute aux portes maintenant ? C’est sûrement habituel chez vous.

— Oh, ne montez pas sur vos grands chevaux ! Depuis le temps que je vous répéte que cette enfant a un problème. Elle a le diable dans le corps, c’est moi qui vous le dis. Et, j’ai bien l’impression qu’elle va vous en faire voir de toutes les couleurs à vous aussi. L’état de grâce est terminé.

— Dites-moi, Élise, quand vous êtes venue voir Cécile, l’autre jour dans la cuisine, vous vous souvenez ? Vous parliez d’une chose bizarre… je ne sais plus vraiment. Que Line avait cherché à vous faire perdre la tête. Vous avez, je crois, employé le mot « humilier ».

— Je me le rappelle parfaitement. Comment oublier ? Cette petite a cherché à m’humilier, oui.

— Que voulez-vous dire ?

— Ah, ça vous intéresse maintenant. Je ne retirerai pas ce que j’ai dit. Pas un mot, non !

— Accepteriez-vous de me raconter ce qui s’est passé ?

Élise hésita quelques secondes, regarda Line endormie dans les bras de Victoire et s’assit à bonne distance, enhardie par l’intérêt soudain de la cuisinière qui s’était jusque-là moquée de ses allégations, levant les yeux aux ciel ou lançant des remarques acerbes à ce qu’elle qualifiait d’élucubrations, son mot favoris.

Élise savourait ce moment tant espéré d’être prise au sérieux par Victoire. Elle prenait enfin sa revanche sur cette Madame je-sais-tout, cette cuisinière aux airs rustiques, que Monsieur d’Haranguier estimait tant, allez savoir pourquoi ! Élise hésita pourtant à se lancer, réprimant un sentiment de honte à l’idée d’avouer ses faiblesses à Victoire. Mais, l’espoir de voir la fermière frémir d’horreur la décida finalement à entamer son récit sur un ton dramatique.

"Élise apparut dans l’embrasure de la porte, les bras croisés, une expression narquoise au bord des lèvres." - dessin OpenClipart-Vectors

Faire comprendre ce qui se joue plus que ce qui se dit

— J’étais avec Line dans la nurserie, c’était l’heure de sa leçon d’écriture. J’avais écrit au tableau tous les mots correspondant à l’univers du cheval. Ce que nul n’est censé savoir, reprit-elle après un silence de scène, c’est que j’ai une sainte frayeur de ces bêtes-là. Mon père avait des chevaux. Il les élevait pour les courses, principalement. Sans rentrer dans les détails, j’ai eu une très mauvaise expérience qui a faillit me coûter la vie, j’avais sept ans. Vous me connaissez, Victoire, je ne suis pas femme à raconter des anecdotes sur ma vie. Vous non plus, d’ailleurs. Bref, vous me croirez si vous voulez mais je vous assure que Line m’a obligée à revivre cet événement traumatique de mon enfance. Et elle y prit un malin plaisir, je vous le garantis.

— Mais, Élise, qu’est-ce que vous me chantez-là, c’est abracadabrant !

— Oh ne recommencez pas avec vos grands airs. Je vous dis qu’elle l’a fait !

— Alors, expliquez-moi comment…

— Vous voulez des détails, des preuves, c’est ça ? Quelle perversité vous pousse à me demander d’en parler plus que je ne puis le supporter.

— Voyons, Élise, ne croyez pas que je cherche à vous faire du mal, j’aimerais simplement comprendre.

— Et bien, soit. J’avais écrit « cheval », « selle », « étriers » et « sabot ». J’avoue que ce dernier mot m’avait ramenée en pensées à ce coup de sabot qui avait bien faillit me fendre le crâne et m’avait plongée plusieurs mois dans le coma. Line m’a alors demandé si le sabot d’un cheval ça faisait mal. Elle me regardait avec une telle intensité ! Comme si elle me voyait pour la première fois, comme si j’étais une bête curieuse ou un monstre. Puis, j’ai éprouvé une violente douleur au niveau de ma tempe.

Entre indignation et stupéfaction, la déraison sonne aux portes

"Victoire n’en revenait pas. Cette femme a le ciboulot complètement détraqué. C’est honteux de la laisser s’occuper encore de Line !"

La réalité s’impose au-delà de l’extravagance

Élise souleva ses cheveux et obliqua la tête pour montrer à Victoire une vilaine cicatrice, souvenir d’un traumatisme ancien.

— Je sentais une pression insupportable à cet endroit précis, repris Élise en arrangeant sa coiffure toujours impeccablement laquée. Line me demandait sans discontinuer pourquoi le cheval était fâché, pourquoi il m’avait cassé la tête, pourquoi, pourquoi ! Line était entrée dans ma tête, Victoire, elle a le diable en elle. Quel enfant de cet âge serait capable de connaître un événement de mon passé ? Elle a deviné mes pensées ! Elle a saisi ce qui s’est passé dans ma vie il y a plus de vingt ans.

Devant l’air dubitatif de son interlocutrice, Élise enchaîna.

— S’il n’y avait que ça, je me serais dit que j’avais pensé tout haut, que je devenais folle. Mais, il y a tant de signes qui ne trompent pas. Oh, je ne serais pas prête à perdre ma place si je n’étais pas sûre de ce que j’avance. Je ne suis pas folle ! Et je vous avoue sans honte que je veux démissionner. Je n’en peux plus.

— Ces signes dont vous parlez… qu’est-ce que ces signes, Élise, dites m’en plus je vous en prie.

— Si cet incident ne vous convainc pas, je vous dirais une chose, Line est capable de sentir sans voir. Elle a l’obsession des objets. Chaque chose doit être à sa place. Sinon, elle fait une crise. Et je vous assure qu’elle n’a pas besoin de voir l’objet pour savoir qu’il n’est pas là où il doit se trouver. J’espère que vous vous rendez compte !? Je m’occupe d’elle depuis maintenant trois ans, vous n’allez pas me faire croire qu’en allant quelques fois au marché avec elle vous avez pu la connaître mieux que moi, n’est-ce pas ?

Malgré l’offense, Victoire devait bien avouer qu’Élise était ici à plein temps depuis que Line avait trois mois. Ça lui donnait un net avantage, incontestablement.

Les erreurs sont toujours là pour être commises

— Le pire, continua Élise, c’est dans le parc, quand un enfant a décidé de passer là où il ne faut pas. J’évite les endroits de ce genre, voyez-vous, quand elle se retrouve en compagnie d’autres enfants. La dernière fois, le ballon d’un gamin a atterri derrière elle. Il allait la percuter, c’est sûr, il lui arrivait droit dans le dos. Hé bien, non seulement le ballon perdit son élan, mais il rebondit plusieurs fois avant de repartir en sens inverse. Line ne s’est pas retournée une seconde alors que le projectile faucha le malheureux lanceur avec une force inouïe. Oh, je n’ai pas cherché à m’enquérir de son état. Je suis partie sans attendre. J’avais trop peur qu’on vienne nous accuser d’un meurtre. J’en ai encore des frissons.

Victoire en resta baba. Comment aurait-elle pu imaginer… « En avez-vous parlé à Winston ? »

— Et comment ! Il n’a pas été tendre avec moi. Je dirais même qu’il m’a menacée. Oh pas de façon nette et tranchée mais, ses propos ne laissent aucun doute : si je ne la boucle pas, j’aurais de sérieux problèmes. Depuis, je retourne ça dans ma tête. Je suis coincée, Victoire mais, je dois tout de même trouver une solution. Je n’en peux plus.

Victoire était atterrée. Hésitant entre l’indignation et la stupéfaction, elle restait muette, les sourcils froncés, et serrait Line de plus en plus fort sans s’en rendre compte. Lorsque la petite remua, Élise tressaillit, se leva en silence et regarda l’enfant avec une appréhension évidente. Victoire n’en revenait pas. Cette femme a le ciboulot complètement détraqué. C’est honteux de la laisser s’occuper encore de Line ! Victoire était furieuse contre Winston qui aurait dû prendre des mesures immédiates. Comment a-t-il pu confier Line à Élise ? Ses bigoteries n’ont plus rien de cocasse. Line est en danger auprès d’elle. Pas étonnant que la situation prenne une tournure aussi inquiétante. Elle discutera avec Winston dès qu’elle aura éclairci le mystère de ce matin avec Christophe. C’est un monde quand même !

La combinaison des pièces est en marche

— Qu’en pense Madame d’Harrangier ? reprit Victoire alors qu’Élise se dirigeait à reculons vers la porte, les yeux fixés sur Line (complètement toquée cette nourrice).

— Elle m’écoute. Elle tente de contrer mes arguments mais, sans conviction. Je suis sûre qu’elle est d’accord avec moi sans vouloir se l’avouer.

— Je vois, répondit Victoire de plus en plus imperméable aux raisonnements de la nourrice. Écoutez, Élise, je vais en discuter avec Winston et, s’il est d’accord, je lui demanderai de convaincre Monsieur et Madame d’Haranguier de vous laisser partir.

— Vous feriez cela pour moi ?

Placer ses pions avant de sortir la reine

Cécile revient de son rendez-vous mystère quand Victoire lui annonce que la nourrice a eu un malaise. En réalité, Élise s’est disputée avec elle au sujet de la petite Line. D’humeur généreuse, Cécile propose d’accompagner la nourrice au parc pour faire prendre l’air à Line. C’est là que les événements vont s’accélérer pour la famille d’Haranguier. Mettre les différents points de vue en porte-à-faux va permettre de mettre en place une combinaison de conflits poussant Line et sa mère vers l’inéluctable. Maintenant, comme nous avons décidé dès le début que le père imposerait sa volonté avec une détermination sans appel, Cécile aura bientôt un choix difficile à faire. La suite au prochain épisode…

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Au cœur de l’écriture, l’émotion

Pour ce quatrième épisode du Projet Line, je lance enfin une scène où les pouvoirs de notre petite héroïne se manifestent. Place à l’intrigue, au début d’émotions fortes qui devront aller crescendo.

Bonjour tout le monde ! Pour ce quatrième épisode du Projet Line, je lance enfin une scène où les pouvoirs de notre petite héroïne se manifestent. On est encore dans le flou mais, comme je vous l’expliquais au précédent épisode, Christophe apparaît bien comme un personnage qui en sait plus que je ne l’imaginais en l’introduisant dans le récit. Cette fois, place à l’intrigue, au début d’émotions fortes qui devront aller crescendo tout du long jusqu’à la grande scène finale, ce fameux climax dont Yves Lavandier parle dans « Construire un récit » (édition nouvelle).

L’écriture d’un récit est une suite de recherches surprenantes

Le chat est un lion Photo de Leandro De Carvalho
"Au lieu de crier, elle regarda le gaillard droit dans les yeux, serra les poings et cracha comme un chat. Le gamin hurla." - Photo de photo de Leandro De Carvalho

Victoire arriva sur ces entrefaites, chargée comme une mule, avec le jeune apprenti du crémier de la rue de…

Là, je dois m’arrêter et revoir le plan de Saint Jean de Luz. Et voilà que je tombe sur un os ! Je suis face à une incohérence flagrante : comment Victoire peut-elle revenir des courses à pied avec l’apprenti du crémier pour l’aider à ramener les provisions ? La maison est isolée, et je ne vois aucune boutique sur google map à des kilomètres à la ronde. Finalement, je repère un bel hôtel restaurant qui, ma foi, donnerait un décor supplémentaire à l’histoire. Victoire peut parfaitement entretenir une relation avec le cuisinier, suffisamment intime pour avoir négocié un moyen de remplir aisément le garde-manger des d’Haranguier. Excellent ! Le chemin coupe par les bois, ce qui alimente les idées que j’ai trouvées en écrivant l’histoire que voici :

Victoire arriva sur ces entrefaites, chargée comme une mule, avec le jeune apprenti du cuisinier de l’hôtel Chantaco. Elle connaissait bien le jeune Charles Borro, étoile montante de la gastronomie basque, et n’avait eu aucun mal à s’arranger avec lui pour assurer l’approvisionnement de la maison des d’Haranguier.

— Oh ! s’exclama-t-elle en constatant sa cuisine envahie d’intrus. Quelle bonne surprise ! C’est une réunion de famille ou je ne m’y connais pas. Regardez-moi cette petite qui mange un livre au petit déjeuner. Il n’y a donc que moi qui penserais à nourrir cette enfant ? Neskato pobrea !

Elle déposa les provisions sur la table et indiqua au jeune garçon qui l’accompagnait, où ranger le carton de lait qu’il portait.

— Reste là toi, tu vas boire un chocolat chaud avec des tartines avant de repartir.

— Mon patron m’attend, il ne va pas être d’accord, mais alors pas du tout !

— Je m’en occupe, moi, du petit père Borro. Tu ne repars pas de chez moi le ventre vide. C’est comme ça ici. N’est-ce pas, Monsieur d’Haranguier, on ne laisse pas les enfants mourir de faim dans cette maison ?

— Absolument, Victoire, nous ne sommes pas des monstres tout de même ! Bon, Winston, ajouta-t-il en jetant un œil à sa montre, nous partons dans un quart d’heure.

— C’est un vrai courant d’air, soupira Victoire en rangeant les courses avec une rapidité stupéfiante. Allez, à nous maintenant ! Élise, voulez-vous petit-déjeuner en notre compagnie ?

— À cette heure ? Voyons, vous savez bien que je me suis sustentée d’un fruit et d’une infusion de thym à six heures précises comme chaque jour que Dieu fait.

— Hé bien, s’il pouvait aussi faire les courses celui-là, il arrangerait bien mes affaires !

— Vous ne cesserez donc jamais de blasphémer !? s’offusqua la nourrice.

— Je vous taquine, Élise. Écoutez, si vous n’avez besoin de rien, laissez-moi de la place. Cette cuisine est si petite que vous risquez de m’encombrer. Le jeune Christophe doit vite retourner travailler.

Line n’avait pas bougé, elle restait plongée dans son livre comme si rien d’autre n’existait. Pourtant, à l’instant où Élise s’éclipsa, elle leva le nez de l’ouvrage et sourit de toutes ses dents à la cuisinière.

— Tu fais des madeleines, Victoire ?

— Je t’en ferai au goûter ma douce.

— Chris, tu as vu le chat dans le jardin ?

(Là, je dois vous dire qu’en intégrant un chat dans l’histoire, je n’avais pas idée qu’il déclencherait l’histoire pour de bon. C’est la magie des séances d’écriture, je pense. On intègre un élément vivant, il prend naturellement sa place. On continue le tricotage et le motif prend vie ! C’est beau, non ?)

— Salut Line, non j’ai vu personne en arrivant.

— On était chargés comme des mulets, on n’aurait pas vu un éléphant passer !

— Je veux aller voir les éléphants !

— Mais, c’est une façon de dire, voyons. Il n’y a pas d’éléphants dans les parages.

— Ça c’est sûr ! C’est en Afrique qu’on en voit, pas à Saint Jean, s’esclaffa Christophe.

Victoire plaça le livre sur le buffet pour poser les bols de chocolat fumant et les tartines grillées. Line ne prit pas la peine de se servir, elle était déjà descendue de sa chaise pour coller son visage aux carreaux de la porte donnant sur le jardin.

— Line, mais qu’est-ce que tu fais ? Viens manger !

— J’appelle le chat.

Christophe s’était levé, intrigué, pour suivre la direction de son regard. Il vit le chat descendre d’un arbre pour se précipiter vers la porte.

— Hé, Victoire, c’est vrai ! Le chat est là.

—Oh, cette sale bête ne mettra pas les pattes dans ma cuisine. C’est un monde quand même ! On dirait qu’il a élu domicile ici. Mais, enfin, à qui peut-il bien être ?

— Il n’a plus de maison, répondit Line. Il s’est enfui parce qu’on était méchant avec lui. C’est un garçon qui lui fait du mal. J’ai dit à Monsieur Chat qu’il pouvait rester ici, et que je lui donnerai à manger tous les jours.

— Mais où vas-tu chercher toutes ces histoires ? Et puis il ne manquait plus que ça ! Je vais devoir acheter des croquettes aussi ? Il n’a qu’à chasser les souris !

— Non, il ne mange pas les souris.

— Bah voyons, ça m’aurait étonnée.

 Victoire coupa de petits morceaux de rôti froid et tendit une coupelle à Line. Tiens ! Mais, une chose est sûre, Line. Il ne mettra pas les pattes dans cette maison.

— D’accord ! Line attrapa le festin du chat et se précipita dehors.

— Mange, Christophe, sinon le petit père Borro va m’incendier.

Antoine se dirigeait vers le garage en compagnie de Winston lorsqu’il aperçut sa fille. Elle était en pyjama, en train de caresser un chat.

— Tu as trouvé le chat d’Alice, à ce que je vois, l’interpella-t-il en riant.

— Non, lui, c’est mon chat maintenant.

— Ta mère ne supporte pas les animaux, ça ne sera pas possible, Line.

— Il habite dans le jardin, il ne rentre pas dans la maison. On pourrait lui fabriquer une cabane ?

— Vois ça avec Gilen, il sera là cet après-midi. S’il a le temps, pourquoi pas ? Ce ne devrait pas être bien long à fabriquer, ce n’est pas un lion.

— Je veux aller voir les lions, papa.

— On verra, Line, on verra.

— En Afrique.

Antoine resta interdit quelques secondes et répéta « On verra, ma chère », avant de monter dans la voiture qui démarra.

— Tu entends, Monsieur Chat, tu vas avoir ta maison.

Un jeune garçon se tenait à la hauteur de la petite barrière qui clôturait le jardin et le séparait de la forêt.

— C’est mon chat, cria-t-il en s’approchant rapidement.

Le chat détala, Line se releva et fit signe à l’intrus de partir.

— Tu lui fais peur ! Il ne vient pas avec toi, tu es méchant, tu lui fais du mal.

— Qu’est-ce que tu racontes ? C’est mon chat et je vais le reprendre.

— Non ! Il ne veut pas venir avec toi. Moi, je sais que tu lui fais du mal. Pourquoi tu l’embêtes tout le temps ?

— Pour qui tu te prends, morveuse ?

Le garçon était si près de Line qu’il agrippa son épaule et pressa si fort que Line grimaça de douleur. Mais, au lieu de crier, elle regarda le gaillard droit dans les yeux, serra les poings et cracha comme un chat. Le gamin hurla.

Au cœur de l’émotion : l’événement déclencheur

La conscience d'une menace
"Elle avait l’impression que la terre s’ouvrait sous ses pieds, laissant un gouffre gigantesque près à aspirer sa petite fille chérie." Photo de KELLERPICS

Victoire sortait à ce moment-là, alertée par la piaillerie, et vit Line face à un enfant d’à peine dix ans qui la dévisageait en braillant, les yeux exorbités de frayeur, agitant maintenant les bras qu’il replia sur son visage comme pour se protéger d’une attaque. La scène était surréaliste. Line restait parfaitement immobile. Victoire ne la voyait que de dos, les bras tendus le long du corps, les poings serrés et la tête levée vers le dément. Il n’y avait pas d’autre mot ! Ce gosse semblait se battre avec un essaim de guêpes. Son agitation, ses regards effrayés en direction de Line, ses hurlements ne collaient pas avec l’immobilisme ahurissant de la fillette.  Victoire restait pétrifiée devant ce spectacle surnaturel, incapable de prendre une décision. Quand Christophe sortit à son tour, il s’approcha immédiatement de Line, ignorant l’énergumène, et s’agenouilla devant elle. L’apprenti cuisinier semblait chuchoter à l’oreille de Line alors que le petit garçon continuait de crier.

Line finit par entourer de ses bras le cou de Christophe et y enfouir sa tête. Christophe l’enlaça tendrement et l’emporta sans plus de cérémonie dans la maison. Ahurie, Victoire observait le garçon qui avait enfin cessé de brailler. Il se tenait là, hagard, scrutant fébrilement les environs, la bouche ouverte, et encore éprouvé par un malheur qu’il était seul à avoir vécu. Victoire recouvrait ses esprits et pensa soudain que Line avait besoin d’elle. Elle s’approcha pourtant de l’enfant, aussi crâne qu’un galonnard après la bataille. « Qu’est-ce que tu as mon garçon ? dit-elle doucement. Il ne l’entendait pas. Malgré sa présence, il continuait d’examiner les parages, cherchant tout autour de lui ce qui l’avait tant effrayé, et sans paraître comprendre où il se trouvait vraiment. Enfin, il s’attarda sur Victoire. Il semblait quand même se détendre un peu et murmurait des choses que Victoire n’arrivait pas à entendre, tout d’abord.

— Le lion, le lion, balbutia-t-il. Ses lèvres se mirent à trembler, ses yeux à s’embuer de larmes et, il se retourna d’un coup sec comme si quelque chose avait surgit par derrière. Et quand Victoire posa sa main sur l’épaule de l’enfant pour le rassurer, il émit un cri perçant avant de détaler vers les bois sans se retourner. Victoire le héla. « Attend, attend ! » Mais il avait disparu sous les frondaisons. Elle sonda les sous-bois encore quelques instants avant de retourner vers la maison d’un pas incertain. Elle sursauta à la vue d’Élise. Raide comme un piquet à la fenêtre de sa chambre, elle semblait observer la scène depuis un bon moment, à peine visible derrière le voilage en mousseline de soie blanc. Victoire sentit des frissons lui parcourir le corps. Cette femme allait lui provoquer une crise cardiaque un de ces jours.

Victoire s’adossa au chambranle de la porte, observant Line et Christophe. Lui, parlait à la petite assise sur le rebord de la table. Il se tenait en face d’elle, ses mains posées sur les genoux de Line dont les jambes se balançaient doucement dans le vide. Elle baissait la tête, obligeant Christophe à obliquer la sienne pour capter son attention à travers le rideau opaque de ses cheveux noir de jais. Christophe semblait lui enjoindre quelque chose tandis qu’elle fuyait son regard, refusant manifestement de lui obéir. Victoire n’en était pas sûre, elle n’était plus sûre de grand-chose d’ailleurs. Elle tentait de rassembler ses idées et d’en tirer une pensée cohérente. Pourtant, la logique des événements lui échappait encore. Elle restait donc sur le pas de la porte, bercée par le chuchotement des enfants. Victoire était une femme de forte corpulence. Ses cheveux roux étaient coupés à la garçonne, et son visage rond et avenant, habituellement coloré par le soleil, était parsemé de taches de rousseur. Pour le coup, sa pâleur avait quelque chose d’inquiétant. Elle sentait à peine ses jambes la porter et finit par s’appuyer plus fortement contre le châssis de la porte. Elle prit une grande inspiration. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, Christophe la regardait intensément.

— Victoire, ça va pas ?

— Oui, je crois que ça va, souffla-t-elle. Aide-moi à m’asseoir, tu veux.

Christophe se précipita pour attraper le bras qu’elle lui tendait et la soutint jusqu’au siège le plus proche et s’y effondra de façon spectaculaire, au point d’en ébranler toute la carcasse.

— Donne-moi un peu d’eau, tu veux ?

Line reniflait. Victoire constata qu’elle pleurait en silence depuis tout ce temps, et put enfin comprendre que ce qui se passait ici n’était pas anodin. C’était même parfaitement anormal. Line avait toujours été une énigme, mais Victoire ne s’en laissait pas conter. Elle aimait s’amuser de tout et la vie lui avait montré que les gens se faisaient des montagnes pour de petits riens. Jusqu’à présent, elle aimait voir chez cette enfant le prodige d’une merveille en devenir, reléguant les sarcasmes d’Élise et les craintes de Cécile au rang de tracasseries inutiles. Mais, en cet instant,  elle ressentait dans ses tripes les répercussions possibles de ce qu’elle avait entrevoir des capacités surprenantes de Line. Elle avait l’impression que la terre s’ouvrait sous ses pieds, laissant un gouffre gigantesque près à aspirer sa petite fille chérie. Cette image, si réelle, lui asséna une telle claque, qu’elle se ressaisit sur le champ.

Voilà donc notre épisode 4 terminé ! À sa lecture, j’étais satisfaite de l’effet qu’il produisit sur Anton. Il s’est exclamé de surprise au moment où Victoire posait la main sur l’épaule de ce pauvre garçon, qui partit sans demander son reste. Mes séances d’écriture avancent plus vite que les épisodes et c’est tant mieux ! Vu qu’il ne me reste qu’un mois et demi avant d’achever ce roman (bah oui, compter un mois pour le mettre en forme est déjà une gageure !), il faut maintenant que je m’immerge plus avant dans l’univers de Line. Ce matin, j’arrivais enfin à la première image apparue dans ma tête et qui fit « tilt » (j’en parle dans ma méthode d’écriture en 3 clés). Quand on tient quelque chose… Voyez aussi ma vidéo « La naissance de Carrie d’après Stephen King ». Dans  » Mémoires d’un écrivain » Stephen King, explique comment l’idée de « Carrie » lui est venue.

L’émotion était-elle au rendez-vous ?

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Après la mise en forme du roman il sera trop tard

Théâtralisons notre récit : secrets et accessoires

Pour ce troisième épisode de notre défi « J’écris un roman en 3 mois avec mon fils », j’ai passé deux heures à la recherche de menus détails. Pour théâtraliser notre récit, il faut que nos acteurs trouvent leurs accessoires.

Bonjour tout le monde ! Pour ce troisième épisode de notre défi « J’écris un roman en 3 mois avec mon fils », j’ai passé deux heures à la recherche de menus détails.  Pour théâtraliser notre récit, il faut que nos acteurs trouvent leurs accessoires. D’abord, Sarah devient Cécile. Prénom aristocratique latin, il sera plus approprié que Sarah, prénom d’origine hébraïque. Ensuite, la maison ! Je me suis amusée à la chercher. Et vous savez quoi ? Je l’ai trouvée ! Bon, ce n’est pas une villa à 10 millions de dollars, mais une ancienne demeure familiale typiquement basque où Cécile préférait se retirer pour se remettre de l’accouchement. Très vite, d’ailleurs, elle décide d’y séjourner de façon permanente, le temps de voir venir, que Line grandisse un peu. Antoine se plie de mauvaise grâce à cette lubie, mais y trouve rapidement un intérêt lorsque son usine chimique de Mont — à une heure en voiture — est secouée par de violents mouvements sociaux.

La théâtralisation du lieu permet d’habiter notre récit au-delà du simple décor

Maison StJean La Rêka

Le théâtre de notre histoire est donc cette demeure familiale d’Antoine d’Haranguier, située à l’entrée de Saint Jean de Luz et qu’on appelle familièrement « La Rêka » (ruisseau en basque). C’est une maison à colombage typique du coin et de dimension modeste. Elle compte quand même une superficie de 650 m2, deux étages et quatorze pièces. Datant du tout début 18ème, elle comprend une écurie, une piscine et 2 hectares de forêt que traverse un ruisseau. Le coin idéal pour élever une super-héroïne !

Dans ce décor, les secrets de famille se dessinent

Line était réveillée tous les jours à 7 heures par Winston. Ça évitait à la nourrice d’essuyer les plâtres, et à Line de démarrer sa journée par un drame. Mais, ce qui était sûr, c’est qu’Antoine trouvait ça déplacé. Certes, il avait bénéficié de l’attention de Winston étant enfant, mais pas de cette manière, son père ne l’aurait jamais permis. Et, ce jour-là, il avait bien l’intention de bousculer les habitudes matinales de son majordome. Antoine était arrivé la veille, prétextant des affaires pressantes à LACQEM, son usine de chimie à Mont. Levé à 6 h00, il alla prendre le café dans les quartiers de Winston. La maison n’était pas à son goût. Elle manquait d’intimité. Exigüe, mal éclairée et surchargée de bricoles inutiles, il aimait pourtant parcourir ses espaces confinés imprégnés de souvenirs.

— Puisque vous semblez prendre racine à Saint Jean, j’aimerais que vous m’accompagniez à l’usine, lança-t-il sans s’annoncer. Bertrand Darche a des difficultés avec le maire. La population fait pression sur les autorités pour des raisons environnementales. Jusque-là, le préfet était conciliant, mais il a été récemment remplacé. Et nous n’avons plus de soutien de ce côté-là. J’ai besoin de vous sur place, pour comprendre la situation et entrer en contact avec les nouveaux acteurs locaux.

— L’annonce de Darche de supprimer les postes de nuit des mécaniciens-pompiers a mis le feu au poudre, répondit Winston qui s’était préparé à cette entrevue et servait déjà un café fumant sur le comptoir de sa cuisine.

— Oui, j’ai donné mon accord de principe pour une réorganisation progressive, mais il n’en a fait qu’à sa tête ! Ce Darche manque décidément d’esprit tactique dès qu’il s’agit de politique. Si la famille est ici, je n’aimerais pas que les choses dégénèrent au point que Cécile soit inquiétée, vous comprenez ?

— Fort bien, j’ai entendu des rumeurs… les salariés se sont réunis la semaine dernière avec un groupe d’activistes de Pau pour organiser des actions choc. Ils préparent un coup en marge de la manifestation du 10 novembre à Mourenx.

— Bien, je vois que vous restez vigilant.

— C’est mon rôle, Monsieur. J’ai envoyé quelqu’un à cette réunion. Ils ont parlé de « La Rêka ». Pour l’instant, personne n’a suggéré de s’y rendre, mais il ne faut pas exclure une opération de sabotage sur le site.

— Qui sont-ils ?

— Des anciens de LACQEM, pour la plupart, qui enrôlent les employés les plus jeunes. Il y a aussi des salariés de LUBRIZOL de Mourenx, et pas mal d’habitants de la région : Mont, Orthez, Pau essentiellement. Ils craignent un accident de grande ampleur. Les élus sont sur la brèche, ils seront présents cette fois.

— Oui, depuis l’incendie de Rouen, le monde s’agite dans tous les sens, c’est la débandade ! Qui est votre informateur ?

— Un salarié de LACQEM qui part en pré-retraite. Il est avec nous. Je l’ai convaincu de s’allier à notre cause. Il n’apprécie pas le PDG, personne ne l’apprécie d’ailleurs, mais il restera fidèle à la famille.

— Il peut s’infiltrer parmi les activistes ?

— C’est déjà fait. Il est très estimé. Le noyau dur lui fait confiance.

— Parfait, augmentez ses gages.

— C’est prévu.

Antoine s’attarda sur le visage de Winston. Son expression n’avait pas changé, malgré les rides discrètes au coin de ses yeux, Antoine retrouvait ce regard doux et pénétrant qui avait tant de fois su apaiser ses colères.

— Je suis désolé d’avoir douté de votre jugement, Winston.

— Plaît-il ?

— Je veux dire, à propos de Line. J’ai pensé que vous lâchiez un peu du lest dans nos affaires.

— Vous devriez savoir que la sécurité de la famille d’Haranguier est et restera ma priorité, Monsieur.

— Oui, je devrais pourtant le savoir…

Des cris leurs parvinrent provenant du rez-de-chaussée. On entendait Élise s’exclamer haut et fort, et Line pleurer toutes les larmes de son corps. Winston et Antoine se levèrent dans un même élan et se dirigèrent ensemble vers la cuisine. Élise levait un gros livre relié au-dessus de sa tête tandis que Line trépignait de rage, les bras tendus vers sa nourrice qui, à l’évidence, refusait de lui donner l’objet de sa convoitise. Le plus drôle c’est que ce livres faisait presque la taille de l’enfant.

un grand livre relié
"Le plus drôle c’est que ce livre faisait presque la taille de l’enfant." photo DarkWorkX

— Que se passe-t-il ici, s’écria Antoine. Qu’est-ce que c’est que ces simagrées ?

Elise se retourna le regard furibond.

— Line s’est introduite dans la bibliothèque et avait attrapé ce livre ÉNORME !

— Et, c’est tout ?

— Non, elle était juchée sur une échelle et le poids du livre l’aurait assurément renversée si je n’étais pas intervenue à temps. Et maintenant cette demoiselle ne veut rien savoir. Elle doit pourtant apprendre à obéir.

Winston s’était approché d’Élise et lui pris doucement l’ouvrage des mains.

— Une édition originale de « Alice au pays des merveilles ». C’est un livre que je lui lisais souvent étant bébé.

— Madame d’Haranguier m’a bien spécifié que la bibliothèque était interdite à Line, qu’elle regorgeait de livres précieux.

—C’est vrai, intervint Antoine. Le plus surprenant c’est qu’elle ait pu attraper celui qu’elle voulait. Je crois en effet qu’il se trouve dans les étagères supérieures, non ? Une sacrée montée pour un si petit de chou.

— Absolument, elle aurait pu se rompre le cou. Et, il est important qu’elle comprenne qu’à son âge la bibliothèque lui est interdite.

— Bon, écoutez Élise, le plus simple est de laisser la bibliothèque fermée à clé et…

— Justement, Monsieur ! La pièce est toujours soigneusement fermée et la clé accrochée sur le tableau du vestibule, à une hauteur qui ne lui est pas accessible, Dieu merci !

— Mais alors, comment ?

— C’est un mystère ! Je demanderai qui a pu laisser la clé sur la porte et prierai Madame d’Haranguier de la mettre hors de portée de tous, quitte à y faire moi-même le ménage. Line est obsédée par cette bibliothèque !

Winston sourit. Il avait déjà surpris Line en train d’escalader le guéridon de l’entrée après avoir pris soin de rapprocher l’un des fauteuils placés plus loin dans les niches des fenêtres. Il avait suspecté son intention d’attraper les clés sans se douter qu’elle en cherchait une en particulier. Il se dit qu’il devrait prendre le temps de l’observer sans intervenir trop vite. Line passait du temps à lire, c’est vrai. Et c’était plutôt pittoresque à voir. Elle avait à peine 3 ans mais son désir d’apprendre était insatiable et ses questions incessantes. Elle lisait déjà tout ce qui lui passait sous la main mais il avait remarqué que les questions concernant son héroïne préférée ne tarissaient pas. Elle avait à l’évidence décidé d’y répondre par elle-même. Winston savait très bien qu’elle savait déjà lire à son âge, sans pour autant le claironner sur tous les toits. Ça ne se faisait pas, et il pressentait de que ça pouvait bien devenir dangereux. Alors, quand Lise lui montrait un mot qu’elle ne comprenait pas, il lui en expliquait le sens. Depuis peu, il lui avait fait découvrir le dictionnaire. À la grande surprise d’Élise et de Cécile, Line passait désormais beaucoup plus de temps dans les appartements de Winston. Seulement, comme d’un commun accord, Line n’en parlait à personne. Elle avait d’ailleurs bien vite compris que les adultes ne répondaient généralement pas à ses questions, et détournaient les sujets de conversation qui la préoccupaient. Les « pourquoi » de Line n’étaient pas à prendre à la légère. Seul Winston l’avait apparemment compris.

— N’en faisons pas toute une histoire, Élise. Je suis persuadé que Line prendra soin de cet ouvrage.

Théâtre Alice au pays des merveilles
"il avait remarqué que les questions concernant son héroïne préférée ne tarissaient pas" Photo Brunapazini0

Et, joignant le geste à la parole, Winston tendit le livre à Line qui avait cessé de pleurer depuis qu’il s’en était emparé. Le serrant fermement contre sa poitrine, elle regarda Winston avec reconnaissance avant d’aller le poser sur la table. L’effort qu’elle était censée faire pour cela ne parut pas la détourner de son objectif, trop heureuse d’avoir gagné la bataille, et ne se souciant ni d’Élise ni de son père. Elle se jucha ensuite sur la chaise, s’installa en se tortillant légèrement et respira profondément avant d’ouvrir sa merveille. Élise était bouche bée, n’osant protester. Depuis son arrivée, Monsieur d’Haranguier n’était quasiment jamais là et, quand il daignait passer quelques jour à La Rêka, c’était pour fulminer contre tous, particulièrement contre Winston et Madame d’Haranguier. Ça n’empêche, elle restait persuadée que Winston sapait continuellement ses efforts, gâtant cette enfant au point de la rendre capricieuse et indisciplinée au point où ça devenait intenable. Si le père se rangeait du côté de Winston, elle ne donnait pas cher de sa place.

— C’est pas Dieu possible ça ! Vous allez en faire une enfant gâtée et frondeuse. Ce ne sera pas de ma faute si cette petite n’écoute donc personne ! Monsieur d’Haranguier, vous aurez été témoin de mes efforts.

Voilà un épisode qui donne le ton entre les deux hommes de cette maison, une complicité et une confiance qui ne se compte plus en termes d’années mais en termes de souvenirs d’enfance et de secrets de famille, intimement imbriqués dans les secrets d’affaire. N’oublions pas non plus que Winston a élevé sa propre fille, Olivia, aux côtés des deux enfants d’Haranguier : Antoine et Camille. Cette dernière, très indépendante et impulsive, viendra de temps en temps perturber les arrangements familiaux, tel un cyclone qui repart aussi vite qu’il est venu. Mais elle pourrait bien avoir la fonction du messager. Christopher Vogler dit de ce personnage qu’il intervient dans le récit  comme une force soudaine qui empêche le héros de dériver vers le mauvais chemin. Ces figures archétypales servent à jalonner le chemin de l’écriture de point d’ancrages efficaces pour mener à bien son projet. Ici, l’idée d’attribuer un rôle à la tante Camille, me permet d’anticiper la suite, d’imaginer déjà les difficultés que Line va devoir traverser seule, jusqu’à trouver une aide inattendue.

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Composition des personnages

J’écris un roman en 3 mois avec mon fils, épisode 2. La composition des personnages est le terreau de notre roman. S’attacher à eux dès le départ, les relier les uns aux autres et découvrir les rouages relationnels

Salut tout les monde ! Je suis bien contente de vous retrouver pour ce deuxième épisode de notre défi !  La composition des personnages est le terreau de notre roman. S’attacher à eux dès le départ et les relier les uns aux autres est un exercice qui nous fera gagner un temps précieux. Car, découvrir les rouages relationnels qui se mettent en branle autour de notre héroïne éclaire notre chemin. De plus, la composition dramatique nous permet de comprendre les relations qui se trament, et les intentions cachées derrière l’écriture de notre futur récit.

La composition du personnage central

personnage central
"Elle perçoit l’environnement comme un support matériel, comme si elle était reliée à lui", photo de DarkWorkX

Les particularités propres au héros

Line a un besoin vital d’équilibrer son corps dans l’espace qui l’entoure. Durant les premières années de sa vie, l’équilibre est pour elle un enjeu fondamental, comme tous les enfants de son âge. Mais, les humains qui l’entourent détruisent systématiquement ses tentatives. Ça la rend irritable et instable. Comment ça se passe ? Elle perçoit l’environnement comme un support matériel, comme si elle était reliée à lui. Tout objet qui s’y trouve participe à son équilibre corporel, elle calcule son emplacement, son volume et sa masse et positionne son corps en fonction. De sorte que l’espace vide qui la sépare des autres est palpable pour elle.

Elle capte ce qui l’entoure au-delà de ses cinq sens. La protection de notre espace vital, cette zone élastique qui maintient notre sentiment de bien-être, fonctionne bien différemment chez nous, du moins en apparence. Nous sommes conditionnés pour nous appuyer principalement sur la vue, l’ouïe et le toucher. L’odorat et le goût sont minorés et les autres sens que nous possédons sont peu développés consciemment comme l’équilibrioception, ou sens vestibulaire, qui détermine notre sens de l’équilibre. La création de notre super héroïne nous permettra d’explorer ces capacités dont nous percevons inconsciemment le potentiel inexploité. Son comportement n’en est que plus étrange aux yeux des autres. Ça me rappelle « Les enseignements d’un sorcier yaqui », de Carlos Castaneda. L’auteur explique que des fils invisibles relient l’intérieur de notre corps au monde environnant.

Les intentions cachées de l’auteur

intentions cachées de l'auteur
"Pour être libre nous avons besoin d’apprendre à prendre des risques calculés"

Le héros véhicule nos croyances

Line ne supporte pas son lit à barreaux. Elle a le sentiment que son énergie est bloquée. Ça lui donne carrément des convulsions. Elle a peur, ses poumons se compriment, elle a la sensation que tout son corps est entravé. Tiens ! Ça me rappelle la lecture d’un texte que j’avais beaucoup aimé. Celui d’une anthropologue en immersion chez des indiens de la forêt amazonienne. Un père avait construit une sorte de parc pour son bébé avec des branches, mais le bambin avait carrément pété une durite.

Cette chercheuse expliquait que les adultes laissaient les enfants libres de bouger sans surveillance exagérée. Elle avait été témoin d’une scène qui l’avait scotchée : un enfant qui tenait à peine debout jouait près d’un puits qui n’était autre qu’un trou à même le sol. Elle garda son sang froid d’observatrice et nul drame ne se produisit ce jour-là. Ses recherches l’amenèrent à comprendre que laisser l’enfant gérer sa propre sécurité le maintient plus sûrement en vie que s’il est continuellement apostrophé par des « Fait attention ! Tu vas tomber ! ».

Le héros est porteur d’un message

J’avais été marquée par ce texte qui fait écho à ce que je crois profondément. Dans une société où la liberté est une valeur haute, nous nous éduquons à la sécurité avant tout, oubliant que pour être libres nous avons besoin d’apprendre à prendre des risques calculés. Je pense sincèrement que cet apprentissage mérite de commencer aux premiers temps de la vie, accompagné d’une présence affective forte et à d’un maternage poussé.  Mais les exigences de la vie ne nous laissent pas toujours l’occasion d’expérimenter cette approche. Je l’ai pourtant testé au maximum de mes possibilités avec mon fils. D’ailleurs, ça déclenchait des scènes assez drôles dans les aires de jeux où j’entendais les exclamations choquées ou angoissées des parents. J’ai ainsi constaté qu’Anton prenait des risques à la mesure de ses capacités. Mais je m’éloigne de notre sujet.

Le couple central, pilier indispensable de la composition des personnages

le couple central
"Elle ne peut s’endormir si quelqu’un reste à ses côtés, à part Winston, le majordome", photo de Geralt

L’auteur identifie rapidement sur qui le héros va s’appuyer

Line ne supporte donc pas les barreaux de son lit. Elle a la sensation d’être immobilisée, comprimée par un champ magnétique hostile. Elle hurle, étouffe et, rapidement, on installe un matelas à même le sol et on fait disparaître le lit, objet de sa frayeur. Elle ne peut s’endormir si quelqu’un reste à ses côtés, à part Winston, le majordome. Il l’observe à loisir et comprend vite que ce n’est pas un bébé normal. Winston a élevé le père de Line, Antoine.  Il l’a protégé des griffes du grand-père (le père d’Antoine) dont il était l’homme à tout faire. Le job de Winston était principalement de seconder le père d’Antoine dans la gestion des affaires de la famille, il était en charge de ne rien laisser passer qui puisse faire du tord à sa réputation. La mère d’Antoine était une femme absente, organisant des galas et autres soirées mondaines. Si bien que Winston la remplaça dans la gestion familiale. Winston a donc joué un rôle important dans la vie du père de Line. Il a lui-même une fille, aujourd’hui neurologue réputée et chef de clinique. Il y a des chances que Winston puisse discuter du cas de Line avec elle. Ce sera un personnage qui nous donnera des interprétations scientifiques précieuses

 

Le personnage retord qui met l’équilibre en péril

Passons un peu au cas de la nourrice et des autres employés de maison. Winston et la nourrice se répartiront les rôles. Cette dernière s’appelle Élise. Elle est expérimentée et s’aperçoit vite que quelque chose ne va pas, mais elle tiendra le coup pas mal de temps. La famille est influente et Winston fera pression sur Élise pour qu’elle la boucle. Mais Élise a une sainte horreur de la situation, qui va basculer quand le père entrevoit la vérité et que la scène du bac à sable survient (encore que je ne suis pas sûre que les bacs à sable soient un lieu de prédilection pour les enfants de la haute bourgeoisie). J’ai très envie de lire les écrits du couple de sociologues Pinçon-Charlot, qui ont passé leur vie à étudier la haute société française. Ce jour-là, Sarah, la mère de Line, avait choisi d’accompagner la nourrice au parc. L’enfant est encore considérée comme « normale » mais il y a des signes. Sarah écoute les inquiétudes d’Élise, la nourrice, et les prend très au sérieux.

Les personnages de confiance révélateurs de caractères

la famille
"Comment une femme qui se sent prisonnière de son mari ou d’elle-même aurait-elle le courage de tout quitter ? , Travel - Monsterkoi

Un personnage puissant mis en réserve : débriefing avec Anton

On parle de Sarah, la mère de Line. Anton la voit peureuse, introvertie. Moi, j’avais pensé qu’après l’accouchement, le fait d’être une enfant adoptée aux origines inconnues ferait remonter ses angoisses. Certes, Sarah n’est pas sûre d’elle, elle doute de ses capacités en tant que mère, d’autant plus que Line pleure souvent quand elle est dans ses bras. Mais, j’avais imaginé Sarah comme quelqu’un qui lance facilement des pics, des vannes bien senties, qu’elle avait un caractère trempé et que les disputes au sein du couple prendraient des proportions épiques. Anton n’est pas d’accord. Sarah est tout l’opposé de son mari. C’est une femme polie et respectueuse. Il se demande pourtant comment les disputes conjugales se passent si elle est d’accord pour tout. Anton reste néanmoins sur ses positions : Sarah est une femme soumise qui ne fait pas de vagues. Moi, je pense qu’on peut s’arranger avec ça. Lorsqu’on devient mère, on révèle de nouvelles facettes de sa personnalité.

Sarah est peut-être le personnage protéiforme de notre récit

Comment une femme qui se sent prisonnière de son mari ou d’elle-même aurait-elle le courage de tout quitter ? Son foyer, et surtout son enfant ? C’est une question que pourrait se poser le lecteur si Sarah est une personne effacée et angoissée. Bien souvent, une femme qui se sent prise dans la toile d’araignée tissée par son mari et son milieu social rencontre une opportunité, une chance unique qui lui permet de fuir. Pour abandonner son enfant, il lui faut une sacrée bonne raison, même si elle ne se sent pas à la hauteur. Malgré tout, certains troubles ou dispositions psychologiques particulières expliquent une telle décision. Bien sûr, pour Sarah, ce n’est pas le propos. Elle ira trouver ses parents, exigeant qu’ils racontent tous les détails de son adoption. On comprend que Sarah va passer à l’action d’une manière ou d’une autre. Dans le roman, elle disparaît sans que ni le lecteur, ni les protagonistes ne sachent ce qu’elle devient. Quand on retrouvera la trace de Sarah, le mystère s’éclaircira.

Pour comprendre le concept de « personnage protéiforme », écoutez mon podcast « L’archétype du héros » qui se réfère au « Guide du scénariste » de Christopher Vogler.

La composition des personnages ou « composition dramatique »

la biguotte
"On va dire qu’elle est même croyante de fou ! Ça va mettre du peps. Elle croit que Line est possédée", photo de jeffjacobs1990

La composition des personnages a besoin d’un décor et d’une ambiance

Mais revenons à la composition des personnages. Sarah s’est installée dans leur maison de Saint Jean de Luz, avec Winston et Victoire, la cuisinière. Ils embauchent la nourrice et deux employées de maison. L’intérêt c’est que Winston est maître à bord. Il commence à s’occuper de Line la nuit, pour soulager Élise. La nourrice est en effet épuisée. Au début, elle met ses sentiments sur le compte de la fatigue et de l’ambiance tendue entre la femme et le mari. Sarah et son mari Antoine se disputent de plus en plus souvent, même si ce dernier est rarement à la maison. Cependant, Sarah est gentille avec Élise, mais elle est distante avec l’enfant, elle semble même avoir de l’aversion pour sa fille. Je me dis d’ailleurs qu’elle doit forcément retrouver dans le comportement de Line un vécu qu’elle a su maîtriser et enfouir en elle. Il se passe forcément quelque chose dans l’esprit de Sarah, ça carbure la dedans ! Vous sentirez sûrement à ce point de réflexion la nécessité de planter le décor, le plan de la maison, l’atmosphère de la ville et l’entrée de personnages secondaires.

La fonction et le rôle des personnages se précisent

La nourrice est donc affectée dans son travail, elle se sent isolée. La cuisinière n’est pas une copine, et les deux employées de maison sont sympas, mais elles trouvent qu’Élise est trop stricte. Elles sont jeunes et complices, aimant plaisanter entre-elles à son sujet. Victoire, la cuisinière, est au contraire très à l’aise dans cette maison. Elle connaît parfaitement ses patrons, s’entend très bien avec Winston et Sarah lui fait confiance. Victoire emmène Line aux courses et l’installe fréquemment avec elle dans la cuisine. Line est bien avec Victoire qui lui parle beaucoup lorsqu’elle prépare les repas. Victoire est très attentive à l’ordre et à la place des objets. C’est comme une obsession chez elle. Sa dextérité et la fluidité de ses mouvements plaisent beaucoup à l’enfant pour qui la précision des mouvements et l’énergie maîtrisée répondent à ses besoins. Elle est bien dans la cuisine avec Victoire qui constate évidemment qu’il se passe des trucs bizarres. Bref, la nourrice qui suit un protocole stricte se sent mal aimée dans la maison, et a peur de l’enfant.

Notre personnage antagoniste se précise

Line, à l’évidence, n’est pas bien avec Élise, la nourrice, qui s’inquiète d’être renvoyée. Ses références professionnelles pourraient être remises en cause. Avec une famille aussi influente, sa carrière pourrait être foutue. Elle va donc parler à Winston de ses inquiétudes face à Line :

Je n’ai jamais connu une enfant comme ça. On dirait qu’elle veut des choses qu’à son âge on ne peut penser.

— Comme quoi ?

— Quand je lui fais prendre son bain, par exemple, Line pleure si je lui met un jouet qui flotte et, quand je la savonne, je ne peux en aucun cas poser le savon sur le bord de la baignoire. Je dois le poser loin d’elle, par terre où sur la table. Même si je le pose discrètement derrière elle, on dirait qu’elle peut le sentir. J’ai remarqué qu’elle sent des choses sans les voir ou les entendre…

C’est à ce moment-là qu’Anton s’exclame. Ses yeux brillent lorsqu’il me dit : « On va dire qu’elle est même croyante de fou ! Ça va mettre du peps. Elle croit que Line est possédée. C’est cliché mais, c’est trop cool ! » Anton et moi discutons du cas d’Élise. Elle engraine progressivement la mère dans son délire. Non que Sarah croie en une quelconque possession diabolique, mais elle gamberge sur son propre cas de déséquilibre mental lorsqu’elle était enfant. Antoine, le père, doute fortement de leurs allégations, d’autant plus qu’il ne constate rien d’anormal quand il est avec Line.

— C’est logique, intervient Anton, le père est un vrai maniaque !

—Oui, c’est un mec très militaire qui maîtrise tellement ses gestes et son comportement, que Line arrive à supporter sa présence.

Et voilà comment se termine notre épisode 2 ! Le tableau des personnages en présence se dessine de mieux en mieux. Leurs relations, leurs différences et leurs points communs nous permettent de tisser la toile de fond sans toutefois toucher l’objectif, l’enjeu du roman, ni même l’intention des auteurs au cœur de notre futur récit. C’est tout à fait normal. Cette première semaine de défi n’est pas encore terminée. Je sais que certains d’entre vous aimeraient lire rapidement une de ces scènes prétexte dont je parle dans l’épisode 0 de notre défi « J’écris un roman en 3 mois… avec mon fils ».

Mais, contrairement à mes habitudes d’écriture, je m’engage à écrire un roman sur une très courte période et à en rendre compte chaque semaine au lecteur. On est loin du cliché de l’écrivain qui se retranche du monde, dans sa grotte, pour pondre son bouquin. Ce qui nous oblige à monter une structure dès les premiers jours, et c’est pas plus mal, ça nous évite de perdre un temps précieux. Alors, patience, les ami(e)s 🙂 Ça arrive ! Nous avons notre personnage retors (la nourrice), et notre personnage protéiforme, Sarah, incarnant une partie du mystère. C’est énorme ! Alors, je vous dis à lundi les amis lecteurs, co-écriteurs et curieux d’un jour !

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